vendredi 29 avril 2011

La « majorité sexuelle », ou l’âge légal du consentement

Nous n’utilisons pas cette expression ici, mais elle est courante en France et je la trouve plus concise et claire que «l’âge du consentement à des activités sexuelles avec une personne majeure »
Quel est l’âge de la majorité sexuelle au Canada?  Il est de 16 ans.  À 16 ans, une jeune femme ou un jeune homme peut consentir à avoir des relations sexuelles avec une personne majeure, homme ou femme, pour autant que cette personne ne soit pas en situation d’autorité.
Oubliez cette vieille notion de « détournement de mineur », ça n’existe pas au Canada.
16 ans, donc.  Il s’agit d’une modification récente[2] au Code criminel qui avait établi à 14 ans l’âge de la majorité sexuelle depuis 1985.  C’est donc une autre modification conservatrice.  Est-elle ultraconservatrice? J’aurais besoin d’un autre billet pour en discuter.  Je n’en suis pas certaine et ma position est nuancée.  Par exemple, la majorité sexuelle est de 13 ans en Espagne, ce que je trouve douloureusement trop jeune…  Elle est de 15 ans en France.  Pour une comparaison dans les différents pays : Wikipédia.
Ça veut dire quoi?  Ça veut dire que le consentement n’est pas une défense à l’encontre d’une accusation d’infraction d’ordre sexuel (contact sexuel, incitation en en avoir, exploitation, bestialité en présence d’enfants, exhibitionnisme, agressions sexuelles simple, armée ou causant lésion, grave) si la plaignante est âgée de moins de 16 ans.  (Bien sur qu'il peut aussi s'agir d'un plaignant).
Plus clairement encore, ça veut dire que le « consentement » d’une personne de moins de 16 ans à avoir des relations sexuelles avec un adulte de plus de 5 ans son aîné ne vaut rien légalement.  Prenons l’exemple de la jeune fille de 14 ans qui dit oui avec la tête, et qui dit oui aussi avec le cœur[3], de la jeune fille de 14 ans qui aurait même été l’instigatrice de la relation charnelle avec un homme de 20 ans son aîné.  Ça demeure un acte criminel vu l'absence inhérente de consentement valable.

Les jeunes de 16 à 18 ans peuvent donc consentir à des rapports sexuels avec des personnes majeures, pour autant qu'il n'y ait pas de lien de confiance ou d'autorité.  Cette question du lien de confiance ou d'autorité se définit au cas par cas, selon le contexte.

Julie Desrosiers
Nul besoin que la relation ait été empreinte de violence –l’image instantanée de l’agression sexuelle– pour qu’une accusation de contacts sexuels avec un/e mineur/e de moins de 16 ans puisse être portée.  Nul besoin de faire la preuve que l'adulte a effectivement exploité l'ado, qu'il a eu l'intention de le malmener moralement.  Encore une fois, la raison en est que le consentement est réputé ne pas avoir existé, point.  Il suffit donc qu'il y ait eu un contact «à des fins d'ordre sexuel».  L'éventail du type de contacts dont il peut s'agir est large.
Il existe des exceptions :
- Un jeune de 12 à 13 ans peut consentir à avoir des relations sexuelles avec un autre jeune qui est de moins de 2 ans son aîné.  (Toujours à la condition qu’il n’y ait pas de lien d’autorité).
- Un jeune de 14 à 16 ans peut consentir à des relations sexuelles avec un autre adolescent, ou un jeune adulte, si la différence d’âge ne dépasse pas 5 ans. (Et toujours s’il n’y a pas de lien d’autorité qui aurait pu vicier le consentement).
Je répète, la question de la situation d’autorité se déduit des faits.  Évidemment, on pense spontanément au prof et à l’entraîneur sportif. Ceux-là ont effectivement une pente abupte à remonter s'ils veulent nier la situation d'autorité.  Mais ce n'est pas impensable.  Pensons à une fille de 17 ans avec son prof de 21 ans qui entretiennent une relations amoureuse, saine et égalitaire.  Ce prof, évidemment et heureusement, pourrait éviter la condamnation.  

L'arrêt de principe sur la situation d'autorité est Audet de la Cour suprême du Canada.  Vous constaterez à sa lecture qu'il a été rendu alors que l'âge légal était encore fixé à 14 ans.


Moyens de défense

L'accusé pourra toujours soulever la défense d'erreur de fait sur l'âge.  Si l'accusé croyait sincèrement que la plaingante avait 16 ans, et s'il a pris « Toutes les mesures raisonnables » pour s'assurer de son âge, il pourrait être acquitté.  Parce que même si l'acte a été commis, l'accusé n'avait pas l'esprit coupable.  Ces deux notions, acte (actus reus) et intention (mens rea), sont les deux notions centrales du droit criminel de Common Law.  L'accusé qui donc croit réellement avoir eu des rapports sexuels avec une fille de 17 ans alors qu'elle a avait 15, si elle lui a montré des fausses pièces d'identité, si elle étudiait au cégep, si elle vivait en appartement, sera très fort probablement acquitté puisque son intention (sa mens rea) n'était pas celle d'avoir des rapports sexuels avec une adolescente de 15 ans.  Il s'agit encore d'une question d'évaluation et de crédibilité des faits mis en preuve.

