mercredi 28 mars 2012

Retour sur le procès de Tania Pontbriand


Ce texte est aussi paru, ce jour même, dans le blogue du VOIR


Se poursuit aujourd’hui, au palais de justice de St-Jérôme, le contre-interrogatoire du plaignant au procès de Tania Pontbriand, accusée de contacts sexuels et d’agression sexuelle sur un mineur.

Tania Pontbriand était l’enseignante, il était l’élève.  Il avait quinze ans, elle en avait trente.  (On pourrait entendre chanter Claude Dubois en trame de fond).

Elle est accusée d’agression sexuelle parce qu’elle était son enseignante au moment de leur liaison qui a duré deux ans.  Pas parce qu’il était mineur.  À l’époque où ces deux-là faisaient l’amour, l’âge du consentement sexuel était établi à 14 ans.  Il est maintenant établi à 16 ans.  Mais les lois pénales n’étant pas rétroactives, si Tania Pontbriand n’avait pas été la prof et lui l’élève, ils auraient pu, en 2002, coucher ensemble en toute légalité, pour autant évidemment qu’il y ait consentement.

Agression sexuelle, donc, parce que le consentement est présumé de pas exister, ou n’être pas valable, dans un contexte de rapport hiérarchique, même s’il aurait été valable en dehors de ce lien prof/élève.

C’est donc autour de ce rapport hiérarchique, de cette situation d’autorité présumée, de ce lien de confiance allégué, que le procès s’articule.  C’est d’ailleurs le seul aspect intéressant du dossier pour la juriste spectatrice.

Une jurisprudence assez constante nous enseigne que, dès lors que l’accusé est professeur, moniteur, entraîneur, le rapport d’autorité est quasiment prouvé.  J’exagère à peine.  Bien sûr, la Cour suprême rappelait en 1996 que les juges doivent conclure en  l’existence d’un lien d’autorité suivant les circonstances de chaque affaire[1], mais il demeure qu’on se retrouve avec une quasi présomption du lien d’autorité dès que l’accusé a un rang d’enseignant.

Or, la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, de l’accusée dans ce cas-ci, repose sur cette question du lien d’autorité.  C’est fondamental.

Il faut que les juges gardent l’esprit ouvert, il faut que les juges évaluent les faits et la preuve attentivement, la preuve testimoniale surtout, afin de bien jauger cette question d’autorité et de décider s’il y a eu, oui ou non,  agression sexuelle.

Dans l’affaire de Tania Pontbriand, on me reproche souvent d’avoir une opinion qui serait différente si le plaignant avait été une plaignante.  Pourtant, mon opinion est simplement à l’effet que la preuve produite à ce jour ne donne pas l’impression qu’un rapport de force a existé entre les deux parties et donc qu’il n’y aurait peut-être pas eu  agression sexuelle.

Je dirais la même chose si le plaignant était une fille et que la preuve était la même.

Il faut comprendre que, dans l’état actuel du droit, un homme de 60 ans peut coucher avec une/e jeune de 16 ans alors qu’un/e prof de 21 ans pourrait être trouvé coupable d'agression sexuelle sur son élève de 17 ans, fille ou gars, pour en être tombé amoureux.

C’est dire que la question du lien d’autorité est capitale, et qu’on ne doit pas l’éluder, même devant une situation factuelle de rapport pédagogique.

Qu’un psychologue vienne dire au jeune amant, dix ans plus tard, que la relation était malsaine ne peut pas faire de l’accusée une criminelle.  Une violeuse.  Qu’elle ait manqué de jugement, qu’elle ait commis une faute professionnelle, qu’elle ait été immature, ce n’est pas ce qui m’intéresse ni ce qui intéresse le droit criminel.   Le fait que le jeune ait été blessé par la rupture ne peut pas non plus, en soi, créer une preuve d'abus pendant la liaison.

La seule chose qui peut faire de l’accusée une criminelle, une coupable, c’est le fait d’un rapport d’autorité à l’époque de cette liaison.  Et ce rapport d’autorité doit être prouvé.  C’est l’enjeu de ce procès.  Tania Pontbriand risque la prison et un casier judiciaire d'agression sexuelle, une des pires stigmates sociales qui puisse exister, surtout pour une enseignante.   C'est quand même un enjeu important.

