jeudi 30 juin 2011

Délinquant dangereux, délinquant à contrôler

Pourquoi Claude Larouche n’a-t-il pas été déclaré délinquant dangereux?

Parce qu’il a été trouvé coupable d’un meurtre au premier degré, ce qui entraîne un emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
C’est donc la peine la plus grave au Code criminel, ce qui rendrait superflue la déclaration de délinquant dangereux.

Charles Manson


Le délinquant dangereux
Un individu peut être déclaré délinquant dangereux par le tribunal à la suite d’une demande en ce sens faite par le représentant du ministère public à l’étape de la sentence c’est-à-dire, évidemment, une fois que cette personne a été déclarée coupable d’un crime.

L’article 753(1) du Code criminel sur la déclaration de délinquant dangereux prévoit ceci :


Les critères sont clairs et ils s'appliquent à tous les crimes qui constituent des « sévices graves contre la personne ».  Or, la notion de « sévices graves » est large, mais n'inclut pas le meurtre.  Il s'agit en fait de tous les crimes où il y a emploi de force contre une autre personne, ou toute « conduite » dangereuse ou susceptible d’infliger des dommages psychologiques.  Ceci inclut aussi de toutes les formes d'agressions sexuelles.
L'autre critère primordial est le risque élevé de récidive.  Car avant de déclarer quelqu'un délinquant dangereux, le juge a ordonné que des évaluations soient faites.  Les experts appelés évalueront, surtout, ce risque de récidive.

La conséquence d'une déclaration de délinquant dangereux est une peine d'incarcération dans un pénitencier pour une durée indéterminée
La jurisprudence[1] a établi qu’avant de déclarer une individu délinquant dangereux, le juge doit  d’abord se demander s’il n’y a pas lieu de le déclarer délinquant à contrôler, peine moins lourde. 
La jurisprudence nous enseigne aussi que le juge jouit du pouvoir discrétionnaire de déclarer un individu délinquant à contrôler, même en présence de tous les critères pour le déclarer délinquant dangereux[2].

Normal, puisque dans tous les cas les juges sont tenus d’infliger la peine la moins restrictive de liberté.

Le délinquant à contrôler


La déclaration de délinquant à contrôler vise surtout les délinquants sexuels.

Lors de la création de cette peine en 1997, la volonté du législateur était de mieux contrôler les délinquants sexuels récidivistes qui ne remplissaient pas  les critères du délinquant dangereux.

De la même manière que les délinquants dangereux, les délinquants à contrôler doivent avoir commis un crime qui constitue un « sévice grave contre la personne ».

Le contrevenant doit, pour être déclarer délinquant à contrôler, recevoir une peine de plus de 2 ans de pénitencier.  Il doit aussi montrer un risque élevé de récidive, tout en étant possiblement maitrisable au sein de la collectivité -contrairement au délinquant dangereux qui ne laisse pas d’espoir, au moment de l’évaluation, quant à sa capacité de contrôler ses pulsions agressives en société.

La conséquence d'une déclaration de délinquant à contrôler est un suivi, une fois la peine de pénitencier purgée,  pour une période d’au plus 10 ans au sein de la communauté.

Voilà pourquoi il est impossible, et de toute manière inutile, de déclarer délinquant dangereux ou  délinquant à contrôler une personne condamnée pour meurtre.  La peine pour meurtre est la prison à vie.  C’est la plus grave.


[1] R. c. Johnson, Cour suprême du Canada, 2003
[2] R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357; voir aussi R. c. Boyer, 2006 QCCA 1091




lundi 13 juin 2011

L'accès à la justice criminelle


Logo de la
Commission des services
juridique du Québec

Lorsqu’on est accusé d’avoir commis un acte criminel, on n’a pas vraiment le choix de se défendre, à moins de plaider coupable à la première occasion.  Et même pour plaider coupable à la première occasion, il sera souvent utile, voire indispensable, d’avoir reçu les conseils d’un avocat.
Se payer les services d’un avocat, quelque soit le taux horaire ou forfaitaire de l’avocat choisi, n’est pas à la portée de tous.