25 août 2016: Je ferme la section commentaire de ce billet. Trop de questions précises concernant des relations sexuelles précises en lien avec des écarts d'âge précis.

Vous comprendrez que mon rôle n'est pas de donner une opinion juridique à des adultes qui veulent s'assurer de la légalité de leur relation avec des mineurs.




[2] 2008
[3] Pastiche du «cancre »  de Jacques Prévert

jeudi 28 avril 2011

La folie et le procès

Des questions m’ont été posées concernant l’aptitude à subir un procès à la suite de mon billet sur la responsabilité criminelle .
Non, il ne s’agit pas des mêmes notions. 
La responsabilité criminelle réfère à la capacité qu’avait la personne accusée de former l’intention coupable au moment de poser le gesteL’aptitude à subir un procès réfère à la capacité d’une personne à vivre ou à comprendre des procédures judiciaires au moment où s’enclenche ce processus judiciaire.
La question de l’aptitude à subir un procès se pose, le plus souvent, au moment où un accusé comparaît.  Elle peut être soulevée par la Couronne, par la défense, ou par la juge*.  Il s’agit simplement de s’assurer que la personne accusée est apte, au moment précis où la procédure a lieu.  Être apte veut dire comprendre ce qui se passe, comprendre les accusations portées et être en mesure de donner des instructions à son avocat.  Aussi, sauf lorsque l’inaptitude porte sur une incapacité cognitive (ie : un retard mental) une personne inapte à subir son procès peut revenir apte 30 jours plus tard.  Pensons à la personne en état de choc, où à la personne qui a besoin de médication.
La question de la responsabilité criminelle se pose à la fin de la preuve présentée par le ministère public.  Il s’agit d’un moyen de défense.  C’est le fait, pour un accusé, d’avouer la commission du crime tout en se disant avoir été incapable de comprendre ce qu’il faisait, lorsqu’il le faisait.  Bien que cela soit très rare devant des accusations graves comme des accusations de meurtre, il est possible, et fréquent, que devant la preuve d’expert, la Couronne admette que la personne ait été malade au moment du crime et consente à la déclaration de non responsabilité.  Le procès n’aura alors pas lieu.
Ainsi, une personne peut très bien être apte à subir un procès, tout en prouvant, en bout de ligne, n’avoir pas eu l’intention criminelle requise pour être condamnée.  Cette personne se voit alors déclarée non criminellement responsable, malgré qu’elle ait été déclarée apte à subir le processus judiciaire.
À l’inverse, une personne peut être inapte, au moment des procédures qui débutent et tout au long de celles-ci, sans avoir été inapte au moment du crime.
C’est ainsi qu’il ne faut pas grimper dans les rideaux lorsqu’on apprend aux infos qu’un juge a envoyé un accusé se faire évaluer afin de déterminer s’il est apte ou inapte.  D’abord, il s’agit d’une mesure de prudence qui n’implique pas que l’accusé reviendra étiqueté « inapte ».  Ensuite, cela ne signifie pas qu’il sera inapte ad vitam ӕternam.  Enfin,  en cas d’inaptitude permanente, personne n’a intérêt dans une société civilisée à ce qu’une personne mentalement malade ou déficiente intellectuellement  subisse un procès auquel elle ne comprend rien et soit jetée en prison.   Pensons au scandale Simon Marshall qui a plaidé coupable à des accusations d'agressions sexuelles sans comprendre ce qui se passait... 
La folie, ce n'est pas une panacée.  la folie, c'est de la souffrance, même dans les sphères de la justice criminelle.

*  L'avocat de la défense est souvent "coincé" avec un client visiblement inapte, mais qui refuse systématiquement de se faire évaluer en psychiatrie (maladie mentale) ou en neuropsychologie (capacités cognitives). Souvent, dans l'intérêt de celui-ci, il faudrait arriver à la convaincre qu'il doit être évalué, mais c'est souvent vain.  Le juge peut ordonner d'office qu'un examen soit subi, mais c'est aussi bien souvent la Couronne qui, constatant le comportement de l'accusé, demande au juge à ce qu'il soit évalué.

