samedi 13 avril 2013

À propos de la belle Rehtaeh Parsons


Le Premier ministre Harper aurait dit qu’il est temps de cesser d’appeler «intimidation» ce qu’a vécu Rehtaeh Parsons avant de s’enlever la vie.  Dans la mesure où je n’ai pas lu les messages qu’elle recevait en privé, je ne peux pas commenter quant à d'éventuels gestes d’intimidation dont elle aurait pu être victime.  Sauf que je ne vois pas en quoi le fait de cesser de parler d’intimidation nous aidera à mieux intervenir, collectivement, devant de telles tragédies.

Le Premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Darrell Dexter, a ajouté qu’il fallait modifier le Code criminel sans donner plus d’explication sur cette opinion déroutante.  Déroutante parce qu’elle nous fait dévier du problème. Un problème criant.  Alors ce n'est certainement pas en bifurquant de la bonne trajectoire de réflexion qu'on arrivera au bout du parcours avec une solution.

Modifier le code criminel?  Pour quoi faire?  Pour faire peur aux gens, de la main droite, des dangers existants dans notre monde scabreux et contre lesquels nous n'aurions actuellement aucun pouvoir vu la mollesse du droit, tout en les rassurant, de la main gauche, en créant de nouvelles infractions réconfortantes?

Ça me fait penser au parent toxique qui rend malade son enfant pour mieux se faire aimer en le soignant par la suite.

Le Code criminel canadien, tel qu’il est actuellement conçu, a tout ce qu’il faut pour que les policiers interviennent lorsqu’une belle Rehtaeh Parsons vit ce qu’elle a vécu.

→  L’agression sexuelle est un crime passible de dix ans de prison qui fait l’objet d’accusations quotidiennes dans tous les districts judiciaires du pays.  Article 271 du Code criminel.

→  L’agression sexuelle commise par plus d’une personne est une agression sexuelle du second degré, plus grave encore donc,  et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.  Article 272 du Code criminel.

→  Encourager la commission d’une agression sexuelle en prenant des photos fait du photographe un complice aussi coupable que les agresseurs principaux et passible de la même peine.  Article 21 du Code criminel.

→  (Parenthèse, juste au cas : une adolescente saoule ou gelée ne peut pas consentir à avoir des relations sexuelles, tout simplement parce qu’elle est incapable de former le consentement requis.  Article 273.1 du Code criminel.)

Et après…

→  Prendre des photos d’une adolescente qui se fait violer constitue de la production pornographie juvénile passible d’une peine maximale de dix ans.  La peine minimale est d’un an de prison.  Article 163.1 (2) du Code criminel.

→  Publier des images, sur Facebook ou ailleurs, d'une adolescente qui a des rapports sexuels, qu'ils soient consensuels ou non,  diffuser ces images par courriel ou par textos, et même les distribuer en classe ou au parc, constitue de la publication de pornographie juvénile, crime passible de dix ans de prison,  la peine minimale étant d’une année.  Article 163.1 (3) du Code criminel.

→  Le simple fait de posséder, dans sa poche de jeans, dans son cellulaire ou dans son ordinateur,  des photos d’une mineure qui se fait agresser sexuellement (ou qui a des rapports sexuels consensuels) constitue de la possession de pornographe juvénile, crime passible de cinq ans de prison, la peine minimale étant de six mois d’emprisonnement.  Article 163.1 (4) du Code criminel.

→  Écœurer une jeune femme par courriel, pas message privé, sur Facebook ou ailleurs, en lui faisant craindre pour sa sécurité –y compris sa sécurité psychologique - constitue du harcèlement criminel, crime passible d’une peine maximale de dix ans.  Article 264 du Code criminel.

→  Menacer une adolescente de pires représailles si elle porte plainte, ou lui faire subir quelque autre chantage pour la forcer à faire ou ne pas faire quelque chose qu’elle aurait légalement le droit de faire constitue un crime d’intimidation passible de cinq ans d’emprisonnement. Article 423 du Code criminel.

→  Écrire, sur Facebook ou ailleurs, qu’une adolescente qui a été violée est une putain constitue un libelle diffamatoire, crime passible de deux ans de prison.  Article 298 du Code criminel.

→  Répandre la nouvelle qu’une adolescente est une putain alors qu’on l’a violée constitue un libelle délibérément faux, crime passible de cinq ans de prison.  Article 300 du Code criminel.

