mardi 11 octobre 2011

Meurtre d’honneur?

 - Le procès Shafia - 


Le procès pour meurtre prémédité de quatre membres de la famille Shafia débute ce matin à Kingston en Ontario avec la sélection du jury.

Illustration:  Delf Berg - illustrationjuridique.blogspot.com

On a largement parlé du crime d’honneur en lien avec cette affaire où le père, sa seconde épouse et le fils de ce dernier sont soupçonnés d’avoir tué ses trois filles et leur mère, sa première épouse, pour préserver l’honneur de la famille.

Puis on lit, ici et là, qu’il y aura procès pour « crime d’honneur »…

Mais il s’agira strictement d’un procès pour meurtre, et non d'un procès pour meurtre d’honneur, la notion de crime d’honneur n’existant pas en droit criminel canadien.

Tout au plus, la Couronne pourra mettre en preuve cette notion d’honneur de la famille qui aurait été salie à titre de mobile du crime.  Cette idée d’honneur entaché pourra aussi aider la Couronne à faire la preuve du caractère prémédité du meurtre, et de son propos délibéré[1]

Le mobile n’étant pas un élément essentiel du crime, il ne sera pas obligatoire pour la Couronne de prouver qu’il s’est agi d’un crime commis dans ce but de préserver l’honneur de la famille, pas plus qu’elle n’aura à prouver quelque autre mobile.

Les éléments essentiels de l’infraction de meurtre au premier degré, c'est-à-dire les éléments que la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable lors d’une poursuite pour un meurtre au premier sont les suivants :  1) La mort d’un être humain, 2) la mort d’un être humain causée par un acte illégal, 3) un acte illégal commis par l’accusé (l’identité du tueur, est-ce bien celui qui est assis dans le box des accusés), 4) l’intention spécifique de causer la mort ou de causer des blessures que le commettant sait de nature à causer la mort et 5) le geste posé de manière préméditée et de propos délibéré.

Il n’existe donc aucune case pour le mobile parmi les éléments essentiels du crime de meurtre.  Le mobile, s’il y en a un,  fait partie des éléments de preuve circonstancielle que la Couronne peut établir afin de prouver l’intention de tuer, la préméditation, et le propos délibéré.

Si le mobile n’est pas un élément essentiel du crime de meurtre, l’absence de mobile doit toutefois allumer dans l’esprit des jurés une alarme de prudence.  Ceci est tellement vrai que le juge qui instruit le jury doit lui indiquer clairement qu’une absence de mobile est un élément à surmonter pour en arriver à la conviction hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé[2].

C’est donc uniquement dans cette optique que la Couronne pourra mettre en preuve le motif de l’honneur dans le procès Shafia.  Ce sera un élément, parmi d’autres, qui pourra amener le jury à se convaincre hors de tout doute raisonnable de l’intention de tuer.  Se convaincre aussi du caractère prémédité du meurtre, et de son propos délibéré.

Conséquences sur la sentence?

Sur la peine, en matière de meurtre au premier degré, il n’y a pas de discrétion, rien à plaider, rien à prouver.  C’est la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Si toutefois le jury en venait à la conclusion qu’il s’est agi d’un meurtre au deuxième degré, et non d’un meurtre au premier degré, on peut se poser une question :  Est-ce que le juge pourrait utiliser l’honneur, la notion de crime d’honneur, pour diminuer ou, au contraire, pour augmenter la période pendant laquelle les condamnés ne seraient pas admissibles à une libération conditionnelle?

Les notions de circontances aggravantes ou atténuantes sont des notions qui appartiennent au sentencing, à la détemination de la peine, et non à l’infraction et la commission de l’infraction.  On ne parle jamais –sauf dans les tavernes et dans les médias sociaux - de facteurs aggravants, ou de facteurs atténuants, pour décider de la culpabilité ou de l’innocence.  Il s’agit d’éléments que le tribunal considère au moment de décider de la peine.

C’est seulement ici que la question de l’honneur pourrait avoir un intérêt juridique.

Tuer pour l’honneur, est-ce un facteur atténuant, ou aggravant?

Je parierais ma toge qu’aucun juge canadien ne considérera que la volonté de préserver l’honneur de la famille puisse être un facteur atténuant la peine.

Au contraire, certains éléments sont expressément prévus par le code criminel comme constituant une aggravation du crime, et parmi ceux-ci figurent la haine fondée sur le sexe de la victime, les mauvais traitements infligés à l’époux/se ou conjoint/e, les mauvais traitement infligés à des personnes de moins de 18 ans, une infraction qui constitue un abus d’autorité.

M’est avis que, suivant l’état actuel du droit canadien, commettre un crime pour l’honneur –l’honneur patriarcal, l’honneur d’une domination masculine, l’honneur du père mue par une haine des femmes – est plutôt un facteur aggravant.





[1] Car le meurtre au premier degré est un meurtre commis de manière prémédité et de propos délibéré.  La préméditation seule ne suffit pas.

[2] R. c. Proulx, [1992] R.J.Q. 2047, R. c. Hibbert, [2002] 2 R.C.S. 445


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1 commentaire:

  1. Merci pour ce billet qui a le mérite de mettre les choses à leur place. Et cette analogie entre la taverne et les médias sociaux est plutôt amusante!

    Plus sérieusement, il m'apparaît important que ce crime, s'il a été commis par les accusés et si le mobile avéré était celui d'honneur, soit expressément puni pour ce qu'il est réellement: un crime horrible.

    Je pense que j'irais jusqu'à espérer secrètement que le jugement, s'il va dans le sens d'un meurtre prémédité, devienne un modèle pour les familles dont le sens de l'honneur est si fort que ça puisse leur donner des idées de meurtres.
    Qu'y a-t-il de plus important ? L'honneur ou l'amour des nôtres ? Je préfère 100 fois une mère qui, malgré les évidences, va nier les crimes commis par son enfant, à des parents qui, parce que leur enfant les auraient déshonorés, en arrivent à sacrifier sa vie impunément. Le déshonneur, tout comme le ridicule, ne tue pas... Mais on a vu de nombreuses histoires d'horreur où "les déshonorés" se transforment en assassins.
    Un procès à suivre... surtout par d'autres parents qui auraient de telles envies meurtrières!

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