mercredi 20 avril 2011

La folie et le crime

Combien de fois par année une polémique surgit-elle parce qu’on a peur qu’un accusé « se fasse passer pour fou» et soit ainsi libéré de tous ses tracas.
Dernièrement, de tels craintes ont été émises concernant les affaires de Jeff Sabres, de Jean-François Harrisson et, plus récemment, de Guy Turcotte.
Deux choses :
D’abord, la défense de trouble mental n’est pas si simple, et la preuve de la maladie doit être solide pour que le juge ou le jury y adhère.
Ensuite, la personne déclarée non criminellement responsable pour cause de trouble mental n’est pas renvoyée à la maison, soulagée,  comme un prisonnier qui revient du bagne avec son p'tit bonheur.
La preuve d'une réelle maladie ou d'un réel retard mental
Pour qu’une personne puisse bénéficier de l’article 16 du Code criminel sur la défense de trouble mental, cette personne doit prouver qu’au moment de l’acte fautif, elle était atteinte d’un trouble mental qui la rendait soit incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes (Je coupais une tête alors que j’étais certaine d’être en train de couper un pain), soit incapable de savoir que les gestes posés étaient mauvais (C’est le bon Dieu, ou Satan, ou Raël, qui m’a ordonné de le faire).
Cette preuve sera faite grâce à une preuve d'experts, et le juge des faits (c'est à dire le juge ou le jury) n'est pas lié par les conclusions des experts.  Pourquoi?  Parce qu'une personne peut être mentalement troublée au sens de la médecine, mais ne pas être aliénée au sens juridique.  Seuls les critères de l'article 16 du Code criminel comptent, c'est à dire la manière dont le juge comprend la preuve, à la lumière des analyses des experts, de la loi et de la jurisprudence.
Les conséquences
Il faut cesser de croire que c'est une bénédiction que d'être déclaré fou.
Une personne qui est déclarée non criminellement responable pour cause de trouble mental est référée à la Commission d'examen sur le troubles mentaux du Tribunal administratif du Québec.  Son sort est alors entre les mains de cet organisme et réévalue son cas ponctuellement.
Évidemment, plus le crime est sérieux, plus les risques que cette personne soit hospitalisée en psychiatrie sont élevés.  Cette hospitalisation est  d'une durée indéterminée, évidemment, puisqu'on ne laisse pas sortir un individu qui comporte un danger pour lui-même ou pour autrui.
Même si le crime, par exemple, est un crime pour lequel la peine maximale est de 5 ans, l'hospitalisation demeure indéfini (et non infinie, quand même!). 
**
Conclusion moralisante:  Il faut avoir un peu plus confiance en la justice, même s'il existe une tendance démagogique actuellement à taxer de guimauves les juges et leurs jugements, les juges et leurs sentences.  Une déclaration de non-responsabilité pour cause de trouble mental, c'est pas la joie.  Et si un accusé est déclaré non responsable criminellement par un juge ou un jury, que ce soit Sabres, Harrisson ou Turcotte, il faut partir du postulat que cette personne n'avait pas pas la capacité, au moment du crime, de former l'intention criminelle requise pour être déclarée coupable.
En pareil cas, la prison ne servirait strictement à rien, alors que l'aide et le traitement psychologique ou psychiatrique seront salutaires.  Salutaires pour le patient, et pour la société.



16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.
Présomption
(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.
Charge de la preuve
(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver
L'ouvrage de référence au Québec:
Hugues Parent, Responsabilité pénale et troubles mentaux: histoire de la folie en droit pénal français, anglais et canadien, collection Minerve, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999.

mardi 19 avril 2011

Le Code criminel et la mort

Plusieurs dispositions du Code criminel canadien sanctionnent le fait de causer la mort d'un être humain.  Cette mort peut être voulue, prévue, préméditée, ou être la conséquence d’un acte dont on devait savoir qu’il serait susceptible d’entraîner la mort.
Un petit débroussaillage peut être utile.

Le meurtre au premier degré 
C’est le fait de tuer quelqu’un de manière intentionnelle, délibérément, et de manière préméditée.  La préméditation est la planification du crime.  Le propos délibéré, c’est le fait d’y bien réfléchir, voire de peser le pour et le contre du geste avant d'agir.
C’est à la Poursuite qu’appartient le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments du crime, y compris la préméditation et le propos délibéré.
Il existe aussi des meurtres qui, même s’ils n’ont pas été prémédités et commis de propos délibéré, sont assimilés au meurtre au premier degré : 1) Le meurtre commis sur la base d’une entente monétaire, 2) le meurtre d’un policier dans l’exercice de ses fonctions, 3) le meurtre d’un employé de prison dans l’exercice de ses fonctions, 4) le meurtre commis pendant un détournement d’avion, 5) le meurtre commis pendant une agression sexuelle, 6) le meurtre commis pendant une séquestration (incluant la prise d’otage) 7) le meurtre commis dans un contexte d’harcèlement ou d’intimidation, 8) le meurtre commis dans le contexte d’activité terroriste et 9) le meurtre commis en association, sous la direction, ou au profit d’une organisation criminelle.
La peine imposée pour le meurtre au premier degré est automatiquement la prison à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 25 ans.   Il s’agit bien d’une possibilité, et non d’une libération automatique, contrairement à la croyance populaire.  Aussi, cette libération sera toujours conditionnelle au bon fonctionnement de l'individu en société et cet individu aura toujours des comptes à rendre à l'État.

