mardi 21 octobre 2014

Madame le juge


Alors que l’Assemblée nationale française a mis à l’amende un député qui refusait de cesser d’insulter les femmes en les traitant de président, l’Académie française traite la féminisation des titres, c'est-à-dire l’usage non phallocentrique de notre langue, de barbarisme.


Pendant ce temps, j’entends de plus en plus souvent, dans les salles d'audience, des confrères et parfois même des consœurs appeler les juges Madame le juge.  Au Québec. À l'aube de 2015.


Il y aurait peut-être lieu de modifier les règles de pratique des tribunaux, à la section décorum.  


dimanche 29 juin 2014

La fille qui aimait les canards

Admettons que la loi soit destinée à définir des infractions,
que l’appareil pénal ait pour fonction de les réduire
et que la prison soit l’instrument de cette répression ;
alors il faut dresser un constat d’échec. 

Michel Foucault, Surveiller et punir



Un jury de douze personnes a jugé cette femme coupable de négligence criminelle ayant causé la mort de deux personnes, ainsi que de conduite dangereuse ayant causé la mort de deux personnes[1].

Pourtant, elle n’a pas voulu mal faire ; pourtant, elle a seulement été insouciante, téméraire, négligente, mais elle n’était motivée d’aucune intention malveillante (dans son cœur).

C’est que la négligence criminelle est un crime complexe, peut-être même étrange.  Dans l’arrêt Anderson de la Cour suprême du Canada, le juge Sopinka écrivait : «Ce domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de common law, s’est révélé l’un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel»[2].

D’abord, la négligence ne devient criminelle que s’il en résulte blessure ou décès.  Contrairement à la conduite dangereuse qui peut se qualifier de criminelle même sans conséquences désastreuses, la négligence doit causer des lésions ou la mort pour être un crime.  Autrement, il peut s’agir de négligence pénale, mais il ne s’agira jamais d’un crime.  Déjà là, on saisit l’anomalie : le même comportement, exactement, sans décès, n’eut pu se qualifier de négligence criminelle[3].  

Pourtant, l’intention ayant motivé le geste eut été la même.

Pour déclarer Emma Czornobaj coupable de négligence criminelle (et de conduite dangereuse causant la mort), les jurés ont reçu des directives de la juge Éliane Perreault.  Et dans ses directives, la juge Perreault leur a expliqué ce que sont, juridiquement, la négligence criminelle et la conduite dangereuse.

Il s’agit d’un comportement qui représente un écart marqué eu égard au comportement de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et dans le même état d’esprit que l’accusée[4].  Les mêmes circonstances, c’est l’autoroute 30, à la même heure, dans la voie de gauche.  L’état d’esprit, ici, c’est entre autres choses l’amour des animaux et le niveau de conscience du danger de l'accusée.  Les jurés ont dû se demander, donc, si une personne raisonnable placée au même endroit, à la même heure, dans les mêmes conditions météorologiques, et ayant un amour profond des animaux, se serait comportée de la même façon.

Plus encore, ils ont dû se demander si cet écart de conduite constituait une insouciance déréglée quant à la sécurité ou à la vie d’autrui, et si preuve avait été faire hors de tout doute raisonnable que l’accusé aurait dû prévoir ce risque.

Ils ont décidé que oui.

Est-ce que la négligence criminelle est un crime sans intention malicieuse, oui et non.  C’est un crime où l’intention subjective se limite à une insouciance quant au risque[5].  Un peu de la même manière que lorsqu’on donne un coup de poing à quelqu’un sans pouvoir juridiquement se défendre de n’avoir pas voulu lui casser le nez.  Il y a là une insouciance évidente quant au risque… et la condamnation va de soi. 

Sauf que le coup de poing est animé d’une intention malveillante.  Pas le fait de vouloir sauver des canards.

