mercredi 12 octobre 2011

Les crimes à caractère sexuel

Historiquement, les infractions d’ordre sexuel étaient considérées comme des atteintes aux bonnes mœurs, et l’agression sexuelle était presque perçue comme une atteinte à la propriété de l’homme, qu'il soit père ou époux.  Les temps ont changé et l’agression sexuelle est désormais un crime contre la personne.

L’agression sexuelle « simple »

Il faut comprendre que l’agression sexuelle est une voie de fait à caractère sexuel.  C'est un toucher non consenti.  Si donc le caractère sexuel du geste n’est pas prouvé, l’accusé pourra tout de même être trouvé coupable de voie de fait. 

·         Peine maximale : 10 ans

L’agression sexuelle armée, causant lésion, accompagnée de menaces ou commise par plus d’une personne

Notons que la Cour suprême du Canada a décidé que la notion de « lésions » comprend les lésions psychologiques.

·         Peine maximale : 15 ans.

·   Si l’arme utilisée est une arme à feu, peine minimale de 5 ans pour une première offense et de 7 ans en cas de récidive. Même peine minimale si l’agression est commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle.

L’agression sexuelle grave

C’est l’agression sexuelle lors de laquelle la victime a été blessée, défigurée, mutilée ou sa vie mise en danger.

·         Peine maximale : 25 ans

·         Mêmes peines minimales que pour l’agression sexuelle armée.

Non il n’y a pas de crime de viol au Canada, et cela depuis 1983.  Le viol était un acte de pénétration, et constituait donc en une définition restrictive de l’agression sexuelle qui peut être plus ou moins grave, indépendamment de la notion de pénétration.  Historiquement, le viol a même déjà nécessité, pour constituer un crime, une pénétration accompagnée d’une « émission de semence »   

L’agression sexuelle actuelle englobe toutes les formes de  contacts sexuels sans consentement.

Les contacts sexuels avec un mineur.

Il s’agit de toucher, «à des fins d'ordre sexuel», avec son corps ou un objet, au corps d’un adolescent de moins de 16 ans. Le consentement peut exister, mais il n'est pas valide.  

·         Peine maximale : 10 ans; Peine minimale 45 jours de détention.

L’incitation à avoir des contacts sexuels avec un mineur

Il s’agit pour l’accusé d’avoir invité, engagé ou incité un mineur de moins de 16 ans à le toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, que le toucher ait eu effectivement lieu ou pas.  Le crime, c’est l’incitation, pas le contact.

·         Peine maximale : 10 ans; Peine minimale 45 jours.

Les crimes de grossière indécence et d’attentat à la pudeur ont été abolis en 1983 en même temps que le viol, justement parce que le concept d’agression sexuelle est assez large pour les englober.  Lorsqu’on entend parler dans les médias d’accusations de grossière indécence, d’attentant à la pudeur ou de viol, c’est parce que les gestes reprochés ont été commis avant 1983.

L’exploitation sexuelle

C’est le fait, pour un adulte en situation d’autorité, d’avoir des relations sexuelles avec un mineur qui a l'âge de consentir à des activité sexuelles, c'est-à-dire un mineur de 16 ans et plus.

·         Peine maximale : 10 ans; Peine minimale 45 jours.

L’inceste

L’inceste –au sens du droit criminel canadien- est le fait d’avoir des rapports sexuels, même consensuels, avec père ou mère, enfant, frère ou sœur, grand-père ou grand-mère, petit-fils ou petite-fille, demi-frère ou demi-soeur. 

Il faut que des liens de sang existent, et il faut que les accusés aient su au moment des faits qu’ils étaient liés par le sang.

Personne ne peut être condamné pour un inceste subi par menace, contrainte ou emploi de la force.

·       Peine maximale : 15 ans.

***

J’ai omis de traiter des crimes de voyeurisme, d’exhibitionnisme, de bestialité qui parlent d’eux-mêmes et ne nécessitent aucune explication.

J’ai traité du crime de corruption des mœurs, et par la bande du crime de pornographie juvénile,  dans le cadre d’un billet précédent :  Art, maquillage et obscénité.

Le nouveau crime de leurre sur internet fera l’objet d’un billet ultérieur.

mardi 11 octobre 2011

Meurtre d’honneur?

 - Le procès Shafia - 


Le procès pour meurtre prémédité de quatre membres de la famille Shafia débute ce matin à Kingston en Ontario avec la sélection du jury.

Illustration:  Delf Berg - illustrationjuridique.blogspot.com

On a largement parlé du crime d’honneur en lien avec cette affaire où le père, sa seconde épouse et le fils de ce dernier sont soupçonnés d’avoir tué ses trois filles et leur mère, sa première épouse, pour préserver l’honneur de la famille.