Le meurtre au deuxième degré 
Tous les autres types de meurtres sont des meurtres au deuxième degré.
Il s’agit de tuer quelqu’un de manière intentionnelle, mais sans que le geste ne soit commis de propos délibéré ou qu’il n’ait été prémédité.  S’emparer d’une arme à feu et tirer sur quelqu’un dans l’intention de le tuer est un meurtre au deuxième degré.  Battre quelqu’un jusqu’à ce que la mort survienne est un meurtre au deuxième degré, car la personne est censée vouloir la conséquence de ses actes.
La peine pour le meurtre au deuxième degré est automatiquement la prison à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 10 à 25 ans, selon ce que le juge ou les parties auront décidé.  Comme pour le meurtre au premier degré, le fait que la personne devienne admissible à la libération conditionnelle, disons après 12 ans, ne signifie pas qu’elle l’obtiendra.  C’est alors à la Commission nationale des libérations conditionnelles de prendre la décision.
Dans les faits, la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle varie entre 10 et 20 ans.  Sauf erreur, on n’a jamais imposé une période d’inadmissibilité de 25 ans pour un meurtre au deuxième degré au Canada, sauf dans l’affaire Jean-Paul Bainbridge, mais la Cour d’appel avait révisé à la baisse et déclaré le meurtrier admissible à une sortie après 20 ans.

L’homicide involontaire
On a tendance à confondre l'homicide involontaire avec l’accident.  Mais l’accident n’est jamais un crime en droit canadien.
Il s’agit de causer la mort de quelqu’un en posant un acte illégal, potentiellement dangereux, c'est-à-dire de nature à causer des lésions corporelles.  La Poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable non pas que l’accusé savait que le geste illégal était susceptible de causer des lésions corporelles, mais qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation, aurait pu le prévoir.  L'exemple classique: le coup de poing au visage duquel résulte la mort.
La peine maximale pour l’homicide involontaire est une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Il n’y a pas de peine minimale, sauf si une arme à feu est utilisée lors de la commission de l’acte illégal, la peine étant alors d’au moins 4 ans.
Dans les faits, les peines pour un homicide involontaire sont très variées, se situant dans une fourchette de 5 à 15 ans.

La négligence criminelle causant la mort
La négligence criminelle,  c’est de montrer une insouciance déréglée ou téméraire pour la vie d’autrui, en accomplissant ou en omettant d’accomplir un geste.
Si cette négligence occasionne le décès d’autrui, la peine maximale imposée sera la prison à perpétuité, et la peine minimale est de 4 ans uniquement s’il y a usage d’une arme à feu.  Dans les autres cas, il n’y a pas de peine minimale.  Dans les faits, les peines pour une négligence criminelle causant la mort se situent dans une fourchette de 2 à 6 ans. 
La conduite dangereuse causant la mort
La conduite d’un véhicule à moteur de manière dangereuse pour le public, c’est-à-dire de manière déraisonnable selon les circonstances, peut se voir sanctionner par une accusation de conduite dangereuse.  Si cette conduite occasionne la mort d’un être humain, la peine encourue est de 15 ans maximum.  Dans les faits, la peine varie entre 12 mois et 5 ans.  
La Poursuite doit faire la preuve hors de tout doute raisonnable d’un écart marqué entre la conduite en cause et la conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.  Elle doit aussi faire la preuve hors de tout doute raisonnable du lien de causalité entre la conduite dangereuse et la mort.  Si, par exemple, malgré qu’il roulait à 200km/h dans une zone de 90km/h, l’individu a été coupé par une autre voiture, la Couronne n’arrivera pas à prouver que c’est la vitesse qui est responsable de la mort.

La conduite avec les facultés affaiblies causant la mort
Si on conduit un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies et qu’on cause la mort d’un être humain en commettant le crime, on risque un emprisonnement à perpétuité.  C’est dire la gravité objective du crime.
Toutefois, dans les faits, les peines varient je dirais entre 12 mois et 10 ans.  La récidive est évidemment un facteur qui fera augmenter la peine.

L'infanticide

C'est le fait, pour une femme, de mettre fin à la vie de son bébé alors qu'elle est en état de déséquilibre psychique des suites de l'accouchement ou de l'allaitement.  La peine maximale est 5 ans de réclusion.

Fait de tuer un enfant

Pour le reste, le fait de tuer un bébé ou un enfant est un homicide (involontaire ou non).  Il faut que ce bébé soit alors complètement sorti de sa mère, qu'il ait respiré ou non, qu'il ait une circulation indépendante ou non ou que son cordon ombilical soit coupé ou non.  La peine qui s'applique est celle de l'homicide involontaire, ou du meurtre, selon l'accusation portée.

Fait de tuer un bébé au cours de la mise au monde

"Est passible de l'emprisonnement à perpétuité" toute personne qui cause la mort d'un bébé pendant sa mise au monde, de telle sorte que si l'enfant avait été complètement né, cette personne aurait été trouvée coupable de meurtre.

Cet article à quiconque, y compris la mère.  Elle se distingue de l'infanticide en ce que la mort doit survenir pendant l'accouchement, et surtout en ce que l'état mental de la mère n'est pas en cause.  Il s'agit donc d'un meurtre.

Cet article n'est à peu près jamais utilisé au Canada.  On en a discuté dans la foulée des débats sur la légalité de l'avortement.


lundi 18 avril 2011

Infanticide

En droit criminel canadien, l'infanticide est le fait, pour une femme, de causer la mort de son bébé alors qu'elle n'est pas psychologiquement remise de la naissance de cet enfant ou de l'allaitement.  Il s'agit donc, en langage plus moderne, du fait de tuer son bébé en période de dépression post-partum.