Il est toujours bien embêtant de commenter, d’analyser, de critiquer un verdict de jurés puisque nous n’en connaissons pas les motifs, nous n’avons pas accès au processus de réflexion ayant mené à la conclusion. Il est encore plus hasardeux de commenter un procès auquel on n’a pas assisté, n’ayant pas entendu témoigner l’accusée concernant son geste ni les directives du juge.

Chose sûre, compte tenu de ce qu’est la négligence criminelle, le verdict n’est pas si étonnant.  Et c’est là qu’on peut, si on veut, s’indigner. 

L’affaire d’Emma Czornobaj est rare parce que dans les cas où le ministère public doit départager l’accident malheureux de l’insouciance déréglée, il y a souvent un élément mauvais, au sens de méchant, dans le comportement de l’accusé qui facilite la décision d'accuser ou non.  Une course débile, de l’alcool, de la rage au volant, une agressivité qui amène quelqu’un à pointer une arme à feu sur une autre et bang.  Un geste malicieux, malveillant, qui nous convainc non seulement que le geste doit être dénoncé, mais que l’accusé a besoin d’une leçon.

Quand l’acte ou l’omission ne comprend pas d’élément moral foncièrement coupable, le plus souvent, le ministère public ne porte pas d’accusation.  On conclut à un accident tragique. 

Un père préoccupé dont l’horaire est chambardé oublie son bébé dans la voiture, avec les suites affreuses que l'on sait, le ministère public ne porte pas d’accusation; une jeune mère dépose son bébé par terre près des chiens le temps d'une cigarette, avec les suites horribles que l’on sait, le ministère public porte des accusations.

Dans les deux cas, suivant la définition stricte de négligence criminelle causant la mort,  un jury pourrait condamner comme il pourrait acquitter.  

Nous sommes habitués de voir le ministère public user de parcimonie face à des tragédies. 

Et la justice, si elle fonctionne assez bien, reste humaine et subjective.  Un autre procureur de la Couronne, placé dans les mêmes circonstances et se trouvant dans le même état d’esprit que celui qui a autorisé la plainte contre Emma Czornobaj aurait-il agi de la même manière?  C’est ici que le jury populaire peut se faire entendre…

Mais, dans une perspective purement mathématique, désincarnée, le verdict est conforme au droit en matière de négligence criminelle.

Et la peine?

Encore ici, on est devant un cas rare.  La peine «moyenne» dans des causes de négligence criminelle causant la mort sur la route, ou encore de conduite dangereuse causant la mort, tourne autour de trois ans.  Quatre ans parfois.  Rarement moins, rarement plus. 

Pour déterminer une peine, on doit tenir compte du criminel bien plus que du crime.  On étudie les facteurs aggravants et atténuants.  On se questionne sur les objectifs pénologiques qui sont la dénonciation, la dissuasion, la réhabilitation, et, bien sûr, la punition, même s’il n’est pas très à la mode de l’admettre. 


La peine de prison, si elle sert à protéger la société est aussi, le plus souvent oserais-je dire, punitive.  Car on sait que la prison ne dissuade personne et qu’elle ne réhabilite pas.  «La prison fabrique des délinquants»[6].
 
Est-ce qu’Emma Czornobaj mérite la prison, évidemment que non.

Est-ce qu’une peine de prison dans la collectivité servirait les intérêts de la justice, non plus, mais cette peine n’est plus offerte, de toute manière, en cas de lésions corporelles «plus que mineures» ou de mort, gracieusement du gouvernement Conservateur.

Quelle peine mérite-t-elle alors?  C’est là l’autre problème de l’histoire, puisque la réponse semble être «aucune».

Aucune peine impliquerait d’absoudre.  Mais ce serait indécent pour la famille des victimes d’entendre la juge dire «je vous absous inconditionnellement» et, de toute manière, elle ne peut pas le faire, le crime étant passible de plus de 10 ans de réclusion.

On aura beau lui imposer l’obligation de se bien conduire pendant 2 ans, la forcer à 250 heures de travaux communautaire, lui faire payer une amende, on n’aura atteint aucun des objectifs de détermination de la peine et on n’aura surtout pas amoindri, pansé, réparé le chagrin causé à la famille des victimes.