Je vais m’arrêter ici parce que j’ai envie de pleurer.  Je suis rendue à un acte d’accusation ayant pu comporter 11 chefs d’accusation et combien d’accusés-es, outre les quatre jeunes hommes photographiés lors du viol collectif?  Cent? Deux-cent? Mille?

Alors qu’on cesse de dire que nous sommes mal protégés et que les lois doivent être amendées.

Suffit d’agir quand il est encore temps.

*Billet publié originalement sur mon blogue du Voir:  http://voir.ca/veronique-robert/

samedi 6 avril 2013

Pawluck, mot-clic, harcèlement et liberté d’expression


Je n’allais certainement pas bloguer sur Jennifer Pawluck et sur l’accusation à laquelle elle fera peut-être face.  De peur de lui nuire, de peur de me mêler d’une enquête en cours, de peur de donner l’impression que j’applaudis son arrestation.

Mais voilà que les débordements d'opinions et d'argumentations loufoques me donnent envie de mettre quelques petites notions de droit au clair.

Jennifer Pawluck est cette jeune femme qui a été arrêtée pour avoir diffusé sur Instagram un graffiti représentant un porte-parole du Service de police de la ville de Montréal avec un trou de projectile entre le deux yeux, image accompagnée de quelques mots-clic agressifs.

Harcèlement criminel

D'entrée de jeu, on confond les crimes de menaces, de harcèlement, d'intimidation et de propagande haineuse.  Le seul point commun de ces quatre crimes, c'est qu'ils visent la protection de la sécurité psychologique des personnes, et qu'ils existent sans que des gestes ne soient posés.  La parole suffit, le message suffit, l'intention suffit.  Et attention, pas n'importe quelle intention, et surtout pas l'intention de battre ou de tuer.

Jennifer Pawluck a été arrêtée pour harcèlement criminel, pas pour menace ni intimidation et encore moins pour propagande haineuse*.


Le harcèlement criminel, donc, est le fait d’agir à l’endroit d’une personne, sachant que cette personne se sent harcelée ou en étant insouciant quant au fait qu'elle se sente harcelée. Voilà pour l’intention coupable, qu’on appelle mens rea, du crime de harcèlement : c’est  le fait de savoir que notre geste harcèle la personne visée, ou de ne pas s’en soucier.  Tout ceci doit être prouvé hors de tout doute raisonnable, ce qui n’est pas une mince affaire.

Mais il faut cesser de dire que Jennifer Pawluck n’a pas voulu battre Ian Lafrenière. Rien dans le crime de harcèlement n’impose à quiconque le fardeau de prouver que la personne qui harcèle le fait dans un dessein particulier.  Il faut simplement, je le répète, que la personne sache que son comportement fait craindre, ou qu’elle s’en fiche.

Concernant le plaignant, pour que l’infraction soit prouvée et ce, encore une fois, hors de tout doute raisonnable, il faut qu'il ait été raisonnable, dans les circonstances particulières de l'affaire, de se sentir harcelé.  On se place alors dans la peau de la personne raisonnable et on se demande si, placée dans le même contexte, elle  aurait eu raison de se sentir harcelée.

Et c’est quoi, se sentir harcelé? Les tribunaux ont défini la crainte suscitée par le harcèlement comme étant plus qu’un simple agacement.  On a donné comme synonymes «tourmenté», «troublé», «inquiet»[2].  «Tormented, troubled, worried, plagued, bedeviled and badgered»[1]

Nul besoin que le geste harcelant soit répétitif, si on lit bien les paragraphes c) et d) de la disposition.  Seuls les paragraphes a) et b) exigent une notion de répétition[3].

Je n’ai pas vu la promesse de comparaître de Jennifer Pawlock, mais il est évident que c’est le dernier paragraphe qui fait l’objet de la plainte c'est-à-dire «se comporter de manière menaçante».  Ce qui ne veut pas dire qu’il faut faire le saut théorique vers le crime de menace.  C'est encore autre chose.