Puis on lit, ici et là, qu’il y aura procès pour « crime d’honneur »…

Mais il s’agira strictement d’un procès pour meurtre, et non d'un procès pour meurtre d’honneur, la notion de crime d’honneur n’existant pas en droit criminel canadien.

Tout au plus, la Couronne pourra mettre en preuve cette notion d’honneur de la famille qui aurait été salie à titre de mobile du crime.  Cette idée d’honneur entaché pourra aussi aider la Couronne à faire la preuve du caractère prémédité du meurtre, et de son propos délibéré[1]

Le mobile n’étant pas un élément essentiel du crime, il ne sera pas obligatoire pour la Couronne de prouver qu’il s’est agi d’un crime commis dans ce but de préserver l’honneur de la famille, pas plus qu’elle n’aura à prouver quelque autre mobile.

Les éléments essentiels de l’infraction de meurtre au premier degré, c'est-à-dire les éléments que la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable lors d’une poursuite pour un meurtre au premier sont les suivants :  1) La mort d’un être humain, 2) la mort d’un être humain causée par un acte illégal, 3) un acte illégal commis par l’accusé (l’identité du tueur, est-ce bien celui qui est assis dans le box des accusés), 4) l’intention spécifique de causer la mort ou de causer des blessures que le commettant sait de nature à causer la mort et 5) le geste posé de manière préméditée et de propos délibéré.

Il n’existe donc aucune case pour le mobile parmi les éléments essentiels du crime de meurtre.  Le mobile, s’il y en a un,  fait partie des éléments de preuve circonstancielle que la Couronne peut établir afin de prouver l’intention de tuer, la préméditation, et le propos délibéré.

Si le mobile n’est pas un élément essentiel du crime de meurtre, l’absence de mobile doit toutefois allumer dans l’esprit des jurés une alarme de prudence.  Ceci est tellement vrai que le juge qui instruit le jury doit lui indiquer clairement qu’une absence de mobile est un élément à surmonter pour en arriver à la conviction hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé[2].

C’est donc uniquement dans cette optique que la Couronne pourra mettre en preuve le motif de l’honneur dans le procès Shafia.  Ce sera un élément, parmi d’autres, qui pourra amener le jury à se convaincre hors de tout doute raisonnable de l’intention de tuer.  Se convaincre aussi du caractère prémédité du meurtre, et de son propos délibéré.

Conséquences sur la sentence?

Sur la peine, en matière de meurtre au premier degré, il n’y a pas de discrétion, rien à plaider, rien à prouver.  C’est la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Si toutefois le jury en venait à la conclusion qu’il s’est agi d’un meurtre au deuxième degré, et non d’un meurtre au premier degré, on peut se poser une question :  Est-ce que le juge pourrait utiliser l’honneur, la notion de crime d’honneur, pour diminuer ou, au contraire, pour augmenter la période pendant laquelle les condamnés ne seraient pas admissibles à une libération conditionnelle?

Les notions de circontances aggravantes ou atténuantes sont des notions qui appartiennent au sentencing, à la détemination de la peine, et non à l’infraction et la commission de l’infraction.  On ne parle jamais –sauf dans les tavernes et dans les médias sociaux - de facteurs aggravants, ou de facteurs atténuants, pour décider de la culpabilité ou de l’innocence.  Il s’agit d’éléments que le tribunal considère au moment de décider de la peine.

C’est seulement ici que la question de l’honneur pourrait avoir un intérêt juridique.

Tuer pour l’honneur, est-ce un facteur atténuant, ou aggravant?

Je parierais ma toge qu’aucun juge canadien ne considérera que la volonté de préserver l’honneur de la famille puisse être un facteur atténuant la peine.

Au contraire, certains éléments sont expressément prévus par le code criminel comme constituant une aggravation du crime, et parmi ceux-ci figurent la haine fondée sur le sexe de la victime, les mauvais traitements infligés à l’époux/se ou conjoint/e, les mauvais traitement infligés à des personnes de moins de 18 ans, une infraction qui constitue un abus d’autorité.

M’est avis que, suivant l’état actuel du droit canadien, commettre un crime pour l’honneur –l’honneur patriarcal, l’honneur d’une domination masculine, l’honneur du père mue par une haine des femmes – est plutôt un facteur aggravant.





[1] Car le meurtre au premier degré est un meurtre commis de manière prémédité et de propos délibéré.  La préméditation seule ne suffit pas.

[2] R. c. Proulx, [1992] R.J.Q. 2047, R. c. Hibbert, [2002] 2 R.C.S. 445


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