Il y a de ces causes que le droit ne saura jamais résoudre.  Une fois condamné, il faut punir.  Et ici, aucune peine n’a de sens.

Ce qui m’amène inexorablement à penser et repenser aux crimes de négligence criminelle et de conduite dangereuse quand ils sont, à la base, motivés par une bonne intention, aussi téméraire fut-elle.  Deux infractions qui méritent d’être polies et re-polies par la jurisprudence, d’où la pertinence d’un appel de la condamnation.




[1] Pourquoi deux condamnations, l’une de conduit dangereuse et l’autre de négligence, l’histoire ne le dit pas, et personne n’a encore lu les directives de la juge, mais il est clair qu’Emma Czornobaj a été condamnée deux fois pour le même acte, la conduite dangereuse étant une infraction moindre et incluse à celle de négligence criminelle c'est-à-dire une infraction comportant les mêmes élémetns essentiels.
[3] C’aurait pu constituer une conduite dangereuse mais je vous gage un mille qu’aucune accusation n’aurait été portée sans blessés ni morts.
[4] Sur l’état d’esprit, un bel arrêt de la Cour d’appel du Québec :  R.c. Salamé, 2010 QCCA 64 
[5] Lire les opinions divergentes des juges de la Cour suprême dans l’arrêt Tutton et Tutton ([1989] 1 R.C.S. 1392) est hautement intéressant. 
[6] Michel Foucault, Surveiller et punir, 

samedi 5 avril 2014

Speculum – de l’autre flèche.


 
Léa Clermont-Dion
Photo: Charles-Henri Debeur
Léa Clermont-Dion a 23 ans, c’est son anniversaire aujourd’hui.

On a connu Léa quand elle a avait 17 ans et qu’elle avait piloté la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifié. Elle a dernièrement initié, avec d’autres, une pétition dénonçant les concours de mini-miss.   Son premier livre, La revanche des moches, vient de paraître chez VLB.  

Léa est aussi bachelière en science politique à l’UQÀM et entreprend bientôt une maîtrise en sciences politiques jumelé à un DESS en études féministes à l’Université Laval.  Cet été, pour débuter son DESS, elle sera de l’Université féministe d’été de la Chaire Claire Bonenfant de l’Université Laval.

Va pour les présentations.

Les adolescentes connaissent Léa Clermont-Dion.  Elles s’identifient à elle parce que son discours les interpelle.  Son discours, c’est surtout celui d’une image corporelle saine et diversifiée.

Mais Léa a un défaut : elle se maquille un peu.  Je devine même qu’elle commet un pire péché: Léa doit s’épiler les aisselles.  Oui, je le crains consœurs, la jupe de Léa doit cacher une jambe lisse.

C’est ce qu’on apprenait hier dans une lettre ouverte acerbe  sur le site Je suis féministe.  Plus clairement, l’auteure de cette lettre nous explique que Léa, c’est une salope.  (Avant que la lettre ne soit censurée par Je suis féministe, on pouvait même y lire «si j'étais réellement moche et que tu osais parler en mon nom, je te casserais probablement la gueule»). Une salope donc, à qui on a envie de casser la gueule. Parce qu’elle est belle et parce qu’elle participe à des séances de photos.  Pour des magazines féminins. Elle ne peut donc pas être une vraie féministe.  

Si elle était une vraie féministe, elle ne travaillerait pas à La Voix (euh?). Car les vraies féministes s’accomplissent dans des milieux d’hommes, toujours selon l’auteure. Léa devrait donc arrêter d’essayer de convaincre les jeunes filles qu’elles sont belles dans toutes les dimensions, et faire un doctorat en physique quantique. Ou aller travailler sur un chantier de construction.