Pour résumé, les seules questions juridiques qu’on peut se poser[4], dans cette affaire, sont les suivantes : l'accusée savait-elle que le policier en question se sentirait harcelée, s’en fichait-elle, et ce policier a-t-il eu raison de se sentir harcelé.  Si Jennifer Pawluck est poursuivie  - car je rappelle qu’on est à l’étape de la plainte policière et qu’aucune accusation n’a encore été portée, c’est là-dessus que se jouera son procès.  Sur rien d’autre.  Personne, aucun juriste, ne va invoquer sa liberté d’expression, de la même manière que si un mec dit à sa femme «j’vas te tuer ma tabarnak», l’avocat de la défense ne dit pas «c’est sa liberté d’expression, madame la juge».

La liberté d'expression ne protège pas toutes les formes d'expression.  Elle ne protège pas la propagande haineuse, l'incitation au génocide; Elle ne protège pas le harcèlement, ne protège pas l'obscénité, ne protège pas la pornographie juvénile (même en dessin), ne protège pas la menace ni l'intimidation.

Mot-clic

Il est évident qu’un mot clic peut comporter un message harcelant.  Comme il peut comporter une menace, des propos haineux, de la propagande haineuse.  Un mec qui écrirait sur Twitter «#CeSoirJeTueMaFemme» serait certainement visité par les policiers, et probablement arrêté, détenu jusqu’au lendemain, et accusé de menace de mort.  Pensiez-vous vraiment qu’il serait à l’abri d’une accusation pénale parce qu’il place un croisillon devant son message?

J’ai eu un client qui, dans la foulée du printemps, avait été accusé de menaces de mort pour trois tweets.  L’un portait le mot-clic #VivaCopsKillers accompagné d’une vidéo de krav maga.  L’autre disait qu’il avait pratiqué le krav maga avec des policiers et que c'était chouette de leur faire mal.  Le dernier semblait inciter les étudiants à frapper les policiers. Tout s’est bien terminé pour lui au tribunal, mais jamais il ne me serait venu à l’esprit de beugler «LibÂrté».

Et les journalistes
Et pour finir, la chose la plus rigolote qu’on ait pu lire entourant l’arrestation de Jennifer Pawluck, c’est que les médias devraient aussi être accusés parce qu’ils ont reproduit l’image.

Le droit criminel pénalise l’intention mauvaise.  Le journaliste qui reproduit l’image le fait pour informer, pas pour harceler.  De la même manière, de nombreux internautes, sur Facebook entre autres, ont reproduit le graffiti en appui à Jennifer Pawluck, non pas pour harceler.

Jennifer Pawluck n'a peut-être pas voulu harceler, elle non plus, j'en conviens.  Mais il faut cesser de délirer, quand même.




* Pour une raison bien simple, il est impossible d’être accusé de propagande haineuse contre des policiers puisqu’ils ne font pas partie d'un groupe visé par ce crime dans la définition du Code criminel.

[1] R. v. Sillipp, 1997 CanLII 10865

[2] R. c. Bertrand, 2001 QCCA 1412

[3] Voir aussi les arrêts KohlO’ConnorHyraKosikar.

[4] On peut toutefois se poser bien des questions politiques.  Entre autres : est-ce que tous les militants étudiants sont espionnés en permanence par le SPVM sur leurs comptes Twitter, Facebook et Instagram…

* Billet paru initialement sur mon blogue du Voir: http://voir.ca/veronique-robert/

samedi 23 mars 2013

Avoir peur de la police, pas des manifs


Ce matin, dans La Presse, on pouvait lire ceci:
«Depuis les trois dernières manifestations, nous intervenons plus rapidement, a confirmé le sergent Jean-Bruno Latour, porte-parole du SPVM. Il ne faut pas prendre en otage les citoyens qui veulent venir au centre-ville de Montréal. Le Charte [des droits et libertés] protège le droit d'expression, mais il n'y pas de droit de manifestation»
Cette assertion aussi hurluberlue qu'affolante, alarmante, effrayante d’un policier du Service de police de la ville de Montréal mène à deux constats: Le premier, les policiers devraient impérativement suivre plus de cours de droit dans le cadre de leur formation. Le second, ça ne va pas du tout au Québec actuellement, et ça fait peur.

La Charte canadienne des droits et libertés, qui est le document de protection des droits fondamentaux régissant les rapports entre l’État et les individus, protège clairement le droit de manifester.


Protection, donc, de la liberté de conscience, de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression.  Protection, en sus, de la liberté de réunion pacifique et de la liberté d’association.  Une association, et une réunion pacifique, sont entre autres des modes de transmission de cette expression.