Mais l’aide juridique n’est pas non plus offerte à tous, et tous les types d'actes criminels ne sont pas couverts.
Et même l'aide juridique est offerte à l’accusé, ce ne sont pas tous les avocats de pratique privée qui vont accepter de prendre de tels dossiers pour le motif que c’est souvent équivalent – ou presque –  à du bénévolat. 
On tourne en rond.
Évidemment, pour les personnes admissibles à l’aide juridique, il y a les avocats permanents de l’aide juridique qui, contrairement au mythe populaire, sont des avocats compétents,   qualifiés, et qui travaillent avec coeur.  Mais ils sont surchargés de travail, si bien que le système ne pourrait rouler rondement si les avocats de pratique privée cessaient d’accepter des mandats d’aide juridique.
Il y a aussi la position idéologique de l'avocat qui entre en jeu.  Personnellement, je ne suis pas avocate de la défense pour ne représenter que des riches, et je ne peux absolument pas imaginer une pratique du droit criminel où seuls les clients « payants » mériteraient mon attention.  
D’un autre côté, je ne pourrais pas accepter uniquement des clients sur l’aide juridique, à moins d’être indépendante de fortune, ou à moins d’avoir une pratique de volume, c'est-à-dire de très nombreux dossiers peu complexes.  Ce type de pratique, louable parce que nécessaire, ne cadre pas avec tous les types de personnalité.  Je me trouverais pour ma part aussi étourdie qu'éparpillée.
L’admissibilité financière à l’aide juridique
Le seuil d'admissibilité à l'aide juridique est le même, quelque soit le service requis.  Qu'on ait besoin d'un avocat pour nous représenter dans une accusation de vol simple ou pour aller en appel d'une condamnation pour meurtre après un procès qui aura duré 20 jours, le seuil d'admissibilité est le même. 
En gros, une personne seule doit avoir un revenu inférieur à 13 000$ pour être admissible à l'aide juridique, et un couple avec deux enfants doit avoir un revenu familial brut de moins de 21 300$.


L'admissibilité avec contribution
Malgré ce tarif, il peut être décidé qu'une personne sera admissible, à condition de contribuer financièrement à sa défense. 
La contribution maximale est de 800$, ce qui est raisonnable, mais les seuils d'admissibilité demeurent trop bas.

Les services couverts
On peut dire que généralement, en droit criminel, tous les services sont couverts.  Accusé de vol ou de meurtre, l'aide juridique est offerte.
Là où il peut exister un problème d'admissiblité pour le justiciable, c'est lorsque l'accusation est prise par voie sommaire
Les infractions sommaires
Le Code criminel distingue deux types d’infractions en fonction de la procédure et de la gravité de l’acte, donc de la peine encourue.
Il existe des actes criminels qui sont uniquement punissables par voie sommaire (ex. : la prostitution ou plutôt la sollicitation); des actes criminels hybrides (Le vol, la conduite avec les facultés affaiblies) qui peuvent être poursuivis par voie sommaire ou par acte criminel selon la décision du poursuivant, décision qui reposera le plus souvent sur la gravité subjective du crime et sur la présence ou l’absence d’antécédents judiciaires.; des actes criminels uniquement punissables sur déclaration de culpabilité par acte criminel (L’agression sexuelle, le meurtre).
Dans le cadre d’une poursuite par voie sommaire la procédure est allégée.  Il n’y aura pas d’enquête préliminaire, et pas de possibilité de procès devant jury.
La peine maximale pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire est de 5000$ maximum ou 6 mois de prison.