Le texte est tellement venimeux qu’il va même jusqu’à reprocher à Léa de n’avoir pas été à ses assemblées étudiantes pendant le printemps étudiants.  Mais pauvre Léa, elle était en France à cette époque ou elle faisait un peu de philosophie politique, et son implication enthousiaste s’est surtout manifestée par ses billets dans le Voir. Ce n’est pas encore assez.  Alors qu’on reproche à Léa d’en faire trop, on lui reproche étrangement d’en faire aussi trop peu. Encore une double contrainte qu'on veut imposer à une femme.  Aux femmes?  

Évidemment, répondre à ce texte, c’est un peu comme de répondre à un règlement compte.  Car la hargne de l’auteure est si peu canalisée qu’elle transparaît dès la troisième ligne alors qu’on n’est même pas encore au cœur du sujet.  À la troisième ligne, on parle de poids, du poids de l'auteure, celui de Léa, je ne sais plus. Je m'en fiche un peu, je n'ai pas de balance.

Pourquoi répondre à ce déversement de rage inexpliqué? Parce qu’on est la féministe que l’on veut.  Et parce que la burqa de chair, que l’auteure ose invoquer, sans qu’on sache trop si elle compare le paradoxe de Léa et son mascara au paradoxe Nelly Arcan, n’a rien à voir avec quelque réflexion féministe théorique.

On est la féministe que l’on veut.  Il n’est pas question de s’autoproclamer féministe, comme si seules les membres d’un clan d’initiées avaient droit au titre. 

Le féminisme est pluriel. «Il n'est pas qu'un seul féminisme»*. Mais pour moi, un féminisme autoritaire ne peut pas en être un. Le propos de l'auteure est encore plus mal équilibré qu’une féministe juchée sur des talons hauts. Parce qu’il est moralisant, autoritariste, exclusiviste, hiérarchisant.  La bonne et la mauvaise féministe.  «Viens icitte ma belle fille, je vais te montrer c’est quoi une vraie féministe.».  

Une vraie féministe?  

Je suis féministe a répondu que le texte posait de bonnes questions.  Ah oui? Lesquelles?  Le maquillage?  Le botox? Ou celles du vieux rêve de symétrie dont traitait Luce Irigaray

J’ai presque l’âge d’être la mère des deux protagonistes de cette triste bataille. Je me définis comme féministe depuis toujours. Je suis avocate criminaliste, métier historiquement réservé aux hommes.  Dans une autre vie, j’ai fait des études en philosophie à une époque où nous étions environ cinq filles par classe et où il y avait trois femmes profs au département de philosophie de L’UQÀM. Mes clients sont presque uniquement des hommes, des gros hommes tatoués et mal rasés.  Et vous savez quoi? J’ai péché mon Père: J’ai des implants mammaires.  Symbole si extrême d’asservissement que je devrais sans doute me taire quand il est question des droits des femmes.

On croirait entendre une Janette interdire à Dalila Awada de se dire féministe.

Le féminisme ne peut pas être un autoritarisme.  Et il ne peut pas, surtout pas, être misogyne.


_________________________

* Élisabeth Mercier, 
Ni hypersexualisées ni voilées ! Tensions et enjeux croisés dans les discours sur l’hypersexualisation et le port du voile « islamique » au Québec, thèse de doctorat, Université de Montréal, mars 2013, p. 26.

samedi 8 mars 2014

La Cour suprême et le condom percé

La Cour suprême a rendu une décision dans l'affaire Hutchinson hier le 7 mars sur la notion de consentement à une activité sexuelle.

On a eu tendance à commenter la nouvelle comme si c’était une grande avancée, ou un grand recul, c’est selon.  Comme si la Cour suprême venait de changer le droit en intégrant une notion nouvelle de tromperie, de malhonnêteté, dans le théorie juridique du consentement sexuel.

Or, la notion de vice de consentement existe depuis bien longtemps en matière d’agression sexuelle.  Il y a deux manières de ne pas consentir :  1) ne pas consentir et 2) consentir sans en avoir la capacité ou sans savoir à quoi l'on consent réellement.