Photo:  Annie Girardot dans le film Mourir d'aimer, l'histoire de Gabrielle Russier condamnée à la prison pour détournement de mineur sur un élève.  

lundi 26 mars 2012

Prostitution décriminalisée en appel



La Cour d'appel de l'Ontario vient de confirmer en quasi totalité la décision de la juge Himel de la Cour supérieure sur la décriminalisation de la prostitution et des maisons closes.

Le Parlement a donc un an pour modifier sa législation afin de la rendre conforme au droit nouveau.

En septembre 2010, je commentais la décision de la juge Himel.  Mon opinion ( ici) de jadis s'applique mutatis mutandis à cet arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario.






Bedford v. Canada, 2010 ONSC 4264

L'essai de Marie-Pierre Boucher, Sexe Inc., est en partie inspiré de la décision de la juge Himel dans Bedford.  Il est publié chez Poètes de Brousse, dans la collection Essai libre,

dimanche 25 mars 2012

Acquitter un homme sans le croire

Bernard «Rambo» Gauthier a été acquitté des accusations portées contre lui alors même que le juge a dit ne pas croire sa version des faits.


Photo: le Devoir
Et voilà que c’est reparti :  Maudite justice, les juges sont mous et tutti quanti.

On avait tous déjà compris, me semblait-il, que c’est la poursuite qui doit faire la preuve hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé, et non à l’accusé de convaincre le juge de son innocence.

Cette règle est sacrée parce qu’elle est nécessaire dans un État de droit, un État juridiquement sain.

Cette règle implique que, face à deux versions contradictoires, le juge doit faire le raisonnement suivant :

Si je crois l’accusé, je l’acquitte.

Si je ne le crois pas, je me demande si la poursuite a prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable et si elle ne l’a pas fait, je l’acquitte aussi.

Si je ne crois pas l’accusé, et que la Poursuite a fait la preuve hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité, je le condamne.

C’est l’arrêt R. c. W.D de la Cour suprême du Canada.

vendredi 23 mars 2012

Dans l'oeil de Francis Grenier


Non content qu’il ait perdu son œil, le réseau TVA veut faire perdre la face à Francis Grenier avant même qu'il n'ait eu le temps d'exercer ses recours contre qui de droit.


On a effectivement requis les services d’un omnipraticien n’ayant jamais évalué le patient pour lui faire dire que ce jeune homme n’a pas reçu une grenade, mais de l'asphalte.

Le texte est ici.

Qui est ce médecin?  Un omnipraticien qui, suivant une recherche éclair, a témoigné à deux reprises devant les tribunaux dans des affaires concernant des accidents de la route et autres fractures du sternum.

Un omnipraticien qui oeuvre désormais au sein d'une «grande compagnie».  What does it mean, au fait?  Une pharmaceutique? Rockland MD? Québécor?

Un omnipraticien donc.  Même pas un ophtalmologiste.  Qui n’a jamais vu le patient.  Même pas un expert en impact de projectiles.

Et si Francis Grenier poursuivait le SPVM pour sa blessure à l’œil, est-ce que cet «expert» viendrait dire la même chose à la Cour, sous serment?  Serait-il même déclaré expert en impact de projectiles par le tribunal?  M'est avis que c'est une histoire à suivre.

mardi 20 mars 2012

Christian Mistral sur la grève étudiante, et sur l'essentiel

Vacuum II: Scrapbook: Grève étudiante: Ne renoncez surtout pas: vous êtes sur le point de gagner. La solidarité n'est pas un vain mot; du moment que la moitié au moins de vos rang...

La suite du billet:  ici.

samedi 17 mars 2012

Liberté de s'attrouper




Il m’apparaît opportun, avec tout ce qui se lit et se vit ces semaines-ci au Québec, de donner un petit cours d’attroupement 101.

La Charte canadienne des droits et libertés protège la liberté d’association ainsi que la liberté de conscience, d’opinion et d’expression*.

Dans cette optique, la manifestation, en tant que rassemblement d’opinion et d’expression, est légale.   Ce qui est illégal, c’est la forme que peut prendre la manifestation, ce qu’elle peut devenir.