Le justiciable sera donc admissible à l'aide juridique, même lorsqu'il est poursuivi par voie sommaire, s'il risque la prison, si l'intérêt de la justice l'exige ou s'il y a un risque réel de perte de subsistances.
La décision de déclarer l'individu admissible à l’aide juridique est discrétionnaire, même s’il existe une jurisprudence du Comité de révision établissant des critères précis d’admissibilté en pareil cas.
Aussi ai-je réalisé la semaine dernière qu’au Centre communautaire juridique de Montréal, section criminelle, les justiciables qui téléphonent concernant une accusation sommaire se font répondre par la réceptionniste que « ce n’est pas un service couvert ».  Mauvaise réponse.  Je les invite donc à se rendre tout de même au bureau à compter de 13h00 et de rencontrer un préposé à l’admissibilité qui étudiera leur dosser en fonction de ces trois critères.
On entend aussi dire, bien souvent, et même chez les avocats que  « les poursuites sommaires ne sont pas couvertes parce qu’il n’y a pas de risque de prison ».  D’abord, il est faux de dire qu’il n’y a aucun risque de prison dans le cas d’une poursuite sommaire.  Ensuite, la jurisprudence est claire: le risque de prison n’est pas tout.  Un individu qui risque de perdre son statut de réfugié devrait être admissible à l’aide juridique, même s’il n’y a pas de risque de prison.  Même chose pour un jeune étudiant en science politique qui verrait son futur détruit par une antécédent judiciaire.

Le tarif des honoraires des avocats
Mais ce n'est pas tout d'être déclaré admissible à l'aide juridique.  Il faut trouver un avocat qui acceptera de prendre le mandat au tarif de l'aide juridique.
Un dossier « ordinaire », peu complexe, qui n’est pas un dossier de meurtre, et qui aurait exigé une enquête préliminaire d'une seule journée, et d'un procès d'une seule journée, sans enquête sur remise en liberté, aura rapporté à l'avocat 550$.
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Si le dossier a exigé la tenue d'une enquête sur remise en liberté, une journée et demi d'enquête préliminaire et deux jours de procès, il aura rapporté à l'avocat 1345$.
C’est ce qu’on appelle une blague.  Une blague d’autant plus hilarante, et inquiétante, que l’avocat qui aura conseiller à son client de plaider coupable aura droit aux même émoluments que celui qui aura fait un procès. Certes, il faut étudier la preuve avant de conseiller un plaidoyer de culpabilité, mais il est évident que la somme de travail, au bout d’une année, ou deux, n’est pas la même.
Par voie sommaire, les dossiers rapportent normalement à l’avocat 330$. 
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C’est encore une bonne blague.

Les dossiers d’appel « ordinaires » rapportent aux avocats 1110$ (200$ de plus si on demande à la Cour la permission de se pourvoir en appel malgré que les délais soient dépassés).  Savez-vous la somme de travail consacré dans un dossier d’appel?  Savez-vous qu’une argumentation écrite, en appel, demande à n’importe quel avocat entre une semaine et 2 semaines de travail à plein temps?  On accorde à l'avocat 330$ pour la recherche et la rédaction de ce mémoire d'appel.

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C’est ce qu’on appelle une insulte.
J'ai parlé plus haut du seuil d'admissibilité à l'aide juridique qui est indifférencié selon le type de dossier.  Il faut comprendre que peu de gens, suivant la grille, sont admissibles à l'aide juridique.  Il faut aussi savoir qu'un dossier d'appel, simplement en frais de transcriptions des débats au procès et en confection du mémoire coûte en moyenne entre 5 000 et 25 000$.
C'est donc dire qu'à moins d'être admissible à l'aide juridique, l'accès au recours en appel appartient uniquement aux riches.
Les individus de la classe moyenne, s'ils ont les moyens, grâce à un emprunt bien souvent, de se payer un avocat pour une accusation de conduite avec les facultés affiablies, n'ont tout simplement pas les moyens d'aller en appel en cas de condamnation dans la plupart des cas où le procès aura duré plus de 3 ou 4 jours.  Et encore...

Un dossier disciplinaire en droit carcéral, c'est-à-dire le fait de prendre la défense d’une accusé d’une infraction disciplinaire à l’intérieur des murs rapportent un maximum de 250$... 


Comment voulez-vous que des avocats acceptent, à ce tarif, d’aller faire un procès dans un pénitencier?  Résultats :  les détenus se représentent seuls, pour la plupart, et sont condamnés.  Et leur libération conditionnelle est retardée.  Parfois pour avoir été accusé d’avoir fumé une clope en cellule, alors que c’est un autre qui a fumé la fameuse clope. 