Article 265 du Code criminel canadien


L’exemple le plus frappant qui nous vient de la jurisprudence est ancien: un homme s’insère dans le lit d’une femme, a une relation sexuelle avec elle de manière en apparence consensuelle alors que la femme croit que cet homme est son mari.  Il y a un consentement, mais celui-ci est vicié.  La femme n’aurait pas consenti sachant que l’homme n’était pas son mari.

La décision de la Cour suprême n’étonne aucun juriste, d’autant plus qu’elle portait sur une question bien pointue :  Dans le cas d’un condom percé à l’insu de la principale intéressée, s’agit-il d’une absence de consentement pure et simple, ou s’agit-il d’un vice de consentement?

C’est la seule question à laquelle devait répondre la Cour suprême.  Aucun juriste ne croyait que la Cour allait décider qu’il n’y avait pas là une agression sexuelle, il s’agissait simplement de savoir si l’approche adoptée serait celle du consentement inexistant, ou du consentement obtenu frauduleusement.

Ça change quoi de savoir s’il y a eu absence de consentement ou consentement non éclairé si, dans les deux cas, on arrivera à un verdict de culpabilité pour une agression sexuelle?

Ça change une chose importante :  Avec l’approche adoptée par la majorité (et par le juge dissident devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse) on tend à éviter le risque d'une plus grande ingérence de l’État dans le lit des gens.

Le droit reconnaît depuis longtemps l’existence de limites empêchant la société de réaliser complètement cet objectif [la protection du droit d’une personne à décider elle elle va participer à une activité sexuelle, et avec qui elle le fera] au moyen de l’instrument grossier que constitue le droit criminel.  En effet, comme le recours au droit criminel représente l’atteinte la plus grave de l’État à la liberté des gens et l’immixation la plus sérieuse de celui-ci dans leur vie, l’État se doit de l’utiliser avec la modération appropriée pour éviter la surcriminalisation. (Paragraphe 18 de l'arrêt Hutchinson)

Car, suivant cette approche, la relation sexuelle est une relation sexuelle, sans plus. «L'instrument grossier qu'est le droit criminel» n'a pas à définir toutes les composantes de chaque relation sexuelle pour décider du consentement ou de l'absence net de consentement. Le Code criminel exige qu’on se demande s’il y a consentement à l’activité sexuelle, point.  On n’a pas à en connaître tous les tenants et aboutissants pour décider s’il y a eu, oui ou non, un consentement.   C’est uniquement lorsque une preuve de consentement obtenu frauduleusement émerge  qu’on passe à la deuxième étape qui est celle de se demander si cette supercherie a vicié le consentement.  Et cette preuve doit être faite, hors de tout doute raisonnable.

Une fraude s'entend ici d’une tromperie qui cause un préjudice, ou un risque réel de préjudice, et cela  aussi doit être prouvé.  

Les juges minoritaires, pour leur part, à l’instar des juges majoritaires en appel, auraient décidé qu’il n’y a pas de consentement et que nous n’avons pas besoin de pousser l’analyse jusqu’à l’étape du vice de consentement parce que, selon eux, la dame n’avait pas consenti à cette activité sexuelle, à l’activité sexuelle in question.  (Il est intéressant de noter que cette portion du texte de l’article 273.1(2) du Code criminel, «in question», n’est présente que dans la version anglaise du Code.)

Cette approche est contraire aux arrêts récent de la Cour sur la transmission d’ITS, ou sur le risque de transmission d’ITS lorsque la charge virale est élevée et qu'aucun condom n'est utilisé, à l’insu du partenaire.  Elle est contraire aussi à l’état du droit, de manière large, sur les vices de consentement en matière d’abus sexuel.