Ces droits garantis par la Charte sont aussi garantis dans tous les documents de protection des droits fondamentaux au monde.  Oui, oui, au monde.

La Déclaration universelle des droits de l’homme, qui n’a pas force de loi mais qui demeure une magnifique déclaration de principe à laquelle le Canada a adhéré en 1948 énonce ceci :
«Article 19 : Tout individu a le droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir, et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit».
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont le Canada est signataire, énonce non seulement le droit à la liberté d’expression, mais aussi les limites légales des restrictions à ce droit :
1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Une loi, un règlement d’un État signataire, peut donc restreindre le droit à l’expression et le droit à la réunion pacifique, pour autant que la restriction soit nécessaire pour assurer la sécurité de la nation.

Ce type de restriction est d’usage, et normal, dans une société libre et démocratique.  Au Canada, une telle restriction prend place à l’article premier de la Charte.  L’exemple le plus facile à comprendre est celui de la propagande haineuse.  La liberté d’expression, oui, mais pas au point de protéger le droit à l’expression de la haine publique dangereuse. C'est ainsi que les dispositions qui criminalisent la propagande haineuse sont des restrictions raisonnables au droit à la liberté d'expression.

Il est évident que la participation active à une émeute ne fait l'objet d'aucune protection constitutionnelle. Il en va autrement de la participation à une manifestation.

Mais pour revenir au Pacte civil, le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété, en 2005, des arrestations de masse au Canada, plus particulièrement au Québec, plus particulièrement à Montréal, arrestations de masse qui, par définition, violent le droit à la liberté d’expression[1].
Le Comité a entre autres émis le constat suivant :
L'état partie devrait veiller à ce que le droit de chacun de participer pacifiquement à des manifestation de protestation sociale soit respecté et à ce que seuls ceux qui ont commis des infractions pénales au cours d'une manifestation soient arrêtés. 
Le Comité des droits de l’homme a, du même souffle, recommandé que le Canada mène une enquête publique sur les interventions de la police de Montréal pendant les manifestations et demandé à recevoir des informations sur l’article 63 du Code criminel qui prohibe l’attroupement illégal.

C’était il y a huit ans.  Rien n’a changé.  Pire, tout s’est envenimé.

Quand des policiers viennent dire sans gêne sur la place publique que le droit de manifester n’est pas un droit fondamental, il y a vraiment de quoi s’inquiéter alors inquiétons-nous.  (Et manifestons?)

Le Règlement P-6 de la ville de Montréal (Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public ) doit faire l’objet d’une contestation devant les tribunaux, certes, puisque l’obligation de donner l’itinéraire d’une manifestation à l’avance, tout comme l’interdiction de se déguiser ou de se protéger le visage lors d’une manifestation doivent être étudiés juridiquement.  Mais c'est surtout, dans le contexte actuel, l'application de ce règlement, et son interprétation, par le SPVM, qui doit faire l'objet d'une contestation.

Les organismes de défense des droits, dont la Ligue des droits et libertés, s’opposent à ce règlement.  L’Association des juristes progressistesen demande l’abrogation immédiate.  Le Barreau du Québec a aussi pris position contre cette mesure excessive qu'est le Règlement P.-6.

Que des jeunes, et des moins jeunes, reçoivent des contraventions de 614 dollars pour avoir participé à des assemblées publiques fait peur.  Que des mouvements de protestation soient brimés dès lors qu’ils se forment fait peur.  Que des policiers détiennent massivement des citoyens pour rien fait peur.  Qu’on confonde interpellation policière et arrestation arbitraire pour avoir exercé un droit constitutionnel fait peur.

Ce qui fait peur, à Montréal, actuellement, c’est la police avec ses déclarations totalitaires.  Ce qui fait peur c'est l'État et son mode de gouvernance.  Pas les manifestants.


[1] Le texte du rapport est ici :   Lire aussi à ce sujet DUPUIS-DÉRI, Francis, «Broyer du noir : manifestations et répression policière au Québec», Les ateliers de l’éthique, v.1. no. 1, printemps 2006.