Cette mort peut être causée par un acte ou par une omission, comme dans les cas de négligence criminelle.

On pourrait difficilement parler d'un infanticide devant le meurtre d'un bébé de plus d'un an1, mais il ne faut pas non plus confondre avec le geste de "néonaticide", geste habituellement commis dans les 24 heures de la naissance d'un enfant, qui n'existe pas en droit canadien et dont on a discuté en France dans la foulée de l'affaire Courjault.

On ne peut pas parler non plus d'infanticide lorsque le geste est posé par le père.  L'accusation en sera alors toujours une de meurtre.  Il est donc erroné de parler d'infanticides relativement aux gestes posés par le Dr. Guy Turcotte sur ces deux enfants.

Alors que la peine pour le meurtre est la prison à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 25 ans dans le cas du meurtre au premier degré, et avec une possibilité de libération conditionnelle après 10 à 25 ans dans le cas du meurtre au second degré, la peine pour le crime d'infanticide est de 5 ans maximum.

L'infanticide est une infraction moindre et incluse au crime de meurtre, ce qui signifie que, devant une accusation de meurtre, le juge ou le jury peut acquitter l'accusée de meurtre, mais la déclarer coupable d'infanticide2.  L'accusée devra alors avoir fait la preuve, un peu comme s'il s'agissait d'une défense de troubles mentaux, qu'elle était encore déséquilibrée au moment du drame en raison de l'accouchement récent.

***Ajout:  Pour ceux et celles qui m'accusent d'être féministe (ce que je suis, mais bon) et sexiste, le Code criminel est ainsi rédigé, et sa rédation n'a pas vraiment changé depuis 1922:
Article 233 - Infanticide:

Une personne de sexe féminin commet un infanticide lorsque, par un acte ou une omission volontaire, elle cause la mort de son enfant nouveau-né, si au moment de l'acte ou de l'omission elle n'est pas complètement remise d'avoir donné naissance à l'enfant et si, de ce fait ou par la suite de la lactation consécutive à la naissance de l'enfant, son esprit est alors déséquilibré.
Je serais étonnée que le législateur, dès 1922, ait été un grand féministe.  Il faut arrêter de délirer.  Cette disposition n'est pas contre les hommes.  Elle fait simplement prendre en compte un phénomène psychologique post-partum qui ne touche que les femmes, depuis la nuit des temps.

Aussi, le fait que le Docteur Turcotte ne puisse pas être trouvé coupable d'infanticide ne signifie pas qu'il n'a pas une défense de trouble mental valide et solide à faire valoir.

Une condamnation pour infanticide peut mener à une peine de prison maximale de 5 ans.  Une déclaration de non responsabilité criminelle pour cause de trouble mental, habituellement, mène le justiciable à l'hôpital psychiatrique pour une période indéterminé.

Ce billet visait simplement à corriger des erreurs entendues et lues chez certains journalistes judiciaires qui affirment que Guy Turcotte est accusé d'infanticide.  Dans le langage courant, certes, infanticide veut dire "tuer son enfant".  Mais on est ici -sur ce blog et dans le procès de guy Turcotte - en droit criminel canadien, et le crime d'infanticide ne peut pas être commis par un homme, pas plus qu'il ne peut être commis sur un enfant de 5 ans.

1.      R. c. Guimont, Cour d’appel du Québec, 1999.
2.      R. c. L.B., Cour d’appel de l’Ontario, 2011.

dimanche 17 avril 2011

Les modifications ultraconservatrices au Code criminel canadien – Partie 3

De nombreuses modifications au Code criminel ont vu le jour sous l’égide des conservateurs.  Parmi ces modifications, l’abolition de la peine de prison à purger dans la communauté pour les crimes qui répondent à la définition de « sévices graves contre la personne ».
A-t-on créé une peine minimale de prison pour tous les crimes contre la personne?


