dimanche 17 avril 2011

Les modifications ultraconservatrices au Code criminel canadien – Partie 3

De nombreuses modifications au Code criminel ont vu le jour sous l’égide des conservateurs.  Parmi ces modifications, l’abolition de la peine de prison à purger dans la communauté pour les crimes qui répondent à la définition de « sévices graves contre la personne ».
A-t-on créé une peine minimale de prison pour tous les crimes contre la personne?


Le 30 novembre 2007 entrait en vigueur un article du Code criminel qui énonce désormais que la peine de prison dans la collectivité est ouverte seulement aux crimes autres que les « sévices graves contre la personne »1.
Or, la définition de « sévices graves contre la personne » est large et elle inclut toute forme d’emploi ou de tentative d’emploi de force contre une autre personne, ou toute « conduite » dangereuse ou susceptible d’infliger des dommages psychologiques2. 
Il n’est plus possible, donc, pour un juge, d’imposer une peine de prison dans la communauté pour un vol qualifié, une agression sexuelle simple, un voie de fait, non plus qu’il n’est possible pour les avocats de négocier en vue de l’imposition d’une telle peine.
La modification affecte le quotidien de tous les praticiens du droit criminel et rend impraticable le travail de détermination de la peine des juges, travail qui devrait davantage s’apparenter à un art délicat qu’à un job de bras. (Le juge Lamer dans la Cour suprême dans M. (C.A.))
Pourtant, le législateur n’a pas nommément exprimé l’idée que l'incarcération est un « starting point », il a seulement exclu la peine de prison dans la collectivité.  Que font les juges alors, pour ne pas imposer une peine excessive selon chaque cas?   Ils imposent une peine moindre.  Manière élégante de contourner ce qui devait sans doute être l’intention –illégale et cruelle- du gouvernement conservateur.
En effet, si le juge est face à un délinquant mineur, qui a commis un délit mineur, qui fait preuve de remords et qui, selon les expertises,  ne récidivera jamais, on ne lui imposera pas une peine de prison.  Mais, la « prison-maison » n’était plus disponible, on imposera une peine différente, comme une probation, des travaux communautaires, une amende etc. qui sont toutes des peines moins lourdes.
C'est dire que la conséquence de cette loi est illogique.  Alors qu’on interdit la prison dans la communauté pour un crime donné, le juge imposera peut-être une peine moindre, pour le même crime, alors qu’il aurait mis le contrevenant en prison à la maison avant la modification.
Ce phénomène n’est pas rare ni isolé, il est généralisé.  Les juges sont convaincus d’avoir toujours la discrétion d’imposer une probation, par exemple, même s’ils n’ont plus le droit d’imposer une peine de prison dans la communauté.  La juge Danielle Côté a d’ailleurs rendu deux décisions intelligemment motivées à ce propos3.
En mars dernier, dans La Reine c. Perry, le juge Valmont Beaulieu de St-Jérôme a plutôt déclaré inconstitutionnelle cette disposition du Code qui lui lie les mains et qui l’empêche de traiter le contrevenant avec discernement et suivant les principes de détermination de la peine.
Dans la foulée de la campagne électorale, on a même qualifié de dégoûtants les propos de l’ancien juge Reily qui, référant à ces modifications, a dit qu’une agression sexuelle n’était pas toujours excessivement grave.  Yves Boisvert a écrit un texte à ce sujet :  « Quand la vérité devient dégoûtante ».
Il faut déambuler dans les palais de justice ne serait-ce qu’une journée pour comprendre que le juge Reily a raison, et que tous les crimes contre la personne ne sont pas des crimes subjectivement graves, bien qu’il faille les dénoncer.
Il faut comprendre qu’un voie de fait peut être une tape sur la joue d’un parent à son « enfant » de 22 ans, il faut comprendre qu’une agression sexuelle peut être une main sur une fesse aussitpot enlevée sans avoir obtenu la permission préalable.  Des gestes inadmissibles lorsqu’ils ne sont pas désirés, évidemment, mais qui ne nécessitent habituellement pas une période d’incarcération pour que le contrevenant réfléchisse.
La modification au Code criminel, si elle était préservée et interprétée par les tribunaux comme une véritable peine minimale de prison pour tous ces crimes, comporte deux risques : l’emprisonnement inutile pour la majorité des justiciables qui font face à des accusations criminelles, mais aussi l’acquittement dans un contexte où la personne aurait normalement été condamnée, puis sanctionnée délicatement.

1.  Article 742.1
2.  Article 752
3. Rahmoun 2009, Boutin 2010.

Ajout:  Je vous invite à lire cet article http://www.droit-inc.com/article5557-Menteurs-les-conservateurs-disent-des-avocats

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