* Billet paru initialement sur mon blogue du Voir:  http://voir.ca/veronique-robert/2013/03/23/avoir-peur-de-la-police-pas-des-manifs/

jeudi 24 janvier 2013

L'homicide involontaire n'est pas un accident


On apprenait cette semaine dans les médias qu’un adolescent de 12 ans est accusé d’homicide involontaire pour avoir causé la mort de son frère aîné avec une arme à feu. Un drame d'une tristesse inouïe.

On a beaucoup lu, et entendu, que c’est bien jeune, 12 ans, pour faire face à une accusation criminelle aussi lourde alors qu’il s’agit d’un accident.  On a aussi lu, et entendu, que ce sont plutôt les parents qui devraient être tenus responsables pour avoir mis une arme de poing à la disposition de leur fils.
Plusieurs choses à dire pour donner à tout ça un éclairage juridique.
«C’est la faute des parents»
La possession d’une arme prohibée, si c'est effectivement ce dont il s'agissait, est un acte criminel pour lequel les parents pourraient aussi être accusés.
Le mauvais entreposage d’une arme à feu est aussi un acte criminel qui pourrait engager la responsabilité des parents.
Mais les parents ne pourraient pas être trouvés coupables d'homicide involontaire car jamais la poursuite ne serait en mesure de prouver que le geste criminel commis par les parents, disons l'entreposage illégal d'une arme à feu, était de nature à causer des blessures à leur fils aîné. J'y reviens plus bas.
«C’est bien jeune, 12 ans»
D’abord, la responsabilité pénale est établie à 12 ans au Canada depuis 1984. Avant cette date, l’âge de la responsabilité pénale était fixé à 14 ans. Il ne s’agit pas de l’âge auquel le jeune est exposé à une peine pour adulte, mais de l’âge auquel il est réputé responsable de ses actes, au sens pénal[1]. Avant 12 ans, on ne peut pas être arrêté, ni poursuivi, pour avoir commis ce qui serait autrement un crime.  À compter de 12 ans, on doit faire face[2].

Il ne s’agit donc pas du choix de la poursuite, ni du juge qui entendra l’affaire, que celui de déterminer l’âge de la responsabilité pénale du jeune accusé.  Si nous trouvons collectivement que cette limite d’âge minimal est trop bas, il faut demander une modification législative.  La Couronne et le juge n’y peuvent rien.

Est-ce que la Couronne aurait pu, compte tenu du jeune âge de l’accusé, décider de ne pas judiciariser l’affaire.  Difficilement, puisqu’un autre jeune est mort et puisqu’il ne s’agit pas, selon la poursuite, d’un accident.
«C’est un accident»

L’homicide involontaire coupable n’est pas un accident.  L’homicide involontaire coupable, c’est le fait de causer la mort en commettant un acte criminel, potentiellement dangereux, c’est-à-dire de nature à pouvoir causer des lésions corporelles, même si la mort n’était pas souhaitée. Ce que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable, lors d’un procès pour homicide involontaire coupable, c’est que l’accusé aurait dû prévoir que son geste illégal était susceptible de causer des blessures.  L’exemple classique, le coup de poing (un acte criminel nommé voie de fait) qui s’avère fatal (la victime tombe et meurt).

Pour faire la preuve d’un homicide involontaire, le ministère public peut se limiter à prouver qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation, aurait pu prévoir que son geste criminel était de nature à causer des blessures, mais n’a pas à prouver que la mort était prévisible[3].

Je ne dis pas que l’accident est impossible dans cette triste histoire. Je ne dis pas que l’adolescent poursuivi n’a aucune défense à faire valoir devant la Cour, y compris la défense d’accident. J’explique simplement que l’accusation d’homicide involontaire n’est pas insensée, même si le jeune n’a peut-être pas souhaité la mort de son frère : il n’est pas accusé de meurtre mais d’homicide involontaire et il a été longuement interrogé par les policiers, en présence d’un de ses parents.  C’est suite à cet interrogatoire que le ministère public a décidé de porter des accusations. Vraisemblablement, le ministère public considère qu’il possède suffisamment de preuve pour soutenir l’accusation.  Pour le ministère public donc, qui a rencontré le jeune par le biais de ses policiers, il ne s’agit pas d’un accident.