Le 30 novembre 2007 entrait en vigueur un article du Code criminel qui énonce désormais que la peine de prison dans la collectivité est ouverte seulement aux crimes autres que les « sévices graves contre la personne »1.
Or, la définition de « sévices graves contre la personne » est large et elle inclut toute forme d’emploi ou de tentative d’emploi de force contre une autre personne, ou toute « conduite » dangereuse ou susceptible d’infliger des dommages psychologiques2. 
Il n’est plus possible, donc, pour un juge, d’imposer une peine de prison dans la communauté pour un vol qualifié, une agression sexuelle simple, un voie de fait, non plus qu’il n’est possible pour les avocats de négocier en vue de l’imposition d’une telle peine.
La modification affecte le quotidien de tous les praticiens du droit criminel et rend impraticable le travail de détermination de la peine des juges, travail qui devrait davantage s’apparenter à un art délicat qu’à un job de bras. (Le juge Lamer dans la Cour suprême dans M. (C.A.))
Pourtant, le législateur n’a pas nommément exprimé l’idée que l'incarcération est un « starting point », il a seulement exclu la peine de prison dans la collectivité.  Que font les juges alors, pour ne pas imposer une peine excessive selon chaque cas?   Ils imposent une peine moindre.  Manière élégante de contourner ce qui devait sans doute être l’intention –illégale et cruelle- du gouvernement conservateur.
En effet, si le juge est face à un délinquant mineur, qui a commis un délit mineur, qui fait preuve de remords et qui, selon les expertises,  ne récidivera jamais, on ne lui imposera pas une peine de prison.  Mais, la « prison-maison » n’était plus disponible, on imposera une peine différente, comme une probation, des travaux communautaires, une amende etc. qui sont toutes des peines moins lourdes.
C'est dire que la conséquence de cette loi est illogique.  Alors qu’on interdit la prison dans la communauté pour un crime donné, le juge imposera peut-être une peine moindre, pour le même crime, alors qu’il aurait mis le contrevenant en prison à la maison avant la modification.
Ce phénomène n’est pas rare ni isolé, il est généralisé.  Les juges sont convaincus d’avoir toujours la discrétion d’imposer une probation, par exemple, même s’ils n’ont plus le droit d’imposer une peine de prison dans la communauté.  La juge Danielle Côté a d’ailleurs rendu deux décisions intelligemment motivées à ce propos3.
En mars dernier, dans La Reine c. Perry, le juge Valmont Beaulieu de St-Jérôme a plutôt déclaré inconstitutionnelle cette disposition du Code qui lui lie les mains et qui l’empêche de traiter le contrevenant avec discernement et suivant les principes de détermination de la peine.
Dans la foulée de la campagne électorale, on a même qualifié de dégoûtants les propos de l’ancien juge Reily qui, référant à ces modifications, a dit qu’une agression sexuelle n’était pas toujours excessivement grave.  Yves Boisvert a écrit un texte à ce sujet :  « Quand la vérité devient dégoûtante ».
Il faut déambuler dans les palais de justice ne serait-ce qu’une journée pour comprendre que le juge Reily a raison, et que tous les crimes contre la personne ne sont pas des crimes subjectivement graves, bien qu’il faille les dénoncer.
Il faut comprendre qu’un voie de fait peut être une tape sur la joue d’un parent à son « enfant » de 22 ans, il faut comprendre qu’une agression sexuelle peut être une main sur une fesse aussitpot enlevée sans avoir obtenu la permission préalable.  Des gestes inadmissibles lorsqu’ils ne sont pas désirés, évidemment, mais qui ne nécessitent habituellement pas une période d’incarcération pour que le contrevenant réfléchisse.
La modification au Code criminel, si elle était préservée et interprétée par les tribunaux comme une véritable peine minimale de prison pour tous ces crimes, comporte deux risques : l’emprisonnement inutile pour la majorité des justiciables qui font face à des accusations criminelles, mais aussi l’acquittement dans un contexte où la personne aurait normalement été condamnée, puis sanctionnée délicatement.

1.  Article 742.1
2.  Article 752
3. Rahmoun 2009, Boutin 2010.

Ajout:  Je vous invite à lire cet article http://www.droit-inc.com/article5557-Menteurs-les-conservateurs-disent-des-avocats

mercredi 13 avril 2011

Les modifications ultraconservatrices au Code criminel canadien – Partie 2

De nombreuses modifications au Code criminel ont vu le jour sous l’égide des conservateurs.  Parmi ces modifications, l’imposition d’une peine minimale de 4 ans si une arme à feu* est utilisée lors de la commission de l’infraction

Pourquoi il est inadmissible que de telles peines minimales existent?

Les juges sont là pour décider de la peine appropriée qui doit être imposée à chaque délinquant.  L’imposition d’une peine minimale occasionnera, inévitablement, le prononcé de peines strictement punitives, mais totalement inappropriées à chaque cas.
Il existe un type de contrevenants, par exemple les jeunes et les toxicomanes, ou encore ceux pour qui il s’agit de la première offense, que la prison pourrait anéantir.  La mise à l’écart est parfois nécessaire, et salutaire, entre autres pour protéger la société.  Mais dans une optique de réhabilitation et de réinsertion, la prison peut s’avérer désastreuse.  Une « Fabrique de délinquants » disait Foucault (Surveiller et Punir).
Obliger le juge à imposer une peine de 4 ans est injuste, inhumain et c’est contraire à tous les principes de détermination de la peine qui existent en Common Law et qui sont codifiés au Code criminel aux articles 718 et suivants.
Un cas d’espèce pour illustrer?  Léandre* va commettre un vol  avec ses amis Mathieu et Loïc.  Une folie de fin de beuverie qui ne leur ressemble pas,  non plus que cela ressemble  à l’éducation qu’ils ont reçue.  L’un des amis, Loïc, porte un fusil à plomb, tout le monde le sait, il l’a toujours sur lui en vue de se défendre.  Au cours du vol, Loïc décide de tirer avec son arme, pour faire peur.  Peu importe où il tire, l’arme a été utilisée.  En raison des règles sur la complicité, et en raison de la modification ultraconservatrice au Code criminel, tous devront partir au pénitencier pour 4 ans, le juge n’ayant plus aucune discrétion, même si c'est un cas manifeste où ce même juge aurait jadis imposé une peine de prison dans la collectivité, une peine de prison de fin de semaine, des travaux communautaire, ou encore une peine de détention de 6 mois...  La gamme était vaste, elle ne l'est plus.
Qui décide des peines? 