Dépassement d'honoraire pour dossiers complexes
Pour parer au caractère dérisoire des honoraires de base, les avocats peuvent demander, à la fin du dossier -quand bien même ce dossier aura duré 24 mois - que leur soit accordé un « dépassement d'honoraires».  Il faut pour cela que la cause ait été complexe, et le travail considérable.
Les avocats vont alors produire un compte d'honoraires supplémentaire basé sur une facturation au taux horaire.
L'octroi de cette rémunération pour dépassement honoraire est discrétionnaire:  La décision de la complexité ou non de la cause est discrétionnaire, la qualification de son degré de difficulté est discrétionnaire, le taux horaire est discrétionnaire.  C'est dire que l'avocat qui demande une considération spéciale pour dépassement d'honoraires ne sait jamais combien il recevra.  Il sait toutefois qu'il ne recevra jamais plus du quart de ce qu'il a facturé.  Il sait aussi qu'il devra prendre rendez-vous avec le comité de conciliation afin d'en recevoir un peu plus.

Tout ceci est épuisant, et c'est ce qui amènent certains avocats de pratique privée à refuser les mandats d'aide juridique.
L'auteure de ces lignes est bien consciente que la population n'est pas encline à s'appitoyer sur le sort des avocats de la défense.  Mais c'est d'accès à la justice dont il est question.




vendredi 3 juin 2011

La parole criminelle


« la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres »
Lorsque Jeff Sabres a été arrêté après avoir répandu son fiel haineux sur Twitter, chacun se demandait de quoi il allait être accusé.
S’il a menacé des gens, ça peut être un crime.  S’il a tenu des propos qui incitent à la haine,  ça peut être un crime.  S’il a publié des choses qui minent la réputation d'autrui, ça peut être un crime.  S’il a écrit des faussetés diffamantes sur des gens, ça peut être un crime.  Enfin, s’il a communiqué avec des gens de manière répétée jusqu'à leur faire peur, ça peut être un crime.
Puisque je n’ai pas lu toute la prose de monsieur Champagne, et puisque je ne connais pas la preuve que possède la Couronne, et encore moins son état d’esprit au moment des gestes commis, je ne fais aucun postulat quant à sa culpabilité ou son innocence.  Simplement envie de clarifier ces notions de crimes qu’on commet en parlant, en écrivant, ou en publiant, sur le web ou ailleurs.
Proférer des menaces[1]

Extrait de Twitter du 1er juin.
 Ça frôle la menace, mais c'en n'est pas.

Il s’agit de menacer soit 1) de causer la mort ou des lésions corporelles (ce qui comprend des blessures psychologiques graves), 2) de brûler, détruire ou endommager des biens meubles et immeubles ou 3) de tuer, blesser, empoisonner un animal qui est la propriété de quelqu’un.
Dans le cas des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles, la peine maximale est de 5 ans.  Dans les autres cas, la peine maximale est de 2 ans.
La mens rea, c'est-à-dire l’intention criminelle de la menace, n’est pas d’avoir eu l’intention de mettre ses « promesses » à exécution.  Il suffit d’avoir eu l’intention de faire craindre et d’avoir eu l’intention que cette menace soit prise au sérieux.
Concernant cette crainte, il faut aussi prouver, pour qu’il y ait menace au sens du Code criminel, que la personne raisonnable qui aurait reçu la menace aurait eu raison de craindre.  Il est des situations où les mots ne peuvent pas raisonnablement faire craindre, bien qu’ils eurent été menaçants dans un autre contexte.   L’exemple jurisprudentiel classique (R. c. Abdelhay) : Un paraplégique qui se déplace en fauteuil roulant ne peut pas être trouvé coupable de menace pour avoir dit à la plaignante qu’il allait la battre.
Harcèlement criminel[2]
Le harcèlement sexuel au travail n’est pas du harcèlement criminel, bien qu’il puisse le devenir.  Ce sont deux notions qui ne relèvent pas du même domaine de droit.
Le harcèlement criminel consiste en des gestes posés, sachant que la personne se sent menacée, et qui la font craindre pour sa sécurité ou pour celle d’un proche.
Parmi les gestes qui peuvent constituer du harcèlement criminel : 1) suivre une personne de façon répétée, 2) communiquer avec une personne de façon répétée, 3) cerner ou surveiller une personne, 3) se comporter de manière menaçante à l’égard dune personne.
La peine maximale pour le crime de harcèlement criminel est de 10 ans d’emprisonnement.
Libelle diffamatoire[3]
Il ne faut pas confondre avec l’atteinte à la réputation qu’interdit aussi le code civil.  Par exemple, dans Péladeau c. Lafrance , il s’agissait d’une poursuite civile pour atteinte à la réputation, une poursuite prise personnellement, par une partie civile, en vertu du Code civil.
Le libelle diffamatoire du Code criminel est un crime au même titre que tout autre crime.  Et le droit criminel est public.  C’est donc l’État qui poursuit un individu de libelle diffamatoire en vertu du Code criminel, après que les policiers eurent soumis la plainte au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui l’aura autorisée.
L’infraction de libelle diffamatoire est le fait de publier « sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule ».
 Si l’infraction de libelle diffamatoire porte atteinte à la liberté d’expression, cette atteinte se justifie dans une société libre et démocratique[4].
L’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés
Comme dans tous les documents internationaux de protection des droits de la personne, la Charte canadienne porte une clause limitative.  C’est l’article premier :

