lundi 19 septembre 2011

Tania Pontbriand et l’étudiant




Tania Pontbriand fait face à trois chefs d’accusation en vertu des articles 153 (1) a), 153 (1) b) et 271 du Code criminel canadien, c’est-à-dire exploitation sexuelle et agression sexuelle.



Son procès est commencé et reprendra le 28 novembre prochain.

Tania Pontbriand est accusée d’exploitation et d’agression sexuelle non pas pour avoir forcé un adolescent à avoir avec elle des relations sexuelles non désirées.  Elle est accusée d’exploitation et d’agression sexuelle pour avoir eu des relations sexuelles consensuelles avec un adolescent alors qu’elle était en situation d’autorité.

J’ai déjà abordé la question dans un billet intitulé « La majorité sexuelle ou l’âge légal du consentement », mais il semble que les notions soient encore bien mal comprises dans la population.

L’âge du consentement sexuel est fixé à 16 ans au Canada.  À 16 ans, un adolescent peut consentir à  des relations sexuelles avec un adulte, quelque soit l’âge de cet adulte, pour autant qu’il n’y ait pas de rapport hiérarchique entre eux, de rapport d’autorité, de rapport de confiance.

À l’époque où Tania Pontbriand a entretenu avec son élève une relation amoureuse –car c’est bien ce dont il s’agit, d’une relation amoureuse, qu’on soit d’accord ou pas, qu’on trouve la dame étrange ou pas; ces deux-là ont eu une liaison amoureuse, les photos sont patentes.   À l’époque où Tania Pontbriand a entretenu avec son élève une relation amoureuse, donc,  l’âge du consentement sexuel était fixé à 14 ans.  Il y a eu depuis lors une modification au Code criminel augmentant à 16 ans l’âge légal pour faire l’amour avec une personne majeure.

Mais cette modification de 14 ans à 16 ans ne change rien dans cette histoire puisque la professeure, suivant la théorie de la poursuite, était en situation d’autorité.

Les tribunaux concluent à une situation d’autorité suivant les circonstances de chaque affaire*.  Ainsi, un voisin n’est pas a priori en situation d’autorité eu égard à un adolescent mais peut le devenir si, par exemple, il a gardé cet enfant, s’il a été son entraîneur etc. 

Par contre, un professeur, un entraîneur, à moins de circonstances exceptionnelles, sera presque toujours considéré comme ayant été en situation d’autorité par rapport à l’adolescent, même si c’est l’été et qu’il n’y a plus d’école*.

Il serait alors difficile, mais pas impossible, que Tania Pontbriand démontre qu’elle n’était pas en situation d’autorité à l’époque des faits reprochés.  Le contexte pourra servir, et le comportement du jeune homme aussi.

Reste alors la question de l’âge.  Mais à l’époque où les faits se sont déroulés, l’âge du consentement sexuel était de 14 ans, et le plaignant dans cette affaire n’avait pas moins de 14 ans, ce qui légitimerait la relation sexuelle, toujours dans l’optique où le rapport d’autorité est évacué.

Même si aujourd’hui la majorité sexuelle est fixée à 16 ans, et que le jeune homme avait 15 ans à l’époque, les lois pénales n'étant pas rétroactives.



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Illustration:  Delf Berg
On se demande sur bien des tribunes si le jeune homme a vraiment pu être traumatisé par cette aventure avec sa professeure.  On y lit que, pour le jeune homme, sa prof n’a pu qu’être un trophée de chasse dont il devrait être fier.  On se demande s’il n’a pas porté plainte pour évacuer sa colère d’avoir été abandonné par son amoureuse.  On se demande si un jeune homme, obligatoirement, doit se sentir victorieux d’avoir réussi à séduire une belle prof d’éducation physique. 

Ces commentaires et questionnements ne me choquent pas.  Ils ne me choqueraient pas plus s’il s’agissait d’une adolescente et d’un prof de 30 ans.  On parle quand même d’une relation qui a duré près de deux ans…  Une rupture, ça fait mal.  Chercher un coupable à sa douleur peut soulager, car la colère fait tellement moins mal que le chagrin.  

Ceci dit, ces commentaires et questionnements sont bien peu pertinents, légalement, à moins que leurs réponses démontrent clairement qu’il n’y avait aucun lien d’autorité entre Tania Pontbriand et le plaignant au moment des faits, malgré son statut d’enseignante.  C’est n’est pas impossible.  Peu probable, mais pas impossible.