Quel crime était-il en train de commettre pour que l’événement puisse être considéré comme un homicide involontaire?  Possiblement celui d’avoir fait un usage dangereux d’une arme à feu, ou d’avoir braqué une arme à feu sur quelqu’un sans excuse légitime, ou encore d'avoir porté une arme dans un dessein dangereux.  Peut-être était-il aussi en train de commettre contre son frère une voie de fait au moyen d’une arme à feu.  Ou encore était-il en train de commettre une négligence criminelle en utilisant l’arme de poing.  On le saura au procès, ou au moment du plaidoyer de culpabilité, s’il y a lieu.

Ce qu’il faut surtout retenir, sans se positionner sur la culpabilité ou l’innocence de cet adolescent, c’est que l’homicide involontaire coupable n’est pas un accident, puisque l’accident n’est pas jamais un crime.


[1] Si condamné, le jeune risque une peine de détention maximale de 3 ans.  S’il était jugé par un tribunal pour adulte et déclaré coupable, il devrait être puni par 4 ans minimum d’emprisonnement en raison de l’utilisation de l’arme à feu lors de l’homidice involontaire.
 
[2] La Convention relative aux droits de l’enfant, que le Canada a ratifiée, oblige les États signataires à établir légalement un âge minimal de responsabilité pénale, mais le seuil n’est pas fixé par la Convention.  On retrouve donc, au sein des différents pays, un large éventail d’âge minimal de la responsabilité pénale.  À titre d’exemple, il est fixé à 7 ans en Suisse et en Inde, 10 ans au Royaume-Uni, 13 ans en France, 15 ans dans les pays scandinaves, 16 ans en Espagne.  Aux États-Unis, seuls 13 États ont fixé un âge minimal de responsabilité pénal qui varie de 7 à 12 ans. Notons que les États-Unis n'ont pas adhéré à la Convention relative aux droits de l'enfants, vu l'interdiction qu'elle impose de ne pas exécuter les adolescents.
 
[3] L’homicide involontaire n’est donc pas non plus un meurtre, crime qui exige une prévisibilité subjective que la mort survienne.  Dans le cas du meurtre, il faut causer intentionnellement la mort, ou causer des blessures qu’on sait de nature à causer la mort.   J'ai déjà expliqué ICI les différents types d'homicides, dont le meurtre.

mercredi 16 janvier 2013

La mens rea de Matthieu Bonin


Le vlogueur humoristique Matthieu Bonin a été arrêté et comparaîtra le 20 mars pour incitation publique à la haine, semble-t-il.  Semble-t-il, parce que je n’ai pas vu sa promesse de comparaître.  Semble-t-il, parce que nous sommes toujours à l’étape de la plainte policière et que cette plainte n’a pas encore été autorisée par le ministère public.

On reproche à Matthieu Bonin d’avoir tenu des propos violents à l’endroit des membres du parlement.  Comme sa vidéo n’est plus en ligne, il est difficile de reproduire fidèlement ses propos.  Il aurait dit qu’il espérait que quelqu’un entre au parlement et tire sur les politiciens, un truc du genre.
Maladroit.  Inapproprié.  Débile si on veut.
Criminel?

Il y a deux camps dans cette histoire.  Les tenants de la liberté d’expression et les tenants de la non violence langagière.

Dans mon salon, je suis des deux camps, mais en droit criminel la question se pose autrement et je suis farouchement opposée à ce qu'on sorte du cadre de droit lorsqu'il est question d'accusations criminelles.  Le justice criminelle est cet univers où la culpabilité morale doit être prouvée hors de tout doute raisonnable, nonobstant les préoccupations sociales –par ailleurs nécessaires- sur ce qui se dit et ce qui ne se dit pas.  Dit autrement, la question de la liberté d'expression ne se pose pas ici.

L’incitation publique à la haine, crime passible d’un maximum de deux ans de prison, nécessite que preuve soit faite que l’accusé avoulu que son message provoque la haine, et cette haine doit être susceptible de créer une violation de la paix publique[1].


En droit criminel, il faut prouver l’action coupable (l’actus reus) et l’intention coupable (la mens rea).  En matière d’incitation à la haine, ou de fomentation de la haine, l’insouciance ne peut pas fonder une accusation, c’est-à-dire que la poursuite ne pas pas se limiter à prouver que l’accusé a été insouciant quant aux conséquences de sa communication.  Il doit, encore une fois, avoir voulu qu’elle incite à la haine.