« La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. »

C’est en s’autorisant de cet article que les tribunaux, par exemple, vont juger qu’une règle est discriminatoire, mais que cette discrimination se justifie dans le contexte de nos valeurs sociétales.

Libelle délibérément faux[5]
Il s’agit de la même infraction que celle de libelle diffamatoire, mais pour laquelle la poursuite doit faire la preuve que l’accusé savait fausse l’information qu’elle publiait.
Le libelle diffamatoire et les libelle délibérément faux sont passibles d’une peine maximale de 2 ans.
Propagande haineuse[6]
De la même manière que le libelle diffamatoire, l’interdiction de la propagande haineuse a été jugée par les tribunaux comme une atteinte à la liberté d’expression, mais qui se justifie dans une société libre et démocratique.  Une atteinte acceptable.
Deux formes spécifiques de propagande haineuse sont prévues au Code criminel :  L’incitation au génocide et, de manière plus large, l’incitation à la haine.


 -          Incitation au génocide

 L’incitation au génocide est, évidemment, le fait d’encourager la destruction ou l’asservissement physique dangereux pour la vie d’un groupe identifiable.  La notion de « groupe identifiable » comprend tout groupe qui se distingue des autres par sa couleur, son origine ethnique, sa religion ou son orientation sexuelle. 

Chercher l’intrus. 
L’inclusion de l’orientation sexuelle est certes bienvenue dans la définition de crime de génocide, tout en étant erronée si l’on pense au sens étymologique du mot « génocide ».
D’ailleurs, la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide incluait uniquement le groupe « national, ethnique, racial ou religieux »
Il est aussi étonnant qu’en décidant d’inclure l’orientation sexuelle, on ait pas aussi choisi d’inclure le « sexe » comme motif possible d’incitation au génocide.  Est donc un crime d'incitation au génocide le fait d'encourager le meurtre d'homosexuels, mais pas le meurtre de femmes.

-          Inciter ou fomenter la haine
On peut être coupable de propagande haineuse si l’on fait une déclaration publique qui incite à la haine contre un groupe identifiable et qui est susceptible d’entraîner une violation de la paix.[7] On peut aussi être coupable de propagande haineuse si l’on fait une déclaration dans le cadre d’une conversation privée de nature à fomenter la haine contre un groupe indentifiable[8].

