mercredi 20 avril 2011

La folie et le crime

Combien de fois par année une polémique surgit-elle parce qu’on a peur qu’un accusé « se fasse passer pour fou» et soit ainsi libéré de tous ses tracas.
Dernièrement, de tels craintes ont été émises concernant les affaires de Jeff Sabres, de Jean-François Harrisson et, plus récemment, de Guy Turcotte.
Deux choses :
D’abord, la défense de trouble mental n’est pas si simple, et la preuve de la maladie doit être solide pour que le juge ou le jury y adhère.
Ensuite, la personne déclarée non criminellement responsable pour cause de trouble mental n’est pas renvoyée à la maison, soulagée,  comme un prisonnier qui revient du bagne avec son p'tit bonheur.
La preuve d'une réelle maladie ou d'un réel retard mental
Pour qu’une personne puisse bénéficier de l’article 16 du Code criminel sur la défense de trouble mental, cette personne doit prouver qu’au moment de l’acte fautif, elle était atteinte d’un trouble mental qui la rendait soit incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes (Je coupais une tête alors que j’étais certaine d’être en train de couper un pain), soit incapable de savoir que les gestes posés étaient mauvais (C’est le bon Dieu, ou Satan, ou Raël, qui m’a ordonné de le faire).
Cette preuve sera faite grâce à une preuve d'experts, et le juge des faits (c'est à dire le juge ou le jury) n'est pas lié par les conclusions des experts.  Pourquoi?  Parce qu'une personne peut être mentalement troublée au sens de la médecine, mais ne pas être aliénée au sens juridique.  Seuls les critères de l'article 16 du Code criminel comptent, c'est à dire la manière dont le juge comprend la preuve, à la lumière des analyses des experts, de la loi et de la jurisprudence.
Les conséquences
Il faut cesser de croire que c'est une bénédiction que d'être déclaré fou.
Une personne qui est déclarée non criminellement responable pour cause de trouble mental est référée à la Commission d'examen sur le troubles mentaux du Tribunal administratif du Québec.  Son sort est alors entre les mains de cet organisme et réévalue son cas ponctuellement.
Évidemment, plus le crime est sérieux, plus les risques que cette personne soit hospitalisée en psychiatrie sont élevés.  Cette hospitalisation est  d'une durée indéterminée, évidemment, puisqu'on ne laisse pas sortir un individu qui comporte un danger pour lui-même ou pour autrui.
Même si le crime, par exemple, est un crime pour lequel la peine maximale est de 5 ans, l'hospitalisation demeure indéfini (et non infinie, quand même!). 
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Conclusion moralisante:  Il faut avoir un peu plus confiance en la justice, même s'il existe une tendance démagogique actuellement à taxer de guimauves les juges et leurs jugements, les juges et leurs sentences.  Une déclaration de non-responsabilité pour cause de trouble mental, c'est pas la joie.  Et si un accusé est déclaré non responsable criminellement par un juge ou un jury, que ce soit Sabres, Harrisson ou Turcotte, il faut partir du postulat que cette personne n'avait pas pas la capacité, au moment du crime, de former l'intention criminelle requise pour être déclarée coupable.
En pareil cas, la prison ne servirait strictement à rien, alors que l'aide et le traitement psychologique ou psychiatrique seront salutaires.  Salutaires pour le patient, et pour la société.



16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.
Présomption
(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.
Charge de la preuve
(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver
L'ouvrage de référence au Québec:
Hugues Parent, Responsabilité pénale et troubles mentaux: histoire de la folie en droit pénal français, anglais et canadien, collection Minerve, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999.

4 commentaires:

  1. Super résumé qui j'espère va permettre de démystifier la défense de troubles mentaux et de faire comprendre que plaider la folie n'est pas nécessairement une solution ;)

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  2. À lire ce matin. le blog d'Yves Boisvert:

    http://blogues.cyberpresse.ca/boisvert/2011/04/21/turcotte-pourquoi-un-proces/

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  3. J'aimerais que tout le monde puisse lire ce texte. Sur plusieurs forums, la plupart des gens croient Guy Turcotte coupable d'avoir tuer ses enfants par vengeance. Ils le traitent de narcissique et n'ont aucune empathie pour lui. Moi, j'ai hâte de connaître les opinions des experts avant de me faire une idée sur l'étendu de sa responsabilité. J'ai tendance à croire qu'il a perdu la tête et qu'il n'a jamais eu l'intention criminelle de tuer ses enfants.

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  4. Et quand est-il des cas où la personne refuse l'aide et le traitement psychologique ou psychiatrique sous prétexte qu'elle est correct maintenant. C'est normal de laisser une personne libre, considérant qu'il a tué ses enfants d'une violente extrême, moins d'un an après que l'acte fut posée. Et surtout, de croire que celle-ci peut mener une vie normale et ne plus représenter un danger pour la société?

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