Dans le cas de cette femme qui faisait l’amour avec des condoms sabotés à son insu, il est clair, pour la Cour majoritaire, qu’elle a consenti à la relation sexuelle.  La preuve à faire est donc plus sérieuse.  L’État doit prouver la fraude, le tromperie, le préjudice ou le risque réel de préjudice.  L’État doit prouver que cette femme n’aurait pas consenti si elle avait su que les condoms étaient percés.   Et cette preuve a été faite en l'espèce.

Et maintenant, la question que tout le monde pose.  Une femme qui, à l’insu de son compagnon, ne prend pas ses contraceptifs oraux (ou crève les condoms) et qui, toujours à l’insu et sans l’accord de son compagnon, devient enceinte, pourrait-elle être accusée d'agression sexuelle?  Le droit n’étant pas une science exacte, tous les juristes ne s’entendent pas là-dessus.

Personnellement, je crois que si l’on suit le raisonnement de la Cour, oui, elle le pourrait.  Il y a tromperie, et il y a un préjudice clair pour l’homme devenu père sans le vouloir.  Il ne s’agit pas d’un préjudice physique, évidemment, mais la Cour suprême a depuis longtemps décidé que les lésions peuvent être psychologiques.

Va-t-on pour autant assister à une pléiade de poursuite criminelles pour des «bébés faits dans le dos» du géniteur, je ne le crois pas, mais ça, c'est juste ma boule de cristal bien peu rigoureuse. 



vendredi 7 février 2014

Témoins experts nommés par la Cour: laissons le droit aux juristes.


On apprenait ce matin dans Le Devoir que l’Association des médecins psychiatres du Québec prône une réforme draconienne de notre système de droit.  La nomination des experts par le tribunal plutôt que par les parties au litige.  

Or, cette approche est inconcevable dans un système de droit contradictoire, ou accusatoire en matière pénale, système dans lequel chaque partie est maîtresse de sa propre preuve.

Dans un système inquisitoire, qui n’est pas le nôtre et ne l’a jamais été, le juge tient un rôle prédominant dans la gestion du procès.  Pensons au juge d’instruction en France qui, dans un procès pénal, fait figure d’enquêteur : il instaure le dossier à charge contre l’accusé, il porte l’accusation, il dirige l’instruction, ce qui est inconcevable dans notre univers.  Dans notre perspective, ce juge se trouve aussi partie au dossier, et ça choque notre structure de pensée juridique.  C’est pourtant ce que propose l’Association des médecins psychiatres du Québec, sans arguments valables pour justifier un tel démantèlement du système.

La procédure contradictoire sur laquelle notre système est fondé se définit comme une procédure de confrontation orale et publique entre deux parties devant un juge arbitre.  Ce juge arbitre, qui peut être un jury formé de douze citoyens, se présente au dossier vierge de toute information, opinion, parti pris. Il entend deux parties opposées présenter leur preuve, qui inclut des témoins, parfois des témoins d’opinion qui sont experts dans un domaine précis,  et il se fait une idée une fois la preuve close.

Dans un système contradictoire, le juge ne prend pas part au débat, il écoute, et décide.  Selon qu’on soit en procédure civile ou en  procédure criminelle, ce juge devra emprunter un mode d’analyse différent pour tirer une conclusion définitive.  En procédure civile, il soupèse les deux thèses et détermine laquelle fait le plus pencher la balance; en droit criminel, il se demande si la partie poursuivante a prouvé hors de tout doute raisonnable la culpabilité de la personne accusée.

Il est parfois nécessaire de recourir à des experts pour éclairer le tribunal[1]Cet expert peut être psychiatre, il peut aussi être expert en bâtiment, ou en écriture. 

Il est impensable que, dans un système juridique contradictoire, ou accusatoire en matière pénale, le juge participe au débat au point de nommer un expert unique.  En fait, il le peut, et il le fait souvent en matière criminelle, mais il est inimaginable de refuser à l'accusé le droit de présenter à son tour une expertise différente si celle qui a été présentée à la demande du tribunal le désavantage.  Et si ce juge, pour rééquilibrer, devait nommer deux experts qui présenteraient deux théories différentes, son implication dans la cause s’en trouverait encore plus importante : il devrait s’informer de la preuve de manière approfondie, connaître en détail la théorie des parties et leur stratégie, afin de leur nommer chacun un expert en mesure de soutenir leur position.