*Le fusil à plomb est une arme à feu au sens du Code criminel
** Les noms ont été modifiés

Les modifications ultraconservatrices au Code criminel canadien – Partie 1


De nombreuses modifications au Code criminel ont vu le jour sous l’égide des conservateurs.  Parmi ces modifications, l’abolition de la computation en double du temps purgé en détention provisoire.
Pourquoi le temps purgé par un accusé pendant les procédures
comptait-il en double, le plus souvent?
Parce que cet accusé détenu est encore présumé innocent.   Il faut comprendre que la remise en liberté est la règle, et que la détention est l’exception…  Détenir quelqu’un avant même qu’il n’ait subi son procès peut choquer, surtout quand on pense à la possibilité d’acquittement ou à toute autre forme de libération comme le retrait des accusations ou l’arrêt des procédures.
Parce que la détention du prévenu est plus aride que la détention du condamné : les accusés sont trimballés n’importe quand et n’importe comment d’une prison à l’autre, ils ne bénéficient d’aucun programme de réinsertion, de toxicomanie, de contrôle de la colère etc. Pendant cette période, les visites-contacts sont rares, bref, les conditions de détention sont, pourrait-on dire, doublement plus difficiles à vivre.
Parce que les libérations conditionnelles ne tiennent pas compte du temps passé en détention préventive dans leurs calculs pour accorder une sortie au tiers de la sentence, par exemple.  Cela signifie qu’une fois condamné, l’individu qui a reçu une peine identique à son co-détenu, mais mais après avoir passé 2 ans en détention préventive, restera en prison plus longtemps que ce co-détenu qui a été libre pendant les procédures.  Incohérence.  Inéquité.
Enfin, et je reprends les paroles si sensées de la juge Louise Mailhot « Parce que l’accusé (…) est placé dans une situation d'incertitude face au résultat ultime de son procès et n'est pas alors toujours dans l'état mental requis pour entreprendre un processus de réhabilitation »*. 
Les conservateurs ont enlevé aux juges un pouvoir discrétionnaire qui leur permettait de prononcer des sentences plus logiques, et plus justes.  Ils ont aussi enlevé aux parties une bonne raison de négocier un plaidoyer de culpabilité, s’il y a lieu, alourdissant ainsi le processus judiciaire déjà complexe et couteux.

*    R. c. Masse, [1996] R.J.Q. 564

samedi 9 avril 2011

Chacun a le droit inaliénable d'être une ordure

Je représente des accusés de crimes, graves et moins graves, et aussi des gens condamnés à purger des peines, sévères et moins sévères.  Il va sans dire que je respecte tous les droits de mes clients, droits que je défends au quotidien, du mieux que je peux, le plus souvent envers et contre tous.

Lorsqu’on est condamné pour un meurtre au deuxième degré, au Canada, on reçoit automatiquement une peine de prison à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 10 à 25 ans, selon le cas.  J’insiste sur « possibilité » et « conditionnelle »,  car cette libération n’est jamais automatique dans le cas d’un meurtre, et elle n’est jamais inconditionnelle. 

Lorsqu’on commet un meurtre et qu’on est condamné pour un crime moindre, comme l’homicide involontaire, soit faute de preuve de l’intention de tuer, soit parce qu’on a négocié un plaidoyer de culpabilité, entre autres pour éviter un procès, on risque la prison à perpétuité, mais dans les faits on reçoit une peine de 5  à 12 ans de prison, environ, je n’ai pas fait de statistiques.

Grossièrement, lorsqu’un individu reçoit une peine clémente de 5 ans de prison pour un homicide involontaire, c’est qu’il s’agissait réellement, factuellement, d’un homicide involontaire.  L’exemple du coup de poing qui tourne mal.  Le geste commis par Bertrand Cantat, c’est un meurtre au second degré, parce que chaque personne est sensée avoir prévu la conséquence de ses actes.  Démolir le visage de quelqu’un à coups de poing, lui liquéfier le cerveau à force de secousses, ce n’est pas un homicide involontaire, c’est un meurtre au deuxième degré, c’est –à-dire un meurtre non prémédité.

Est-ce que Bertrand Cantat aurait pu, au Canada, être condamné pour un homicide involontaire malgré une accusation initiale de meurtre?  Bien sur.  Entre autres en invoquant –et en prouvant- son intoxication comme moyen de défense, niant ainsi l’intention spécifique de tuer.  Ou encore  en avouant sa culpabilité, en plaidant coupable, en évitant un procès.  Pourquoi sommes-nous plus cléments lorsqu’intervient un plaidoyer de culpabilité?  Parce qu’en principe il fait preuve de repentir, et qu’il n’y a pas de réhabilitation sans repentir.  Aussi parce que le plaidoyer de culpabilité évite à la société les coûts du procès, et à la victime ou à sa famille le coup du procès.  Voilà pour le droit de la sanction pénale en matière d’homicides, volontaires ou involontaires, au Canada et, plus généralement, en Common Law.