Mary-Kay Létourneau et Vili Fualaau
On se souvient de Mary-Kay Létourneau, femme mariée de 34 ans,  qui avait fait la manchette aux États-Unis pour avoir eu des rapports amoureux, et sexuels, avec son élève de 13 ans.  Au Canada, situation d’autorité ou pas, un adulte ne peut pas, et ne pouvait pas à l’époque, coucher avec un jeune de 13 ans.

On se dit assez facilement que cette dame était certainement immature et probablement givrée pour être tombée amoureuse d’un élève de 13 ans.  Quoi qu’il en soit, ils ont eu deux enfants pendant sa détention, et se sont mariés à sa sortie de prison.  Ils ont aujourd'hui 27 et 48 ans, sont toujours ensemble, ce qui donne envie de demander: de quoi nous sommes-nous mêlés, bonnes gens?

Dans une affaire où le point central du litige serait le rapport d’autorité, une affaire comme celle de Mary-Kay Létourneau démontre bien que tout est question de contexte, et qu’on ne devrait pas conclure à un rapport de force, ou à un abus de confiance, dès lors que le protagoniste le plus âgé porte un titre supérieur.

Sentence

En ce qui concerne le crime d'exploitation sexuelle, une peine minimale de 45 jours de prison est prévue.  Une peine minimale implique que le juge n'a pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.  En cas de condamnation sur le chef d'exploitation sexuelle, donc, Tania Pontbriand ira assurément faire un séjour en prison.

Par contre, s'il n'est plus possible aujourd'hui de bénéficier d'une peine de prison dans la collectivité pour les crimes contre la personne, dont l'agression sexuelle, cette règle n'existait pas à l'époque et Tania Pontbriand bénéficiera du principe de non rétroactivité des lois pénales.

Aussi, je vois mal comment Tania Pontbriand pourrait être déclarée coupable à la fois sur les chefs d'accusation d'exploitation sexuelle et sur les chefs d'accusation d'agression sexuelle, puisqu'on ne peut pas être condamné doublement pour les mêmes gestes.

Toujours dans l'éventualité d'une condamnation, je lui souhaite donc celle de l'agression sexuelle (et un retrait des accusations sur les chefs d'exploitation sexuelle), afin qu'elle puisse éviter les 45 jours à la prison Tanguay, et bénéficier d'une peine de prison en société. 

jeudi 8 septembre 2011

La délation

Le baiser de Judas

Sous mes yeux, le Petit Larousse illustré 2011.  « Délation :  Dénonciation intéressée et méprisable ».


Dans « Vocabulaire juridique » de Gérard Cornu, à l’entrée « délation » on lit « Dénonciation méprisable et honteuse ».

Sur Wikipédia, au mot « délation » :

Tournée contre un individu ou un groupe d'individus la délation est faite par un délateur, individu ou groupe de personnes, pour son gain propre (s'enrichir et accaparer les biens d'autrui) ou pour lui nuire de manière malveillante (jalousie, envie, haine). Le délateur peut être rémunéré par un pouvoir qui cherche à obtenir des renseignements contre ses adversaires ou ses ennemis.
C'est une forme de trahison et d'opportunisme que l'on retrouve de manière récurrente dans l'histoire et dans grand nombre de civilisations au travers l'image de l'usurpateur romain et ses espions (agent secret). Du point de vue de la stratégie, elle appartient aux modes de corruption. Elle peut également se manifester sous forme de faux témoignage ou de calomnie .

On apprenait cette semaine que l’ex Hells Angels Dayle Fredette a retourné sa veste et décidé de vendre ses « frères », ses ex « frères » en fait, en devenant délateur.  Il aura certainement signé un contrat lucratif en vue de son témoignage, ou il le fera prochainement.

Les délateurs font partie d’une classe de témoins qu’on appelle « Témoin taré ».  Péjoratif, certes, mais à la mesure du type d’individu qu’on affuble de ce vocable.  L’expression « témoin taré » n’est pas une insulte, un gros mot produit par les langues sales des avocats de la défense, c’est une expression juridique consacrée, un concept légal. 

Une toute petite citation pour illustrer, alors que c’est la Couronne elle-même qui annonce au jury qu’elle va appeler à la barre des témoins tarés :

Avant de commencer sa preuve le substitut a prévenu le jury que Gillet et Ouellette qu'il allait citer à la barre étaient des témoins tarés: ils avaient auparavant commis d'autres vols à main armée.  Cela fut mis en preuve, et, dans sa plaidoirie, le substitut proposa au jury que, même si Gillet et Ouellette étaient des témoins tarés, ils avaient en l'espèce dit la vérité[1].
Aujourd’hui toutefois, on entend frémir lorsque nous utilisons, en défense, l’expression « témoins tarés », et encore plus quand il s’agit de délateurs.  Pourquoi?  Parce que nous devrions dire, désormais, « témoins repentis ». 

