vendredi 6 février 2015

Prison à perpétuité, sans possibilité aucune de libération conditionnelle



Un jour, une collègue m’appelle pour que je me rende au Centre régional de réception, un pénitencier de Ste-Anne-des-Plaines où les condamnés sont triés, classifiés et finalement conduits vers leur destination des prochaines années, afin de rencontrer un gars qui venait d’être trouvé coupable de meurtre au premier degré et, par conséquent, condamné à une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

On n’insistera jamais assez : la libération après 25 ans n’est toujours qu’une possibilité et elle est conditionnelle à perpétuité. 

Je me rends donc au CRR. Routine. Je fais une entrevue avec le client. Routine. J’écoute son histoire. Routine. Je reviens au bureau et je commande les CD des directives du juge au jury et de quelques témoignages, en plus de lire deux ou trois jugements rendus par le juge en cours de procès.  Routine.  J’accepte de porter sa cause en appel parce que je suis d’avis que, théoriquement, du point de vue des principes de droit, il y a des choses qui clochent.  Routine.

On ne va pas toujours en appel parce qu’on croit à l’innocence morale de nos clients. On va en appel parce que les principes de justice fondamentale, celle qui tend vers la Justice platonicienne et qui structure notre système de droit, nous semblent avoir été bafoués. On va en appel pour la cause. Celle de l’État de droit.

Ce client ne m’a jamais dit «je ne l’ai pas tué».  Pas son genre.  C’était pas un braillard. Il n’a d’ailleurs pas témoigné à son procès. Il n'aurait pas pu. Il ne faisait que souligner, en théoricien, tel un juriste, ce qui lui semblait être des accrocs à la vérité pendant son procès, de la même manière que je portais sa cause en appel non pas en pensant «il ne l’a pas tué» mais en arguant que la preuve d’identification était chétive, qu’un des témoignages policiers était ignominieux et que certaines directives du juge au jury étaient souffreteuses.

Un jour, pendant une rencontre avec lui au pénitencier, alors que je (me) posais des questions sur le nombre de mètres entre X et Y et sur la possibilité de courir à gauche plutôt qu’à droite, bref, alors que je tentais de comprendre la scène de crime d'un point de vue spatio-temporel, et ce après plusieurs mois de travail et plusieurs rencontres avec lui, il (se) chuchote, comme in petto même si j’ai entendu et qu'il devait bien savoir que j'entendrais, une phrase qui se terminait par «because quand j’ai entendu les coups de feu, j’étais dans le char avec X sur la rue Y».

Ça y était. J’avais un aveu de son innocence. Plus tabou qu'un aveu de culpabilité. J’avais un non coupable dans la face. Non coupable du geste pour lequel il avait été condamné du moins. La liberté d’un non coupable dans les mains. Je l’ai regardé dans les yeux, il a soutenu mon regard, et on a continué à parfaire ma compréhension de la spatio-temporalité de la scène du crime. Il s’était échappé et j’ai fait comme si je n’avais rien entendu. Sauf que dans mon ardeur au travail, quelque chose avait changé. Sur le chemin du retour vers la maison, je n'ai ni allumé la radio, ni parlé au téléphone, ni excédé la limite de vitesse permise. J'ai roulé, lentement, pour ne pas chavirer. 

Exit la routine. Je voulais gagner son appel avec mon cœur et non avec ma tête. 

Est-ce que ce gars était totalement blanc et pur?  Un Saint Innocent? Évidemment que non, puisqu’il était dans un char avec X sur la rue Y. On ne se retrouve pas en secret dans un char avec X sur la rue Y quand on est un Saint Innocent. Est-ce qu’il s’était fourré dans des emmerdes pas possibles en frayant avec des brigands où il s'est rendu moralement coupable d’une certaine forme de complicité? Probablement. 

Mais à son procès, trois témoins saouls sortant à peine de l’adolescence avaient juré qu’ils l’avaient vu tirer, lui et lui seul, et un policier avait sommé le jury de croire que le tireur ne pouvait qu'être lui.

Ce gars-là était attachant et vraiment intelligent. Un bon gars. Je vais même préciser, pour les bonnes gens, que c'était un vrai gars de bonne famille et qu'il s'en est fallu de peu pour qu'il reste un gars ben ordinaire. N’importe quels parents auraient pu s’identifier aux siens.  

Pendant sa détention, alors que le processus d’appel suivait son cours, il s’est fait une blonde. 

Elles sont intrigantes ces filles qui tombent amoureuses de détenus alors je vais raconter l’histoire. Il l’a connue au téléphone, par hasard. Il avait appelé un copain mais le copain était absent. C’est la blonde du copain qui avait répondu. Vous savez, quand un gars détenu au pen appelle, on ne se contente pas de dire «il est absent pour le moment» : on prend le temps de jaser. Donc il a placoté avec la blonde de son ami au téléphone, via l’appareil main libre de la voiture. Or, une copine de la copine était assise sur le siège passager et elle a pris part à la conversation. C’est là que le mystérieux béguin a pris naissance. Ils se sont reparlé. Petit à petit, ils ont eu envie de se voir. Il l'a ajoutée à sa liste de visiteurs. Puis elle est allée le voir. Puis leur relation s'est qualifiée de «relation personnelle étroite», ce qui leur a permis d'accéder au privilège des «visites familiales privées», dit autrement, d'accéder à la roulotte. Environ tous les deux mois, ils ont eu droit à de l'intimité pendant quelque 48 heures. J’ai rencontré cette fille une fois et je lui ai parlé au téléphone à de nombreuses reprises. C’est une fille sensée. J’ai beau ne pas comprendre, je dois faire le constat que c’est une fille équilibrée, aimante et solide.

Quand j’ai perdu en appel, elle était enceinte et lui était heureux comme un enfant.  Quand la Cour suprême a refusé d’entendre l'appel de l'appel. Elle avait accouché d’un bébé garçon.

Il lui reste environ 15 ans à purger avant d’être admissible à une libération conditionnelle et je sais, avec toute la force de mon intime conviction, qu’il ne se remettra plus jamais les pieds dans un pétrin de cette (dé)nature.

Si un projet de loi immonde comme celui des conservateurs entrait en vigueur, il resterait détenu jusqu’à sa mort.

Quand la Cour suprême a refusé d’entendre son appel, j’ai pleuré.  C’est la deuxième fois de toute ma vie d’avocate que je braille pour un dossier.  Deuxième fois de ma carrière que mon client, au téléphone, entend que je retiens un spasme en feignant le professionnalisme.

Quand je pense au projet de loi des conservateurs d’abolir la possibilité de libération conditionnelle ou de la rendre toujours de plus en plus inatteignable, c’est à lui que je pense.


On peut penser aux vrais, purs et chastes innocents.  On peut penser aux monstres réhabilités. Moi je pense à tous ceux qui ne sont ni l’un, ni l’autre : ceux qui n’ont jamais été totalement innocents sans être de vrais malades en voie de réhabilitation. Ceux qui ont sans doute commis l’erreur de frayer avec le mal sans avoir jamais été totalement mauvais et qui assument, in petto


4 commentaires:

  1. Hostie que t'es géniale, Maître...

    Merci, Véronique.

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  2. Véro, tu me fais pleurer... Encore une fois, je te redis ce que je t'ai dit la première fois que je t'ai écris. Merci d'être humaine, y a pas assez de gens comme toi.

    Marie-Claude D.

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  3. Gros respect a toi et a mon boy jamie on es la les vrai de vrai ton pas oublier pasque tu es un brai de vrai ile en fond plus des come lui un vrai homme BIG RESPECT free jay

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