Maintenant, rien n’interdit à la personne libérée d’un crime de travailler, pour autant que le travail n’est pas lié à l’antécédent judiciaire.  Un pédophile ne peut jamais travailler dans une garderie.  Un fraudeur ne peut jamais travailler dans une banque.  Il s’agit d’exceptions à l’interdiction de discrimination fondée sur les antécédents judiciaires.

Personne ne prétend que Bertrand Cantat n’a pas le « droit » de faire de la musique, ou même de monter sur une scène.   L’analyse selon laquelle il a le droit, Mouawad a le droit, Pintal a le droit, tout comme nous avons le droit de ne pas apprécier, est une analyse simpliste.  Aussi simpliste est ce laïus seriné depuis trois jours qu’il a « payé sa dette  envers la société ».  Ça ne veut rien dire, avoir payé sa dette, car c’est relatif à l’opinion et aux émotions du créancier que nous sommes comme citoyens.  D’ailleurs, parmi ceux qui scandent que Bertrand Cantat a payé sa dette, nombreux sont ceux qui jugent que Vincent Lacroix n’a pas payé la sienne.   L’un a été condamné à huit ans de réclusion pour un meurtre et en a purgé trois; l’autre a été condamné à douze ans de réclusion pour une fraude et en a purgé deux. 

À partir du moment où quelqu’un est libéré de sa peine, oui, il a presque tous les droits.  Mais la décence, l’empathie, le bon goût, le savoir vivre, le savoir être, le repentir, le respect, j’en passe et j’en oublie, ne relèvent pas du droit, ils relèvent de l’éthique, et je dirais même du bon sens.

Bertrand Cantat qui se produit en spectacle, Bertrand Cantat qui se vautre sous les projecteurs, Bertrand Cantat qui cherche les applaudissements; Wajdi Mouawad qui l’invite à le faire,  Lorraine Pintal qui le lui permet et le TNM qui le paye,  ça relève d’un manque de bon goût  et de bon sens. 

Mais il n’y a aucune loi contre la dégueulasserie.  Oui,  ce geste de faire monter Cantat sur les planches d’un grand théâtre huit ans après un tel homicide est une dégueulasserie, envers la victime, la mémoire de la victime devrais-je dire, envers sa famille, envers les autres victimes de telles violences, et même envers les enfants de Cantat qu’on expose injustement à ce spectacle violent.

Je ne suis pas miséricordieuse?  Je pratique en droit criminel depuis 10 ans.  Et je n’ai jamais ressenti cette sympathie, je n’ai jamais entendu le moindre cri en faveur d’aucun de mes clients qui pourtant n’ont jamais osé manquer autant de dignité.  J’ai un jeune client actuellement qui a presque fini de purger sa peine en maison de thérapie et qui vient d’apprendre qu’il ne pourra jamais réaliser son rêve de devenir ambulancier  en raison de son antécédent judiciaire de vol qualifié.  Où sont vos protestations, bonnes gens?

Elle me fait rire, Lorraine Pintal, avec la grandeur d’âme de son pardon.  Elle me fait rire, Lysanne Gagnon, avec son plaidoyer en faveur de la liberté.  Il me fait rire, Patrick Gauthier, avec son éloge de l’artiste mal aimé.  Votre pardon, votre croyance en la réhabilitation, votre parti pris pour la liberté, ne sont qu’un mouvement de l’élite, pour l’élite.   Même chose pour le coup de provocation de Wajdi Mouawad : hypocrisie bourgeoise.

La réhabilitation, c'est de cesser le cycle de la délinquance; La réinsertion, c'est de réintégrer la société; Le repentir, c'est le repentir...   Se foutre sous les projecteurs en cherchant les applaudissements laisse quiconque songeur quant au repentir. Parce qu'il y a quelque chose d'inexorablement indécent pour la famille de la victime, et de toutes les autres victimes, dans ce geste ostentatoire, et attentatoire.

« Je souhaite qu’il ne refasse jamais carrière en France » avait dit en 2008 Jean-Louis Trintignant, le père de la défunte.  Si Cantat était réhabilité, il aurait entendu, et respecté.

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Ajout, 8 juin 2011:

Sur le Blogue de Hervé Ritable, un billet qui dit exactement, en d'autres mots, ce que j'ai voulu dire:

"Alors que les choses soient claires !
Je ne demande pas à Bertrant Cantat de ne plus créer ou de ne plus être un artiste, je lui demande uniquement un peu de pudeur et de dignité. Cantat, homme public a choqué l’opinion en assassinant Marie Trintignant. Même s’il a payé, il devrait de lui-même, pour lui, pour ses enfants, faire preuve d’humilité, de décence, de bon sens et de réserve en évitant les apparitions publiques malsaines."