En effet, pour signer un contrat de délation, les délateurs doivent être des gens repentis.  C’est ainsi qu’on se convainc, d’une part, qu’on n’est pas en train de pactiser avec Satan et, d’autre part, que le témoignage aura un air de vraisemblance.

Ces témoins ont commis des crimes, et parfois ils en commettent encore alors qu’ils travaillent pour l’État[2].  Ils ont été les complices des accusés, ou simplement des connaissances, et pour des motifs obliques, ils décident un jour de trahir des gens, certains qu’ils connaissent bien, d’autres qu’ils ne connaissent pas du tout.

À mon avis, ces témoins que la Cour suprême a qualifiés de « nécessité inévitable »[3] déconsidèrent bien trop souvent l’administration de la justice.  Sans nier qu’ils puissent parfois représenter un mal nécessaire dans une enquête policière qui piétine, ces témoins font peur.

Qu’ils aient ou non passé le test polygraphique, car on le leur fait passer avant de les couvrir de bijoux, il m’apparaît le plus souvent inacceptable que l’État transige avec ce type d’individus qui, en bout de ligne, prennent la boîte des témoins pour faire porter à d’autres des crimes qu’ils ont eux-mêmes commis.

Oui, c’est ce que font les délateurs.  Ils accusent des gens de leurs propres crimes.

Ce sont des êtres amoraux, malicieux, qui n’ont quasiment aucune crédibilité, si ce n’est vraiment aucune, et qui ont, pour la plupart, des yeux de psychopathes, ou un regard de demeurés.

Il faut voir et entendre Stéphane Godasse Gagné raconter une séance d’étranglement.  Ses yeux brillent.  Il faut voir Dary Bolduc, célèbre délateur de Chicoutimi, témoigner contre ses anciennes idoles, regard de poisson mort, en mentant effrontément à la Cour.

J’étais nouvellement avocate de la défense lorsque j’ai vu témoigner Dary Bolduc.  Il mentait.  Il mentait à la Cour après avoir prêté serment.  Nous savions tous qu’il mentait, tant en défense que du côté de la poursuite.  Il se parjurait, et mentait, et se parjurait, et mentait.

Après un ajournement, il est venu avouer au juge « ce matin j’ai menti ».  Une plainte privée a été portée contre lui, pour parjure[4].  Il fallait bien que quelqu’un le fasse.  Un juge a autorisé cette plainte, et le ministère public, tel que prévu par le Code criminel, a alors pris le dossier en main et….  a arrêté les procédures. 

Le délateur est resté impuni pour son parjure.  Et les accusés dans cette cause où il était le témoin vedette et où le mandat d’écoute électronique qui a permis l’arrestation des accusés reposait essentiellement sur les paroles de cet homme sans qualités[5], les accusés, donc, sont tous allés passer quelques années en prison. Grâce à ce témoin taré, parjure, et menteur.


Je termine avec un extrait d'un texte de Pierre Foglia Publié dans La Presse du 12 mai 2005.  Le titre de son texte?  Ignoble chose.
La délation est au coeur de toutes les saloperies de l'histoire, les rafles de juifs dans les pays envahis par l'Allemagne, le maccarthisme. Chez Hitler comme chez Staline, on apprend aux enfants à dénoncer leurs parents. Tous les systèmes totalitaires reposent sur la délation. Castro ne tient encore debout que par la délation. 
    Mais le voisin qui martyrise ses enfants ? Et celui qui bat sa femme ? Et le pédophile ? Et le terroriste ? Vous allez toujours au particulier pour ne pas avoir à dealer avec le général. On ne dénonce pas. On ne dénonce pas un voleur, un revendeur de drogue, un fraudeur, l'auteur d'un hold-up. Un immigré. Un collègue qui vole l'entreprise, un parent qui vole l'État. On ne dénonce pas un voisin qui fait pousser du pot. On ne dénonce pas un plombier qui travaille au noir. 
    On ne dénonce pas, c'est tout.



[2] Délateur Carl Tanguay, dossier Affusion, Rivière-du-Loup
[4] C’est peu connu, mais les citoyens ont la possibilité de déposer une plainte privée lorsque l’État ne le fait pas.
[5] Titre volé à Robert Musil