Le groupe identifiable est toujours celui décrit à la définition du génocide soit : « tout groupe qui se distingue des autres par sa couleur, son origine ethnique, sa religion ou son orientation sexuelle. »

Il s’agit de sujets délicats, si bien que le code criminel prévoit à l’intérieur même de la disposition des moyens de défense possible à l’encontre d’une accusation de propagande haineuse.   Ainsi, on ne peut pas être déclaré coupable de propagande haineuse si :
1)      Les déclarations étaient vraies
2)      L’opinion est exprimée de bonne foi et fondée sur une texte religieux auquel croit l’accusé
3)      Les déclarations consistaient en un questionnement d’intérêt public et elles étaient considérées comme vraies par l’accusé.
4)      L’accusé voulait de bonne foi attirer l’attention et prévenir la haine contre un groupe identifiable.  (Par exemple, en utilisant l’ironie, l’accusé a fait une déclaration raciste pour démontrer la grossièreté du racisme.  On pense ici automatiquement aux humoristes…  Qu’ils se rappellent de ce moyen de défense!). 
La peine maximale pour le crime de propagande haineuse est de deux ans.


[1] Article 264.1 C.cr.
[2] Article 264 C.cr.
[3] Art. 298 C.cr.
[4] R. c. Lucas, Cour suprême du Canada, 1998.
[5] Article 300 C.cr.
[6] Articles 318 et 319 C.cr.
[7] Article 319(1) C.cr.
[8] Article 319 (2) C.cr.


mercredi 1 juin 2011

SharQc – Arrêt des procédures


Le centre judiciaire gouin et la prison de Bordeaux.

Dans un jugement du 31 mai 2011, l’honorable James Brunton de la Cour supérieure vient d’arrêter les procédures dans le mégaprocès SharQc sur les chefs d’accusation de trafic de stupéfiants, de complot en vue de commettre ce trafic, et de gangstérisme.
Une des conséquences de cette décision, c’est que 31 des 156 accusés[1], contre qui ne pesaient que des accusations relatives à la drogue sont libérés. 
L’autre conséquence de cette décision, c’est que les 125 accusés qui restent vont subir leur procès sur des chefs d’accusation de complot pour meurtres et de meurtres.  Ils ne subiront pas de procès sur les chefs de trafic de stupéfiants, de complot pour commettre ce trafic, ni de gangstérisme.

Le gangstérisme
Il ne s’agit pas d’une infraction substantive, c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un crime qui peut exister par lui-même.  On ne peut pas être accusé de gangstérisme isolément, non plus qu’on ne peut être déclaré coupable de gangstérisme isolément.  C’est toujours la culpabilité sur le crime substantif, par exemple le vol, qui pourra mener à la culpabilité sur le crime de gangstérisme, c'est-à-dire le vol « au profit, sous la direction, ou en association avec une organisation criminelle ».

Si donc il est possible d’être condamné pour vol, mais acquitté de gangstérisme, par exemple parce que la preuve que le vol a été commis en association avec un gang n’a pas été faite, il est impossible d’être condamné uniquement pour gangstérisme.  Comme la complicité et les autres infractions inchoatives, le gangstérisme n’a pas d’existence autonome.


Le choix du poursuivant
Le ministère public a choisi d’accuser 156 personnes dans un même acte d’accusation.  Certaines de meurtres, d’autres de trafic de stupéfiant, d’autres encore de recel[2], le tout en association, au profit, ou sous la direction d’une organisation criminelle.
Pour résumer le dossier SharQc le plus clairement possible, disons ceci :  156 personnes accusées d’au moins 6 crimes commis sur une période de 17 ans en association ou au profit d’une organisation criminelle :  125 personnes parmi celles-là sont accusées de 22 meurtres et complots de meurtres (toujours au profit d’une organisation criminelle), et sur ces 125 personnes accusées de 22 meurtres, il existerait de la « preuve directe » contre seulement 18. Les  107 autres présumés meurtriers sont accusés en vertu du mécanisme juridique de la complicité, du complot et du gangstérisme.  Mais attention,  de ces 156 personnes, il faut retirer les 31 accusés contre qui il n’y avait que des chefs d’accusation de trafic, de complot de trafic et de gangstérisme.
Limpide non? 
La simple lecture de l’acte d’accusation, ou encore des pages 3 et 4 de la décision du juge Brunton, suffisent à convaincre le profane qu’il eût été improbable qu’un jury arrive à démêler tout ça et à décider d'un verdict.  L’exemple Norbourg est éloquent.
Certes, les délais ont joué dans la décision du juge Brunton, mais j’y lis plutôt la volonté d’éviter un fourbi qui aurait mené, quasi inévitablement, à un ou plusieurs avortements de procès.
Un procès de meurtres
Il faut savoir qu’avant 1991, il était illégal d’accuser une personne à la fois de meurtre et d’un autre crime dans un même acte d'accusation.  Pour faciliter les procédures, le législateur a amendé le Code criminel de sorte qu’il est maintenant possible d’accuser une personne de meurtre et d’un autre crime dans le même dans le même dossier, pour autant que ces crimes découlent de la même affaire.
Dans la foulée de cette requête en arrêt des procédures, la poursuite a prétendu être autorisée à accuser tous ces gens de tous ces crimes commis à toutes ces périodes parce que les crimes relèvent tous du même acte : le trafic de stupéfiant de 1992 à 2007.[3]