Attroupement et émeute

Ainsi, le Code criminel prévoit les infractions d’attroupement illégal et d’émeute.  Ces deux crimes, c’est l’œuf et la poule:  L’attroupement illégal est un regroupement de trois personnes ou plus qui, par leur attitude tumultueuse, font craindre l’émeute et l’émeute, c’est un attroupement illégal qui a commencé à troubler la paix tumultueusement.

L’attroupement illégal est poursuivi par voie sommaire seulement et donc punissable d'un maximum de 2000$ d'amende et six mois de prison.  L’émeutier, pour sa part, ne peut pas recevoir un peine supérieure à 2 ans de prison.

Tout ça pour dire que ce n’est jamais la manifestation qui est illégale, contrairement à ce qu’on a pu entendre aux infos cette semaine :  c’est l’émeute qu’elle semble devenir, ou qu’elle est devenue.

Méfait

Évidemment, un acte de vandalisme est toujours un méfait, qu’il soit commis pendant une manifestation ou autrement.

Le méfait peut mériter des sanctions très variables selon la gravité des gestes et des conséquences de ceux-ci.  Il est clair que d’égratigner une boîte à lettres ne mènera pas le délinquant en prison, alors que le fait de faire exploser un building en ayant mis la vie de dizaines de personne en danger débouchera sans doute sur une période de réclusion.

Déguisement

Le droit canadien prohibe aussi le déguisement dans un dessein criminel.  C’est l’article 351 (2) du Code.   Ce qui ne veut pas dire que quiconque manifeste masqué commet un acte criminel.  On pourrait imaginer le jeune qui se voile le visage non pas en vue de commettre un crime mais simplement dans le but de ne pas se retrouver «fiché» dans les dossiers policiers. On peut aussi imaginer un citoyen qui porte en guise de masque le visage d’un politicien.  On peut encore imaginer une manifestation de femmes portant la burqa…
Évidemment, et plus réalistement, un individu cagoulé lors d’une manifestation ne donnera pas beaucoup de mal à la Couronne lorsqu’elle devra faire sa preuve du dessein criminel s’il a par ailleurs commis des actes de vandalisme.  Mais ce n’est pas un motif pour criminaliser toute forme de déguisement au cours d’une manifestation.

Porter un déguisement lors d'une manifestation ne peut pas, et ne doit pas, être assimilé au fait d'entrer dans une banque avec un bas de nylon sur la tête.  Le masque peut être une forme d'expression.  Et si des accusations sont portées, ce sera au juge d'en décider.

Et encore…
Les autres accusations criminelles qui sont souvent portées dans la foulées de manifestations où des locaux sont occupés sont celles d’introduction par effraction, de prise de possession d’un lieu par la force et d’avoir empêché la jouissance.  Des accusations de complot en vue de commettre tous ces actes criminels sont très souvent portés aussi.  Malheureusement, dans des dossiers de manifestions, les participants se retrouvent aussi parfois accusés de voies de fait.

Enfin, le bris d’engagement

Les militants sont des récidivistes.  Ils sont arrêtés, accusés, puis arrêtés à nouveau.  Ils le seront encore plus depuis la création de l’escouade GAMMA dont j’ai déjà parlé ici.

Au moment de leur remise en liberté pendant les procédures, ils signent un engagement à garder la paix et à avoir une bonne conduite.  C'est le plus souvent leurs seules conditions de remise en liberté.

La question qui revient sans arrêt :  «Est-ce que je brise mes conditions si je participe à une manifestation?».  La réponse est non.  En quoi le fait de participer pacifiquement à une manifestation constituerait une mauvaise conduite ou une perturbation de la paix publique?

Encore une fois, la manifestation n'est jamais criminelle.

À lire aussi :


* La Charte des droits et libertés de la personne du Québec protège aussi ces libertés civiques, mais c'est la Charte canadienne qui régit les rapports entre l'individu et les forces policières.


-Billet aussi publié sur Voir 

Photo:  Mon père et moi à la  fête des patriotes, St-Denis-sur-Richelieu, 1978.

Avocats et juristes contre la hausse

Après les Profs contre la hausse,  les Parents pour l'assessibilité aux études, les Écrivains contre la hausse, un nouveau groupe sur Facebook voit le jour:  Avocats et juristes contre la hausse.






Évidemment, les étudiants en droit, à l'université ou au Barreau, sont des juristes.