Le juge des faits (c'est-à-dire le juge ou le jury) devra «considérer les déclarations d’un point de vue objectif, mais tenir compte des circonstances dans lesquelles elles sont faites, de la manière et du ton employés, ainsi que de leurs destinataires»[2].  Il ne suffit pas, évidemment, que le juge des faits désapprouve les propos ou qu'il les trouve outranciers.  Les propos doivent avoir été dangereux, et leur auteur doit avoir voulu qu’ils le soient.

Il n’y a aucune présomption que des paroles violentes ont été prononcées dans le but d’inciter à la haine.  Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la Couronne qui devra prouver hors de tout doute raisonnable qu’elles ont été prononcées dans cette intention.

Si cette preuve est faite, l'accusé ne peut pas invoquer son droit de s'exprimer librement.  La liberté des uns s'arrête là où celle des autres commence, vous vous souvenez?

Dans des termes plus juridiques, les dispositions qui prohibent la propagande haineuse sont des limitations à la liberté d'expression, certes, mais cette limitation est acceptable - voire nécessaire - dans une société libre et démocratique.  C'est l'article premier de la Charte canadienne qui permet de limiter des droits par ailleurs fondamentaux au nom du bon fonctionnement de la société civile.  Tous les documents internationaux de protection des droits et libertés comportent une telle clause limitative.  Concernant la liberté d'expression et la propagande haineuse, la Cour suprême du Canada a  réglé la question dans l'affaire Keegstra.

Par ailleurs, à partir du moment où il est évident qu’il s’agit d’une blague, même si elle est très mauvaise, on n’est plus devant un cas d’incitation publique à la haine et la question complexe et intéressante de la liberté d’expression n’intervient pas dans l’histoire.  En d'autres mots, si c'est une blague, c'est pas une crime.  C'est la même chose en matière de crime de menace ou d'intimidation.

Mais il y a autre chose.  Il y a plus.  Ou moins.  C’aurait dû être le début de la réflexion en fait.

L’article 319 sur l’incitation à la haine parle d’un «groupe identifiable».  Ce qui est interdit, c’est d’inciter à la haine, ou de fomenter la haine envers un «groupe identifiable».  Qu’est-ce qu’un groupe identifiable, en droit criminel?  La réponse se trouve à l’article 318 concernant le crime de propagande haineuse et d’incitation au génocide :


Il n’est pas écrit «notamment» avant l’énumération de ce que constitue un groupe identifiable, comme c’est le cas des articles prohibant la discrimination dans les chartes, laissant ainsi plus de latitude aux tribunaux de faire évoluer le droit.  Il s’agit donc d’une liste limitative de ce que constitue un groupe identifiable et le groupe des politiciens n’en fait pas partie.

(Le groupe des femmes non plus d’ailleurs[3].  On constate que la disposition a été modifiée en 2004 pour y inclure l’orientation sexuelle, fort heureusement.  Mais le sexe n’est toujours pas un motif de propagande haineuse.).

Cette définition du groupe identifiable n’incluant pas le groupe des politiciens, il n’y a même pas d’actus reus et rien, selon moi, ne peut fonder une accusation contre Matthieu Bonin.  Pour obtenir condamnation, la poursuite devrait faire modifier le Code criminel.

Il y a bien, toujours au Code criminel, une énumération des différents modes de participation à un crime.  On parle le plus souvent de la complicité.  L’encouragement à commettre un crime est punissable de la même peine que celui qui le commet réellement.  Conseiller de commettre un crime est aussi une infraction criminelle. Or, on est toujours en droit criminel.  Est-ce que l’accusé – en l’occurrence Matthieu Bonin – avait l’intention criminelle d’encourager quelqu’un, ou de conseiller à quelqu’un, d’aller tuer des politiciens?

C'est ce que devrait prouver le ministère public hors de tout doute raisonnable s'il décidait d'accuser Matthieu Bonin d'avoir conseiller la commission d'un crime plutôt que d'avoir inciter à la haine.
Dans les deux cas, une condamnation bien peu probable.


[2] Mugesera, paragraphe 106.
[3] Voir Amissi Melchiade Manirabona , «Vers la répression de la propagande haineuse basée sur le sexe ? Quelques arguments pour une redéfinition de la notion de « groupe identifiable » prévue dans le Code crimine»l, Les Cahiers de droit, Volume 52, numéro 2, juin 2011, p. 245-271.