Selon la théorie de la poursuite, le trafic de stupéfiant est le mobile des meurtres.  Le juge Brunton a jugé que la preuve du mobile allait pouvoir se faire même en l’absence des accusations –lourdes et complexes- de gangstérisme.

Le juge Brunton a réfuté cet argument et a décidé que la Poursuite ne pouvait pas, dans un même acte d’accusation, réunir tous ces chefs disparates.
C’est là l’essentiel de la décision du juge Brunton selon moi.  

On lui demandait de casser l’acte d’accusation pour cause d’illégalité en invoquant de nombreux motifs, dont celui de l’inclusion des 31 dans ce dossier de meurtres, mais le juge a trouvé que la cassation de l’acte d’accusation, et donc l’arrêt des procédures sur tous les chefs, pour tous les accusés, était un remède excessif.  

Par contre, sur la base d’un raisonnement rigoureux qui l’a amené à diviser les accusés et les accusations de manière à ce que chacun subisse un procès efficace, il a décidé qu’un arrêt des procédures s'imposait sur les chefs de trafic de stupéfiants, de complot pour trafic de stupéfiants, et de gangstérisme. 

31 personnes libérées

Mélanie Gauthier
 Oui, cela fait en sorte que 31 personnes accusés de trafic de stupéfiants sont libérées.

On entend les cris.  On lit des jurons.  On a même pu lire sur Twitter des souhaits de peine capitale pour ces gens. 

Ces gens n’étaient pas pour la plupart membres des Hells Angels, contrairement aux mots choisis par les titreurs des grands journaux.  Ces gens n’avaient rien à faire dans un procès pour meurtres.  Ces gens étaient accusés de crimes pour lesquels ils auraient reçu des peines de moins de 10 ans de pénitencier dans l’éventualité d’une condamnation, et ils en avaient déjà quatre de purgés.  Dans le cas de certains, « leur temps était fait », ou presque, comme on dit dans le milieu[4], c'est-à-dire que, dans un avenir très rapproché, ils auraient pu être condamnés sans retourner en prison parce que la période passée en détention préventive est égale à la peine méritée.  On dit très justement « time served » en anglais.
Ces gens, surtout, auraient déjà été jugés s’ils avaient été poursuivis chacun dans son patelin, soit seule ou par petit groupe.  Je suis en total désaccord avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui affirme que ça aurait pris toute une vie de les accuser un à un.  Le projet Cabotin –un sous-projet SharQc– roule actuellement à Chicoutimi.  Il aurait pu en être de même pour de nombreux sous-projets.
L'impression du profane est que justice n'a pas été rendue.  Mais le profane jette le blâme au mauvais endroit, et déverse sa colère sur les mauvais acteurs.  Faut-il aussi rappeler au profane qu'une décision prise en vertu de la Charte, qu'une décision prise dans l'intérêt de la justice et des droits fondamentaux des individus, de tous les individus, est obligatoirement une décision juste.

Note:  Un passage a été caviardé en raison d'un interdit de publication.


[1] L’acte d’accusation comporte 156 accusés dont l’un est décédé depuis.
[2] Mélanie Gauthier était accusée de trafic, de recel et de gangstérisme.
[3] De nombreux accusés avaient moins de 10 ans en 1992!
[4] Je pense entre autres à Mélanie Gauthier du Saguenay et à Michel Rivard du Nouveau-Brunswick.