Tout cela n’a ni queue ni tête, quoi qu’en disent les quelques psychiatres interrogés par Le Devoir.

Parenthèse. 

Évidemment, on diabolise au passage le travail des avocats de la défense.  Les avocats magasineraient des témoins, payeraient des témoins. 

Veut-on faire croire à la population que les experts du ministère public ne sont pas payés? Pourrait-on avoir la décence d’interroger les psychiatres judiciaires afin de savoir s’ils sont mieux payés quand ils témoignent pour le ministère public ou quand ils témoignent pour un accusé, qu'il soit ou non bénéficiaire de l'aide juridique?

Pourrait-on informer la population du fait que le –faux problème existe aussi en ingénierie et ailleurs.  Les experts en balisitque qui ne sont pas dans le camp de la police ne sont pas faciles à trouver.  
On fait avec, grâce à un outil nommé contre-interrogatoire.

Pourrait-on dire à la population qu’il existe des psychiatres qui, années après années, témoignent uniquement pour la partie qui accuse, c’est-à-dire l’État, et selon lesquels, étonnement, l’accusé se porte toujours à ravir.  Sont-ils plus crédibles parce qu’ils sont choisis, et payés, par le ministère public qui n’aura pas eu besoin de les «magasiner», sachant à l'avance que leur opinion servira leur cause.

Pourrait-on aussi souligner que l'expert du ministère public est toujours suffisamment rémunéré pour assister à tout le procès, alors que très rares sont les causes où la défense a les moyens de payer un expert pour rester assis dans une salle d'audience à prendre tout en note et à ainsi mieux se préparer. 

La seule étude sérieuse que je connaisse sur le sujet a été réalisée par un chercheur en criminologie de l'Université de Sherbrooke et elle démontre un un net déséquilibre des forces en faveur de la poursuite.  La nomination de l'expert par le juge n'aurait rien pour rassurer le justiciable poursuivi 
par la machine étatique. [1]  

Fin de la parenthèse.


La Docteure Igartua, interviewée sur la question, y va d’une prémisse erronée : «il n’y a absolument rien qui dicte qui peut se prétendre expert de quoi » dit-elle.

C’est faux. Comme quoi il est vrai que des opinions peuvent être erronées. Il y a d’abord le curriculum vitae, la diplomation, l'expérience, les publications, conférences, recherches, enseignements etc. Avant de reconnnaitre la qualité d’un expert, on s’assure qu’il en est un. Non, on ne fait pas témoigner un reconstitutionniste en scène d'accident sur une question qui relève de la pharmacologie, pas plus qu’on ne fait témoigner un pédopsychiatre sur la sexualité des personnes âgées.  Cela dit, la Dre. Igartua n’explique pas où le juge qui nommerait l’expert trouverait de meilleurs outils que ceux qu’on possède actuellement pour décider de la qualité d’expert d’un témoin.  CV, diplôme, expérience, publication, conférence, recherche, enseignement.  Sinon, que propose la Dre. Igartua? Elle ne le dit pas.

Ce que les justiciables doivent surtout savoir à ce sujet, c’est que lorsqu’un expert est autorisé à déposer un rapport devant le tribunal et à rendre témoignage, en droit criminel, il y a eu d’abord un consensus de la part des deux parties sur la «qualité d’expert» de ce témoin.  On aura reconnu, de part et d’autre, son expertise.  En cas de désaccord, on aura tenu ce qu’on appelle un voir-dire, procédure incidente, lors duquel voir-dire l’expertise du témoin aura été testée, questionnée, contestée, et le juge aura décidé s’il admet cette personne comme experte autorisée, par conséquent, à renseigner le tribunal sur son art ou sa science, et à lui donner une opinion.

Vrai qu'il ne s’agit que d’une opinion, et c'est toujours le juge décide en bout de ligne.  Dans un système contradictoire, qu’on fasse appel à des experts en psychiatrie, en ingénierie, en art, en criminologie, en dentisterie, en graphologie, en balistique, le juge aura eu l’occasion d’entendre deux théories différentes, parfois très opposées, parfois moins.  Et il décide. C’est ainsi.  Si on veut qu’une seule thèse soit présentée au juge, aussi bien lui permettre de rendre sa décision sans procès.

Deuxième parenthèse.
  
Est-ce que les experts en psychiatrie sont neutres? Non, ils ont une opinion clinique sur la personne qu’ils ont évaluée.  Rares sont les sciences exactes, et les opinions peuvent varier dans tous les domaines. Même en urologie.  Des psychiatres peuvent être plus interventionnistes, d’autres moins. Des psychiatres peuvent avoir plus tendance à médicamenter, d’autres moins. Je lisais à l’instant trois décisions judiciaires du Tribunal administratif du Québec dans lesquelles la Dre. Igartua a agi comme experte et recommandé la garde en établissement.  Si, dans une demande de garde en établissement contre le gré du bénéficiaire un psychiatre recommande l’internement, il faut, dans un état de droit, que l’individu concerné puisse soumettre au tribunal une opinion psychiatrique opposée, si cette opinion est soutenable, évidemment.  Deux opinions opposées peuvent se fonder sur des données et des études différentes, et les deux doivent être soumise au tribunal qui décidera laquelle le convainc le plsu fermement
On appelle aussi ça l’équité.  

Fin de la deuxième parenthèse.

On nous dira que lorsque le juge des faits s’incarne en douze citoyens, ces gens ne sont pas habilités à comprendre ce que les experts leur disent.  Là encore, on tente de remettre en cause un système de droit qui fonctionne depuis la nuit des temps.  Et qui ne fonctionne pas si mal.  

Pour défendre cette approche de l’expert nommé par la Cour, on s'appuie souvent sur cette histoire en Ontario d'un pathologiste pédiatrique, le Dr. Charles Smith qui, pendant des années, a joué les pathologistes judiciaires et produit des rapports d'autopsie erronés ayant mené à la condamnation de treize innocents et à la mise en accusation de sept autres.

Étrange argument pour défendre l'approche de l'expert unique en donnant l'exemple le plus patent des risques inhérent à cette approche. Imaginons que cet expert soit l’expert unique nommé par le tribunal et qu'aucun collègue ne puisse venir à la barre pour contredire ses prétentions. 

Troisième parenthèse.

Imaginons que dans la cause de Robinson contre Cinar, le tribunal ait choisi lui-même l’expert ou les experts.  Imaginons que Claude Robinson n’ait pas eu le droit, car c’est bien de ça dont il s’agit, de droit, de «dénicher» un expert pour soutenir sa théorie du plagiat.
  
Fin de la troisième parenthèse.

J’ai sous les yeux un rapport d’expert en psychiatrie déposé dans une cause de meurtre qui conclut par un titre aussi révélateur qu’ironique: «opinion juridique».  J’inviterais l’Association des médecins psychiatres du Québec et le Collège des médecins du Québec à laisser le droit aux juristes.  



[1] Parfois, pas toujours.  La Cour suprême a fait le tour de la question de l’expertise légale et, incidemment, de sa nécessité ou de son inutilité dans l’arrêt D.D. [2000] 2 R.C.S. 275






vendredi 31 janvier 2014

Une héroïne

Il faudrait aussi dire à Éric Duhaime qu'il n'y a pas que les noirs qui ont des modèles, des héros noirs.

Moi j'ai Maryse Condé. Une idole, la mienne et celle de bien d'autres, femmes et hommes, noirs ou blancs.




(À lire surtout:  «Cher M. Éric Duhaime, par Jessieblog (Rebbeca Pierre))