On me demande de commenter la décision du Procureur de l'État de New-York d’abandonner les accusations dans le dossier de Dominique Strauss Kahn.
C’est qu’il y a peu à dire, ma foi.
Que le ministère public « drop les charges », pour parler français, est une chose très fréquente, et presque systématique lorsqu’il n’a plus lui-même confiance en son principal témoin. On en parle beaucoup -trop?- cette fois-ci parce que l'affaire était déjà hyper médiatisée, simplement.
En Common Law, la preuve de la culpabilité doit être faite « hors de tout doute raisonnable ». Ce concept de doute raisonnable, cette norme de preuve, ce fardeau de preuve rigoureux imposé à l'État, est ce qu'il y a de plus fondamental dans notre système de justice criminelle parce que la présomption d'innocence en est tributaire.
Au fait, concernant le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable, je tiens à souligner qu'il s’agit d’un concept juridique et non d'une métaphore ou d'une expression langagière. « Proof beyond reasonable doubt» en anglais. On ne peut pas galvauder ou pervertir la formulation, comme je l'ai lu et entendu tant de fois cette semaine chez des journalistes européens alors qu'on parlait de preuve «Au-delà du doute raisonnable », de preuve « par delà le doute » et j'en passe.
« La charge qui incombe au ministère public de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée à la présomption d’innocence. Il est d’une importance fondamentale pour notre système de justice pénale que les jurés comprennent clairement le sens de cette expression. Il s’agit de l’une des principales mesures de protection visant à éviter qu’un innocent soit déclaré coupable. Les affaires Marshall, Morin et Milgaard sont un constant rappel que notre système, malgré toutes les mesures de protection qu’il comporte en faveur de l’accusé, peut néanmoins donner lieu à des erreurs tragiques. L’objectif de la justice pénale doit être la tenue d’un procès équitable. Il ne peut y avoir de procès équitable si les jurés ne comprennent pas clairement le concept de base et fondamentalement important de la norme de preuve que le ministère doit respecter pour obtenir une déclaration de culpabilité. »
Si le ministère public lui-même remet en question la crédibilité de son témoin principal – et dans une cause d’agression sexuelle le témoignage de la plaignante est vraiment la pierre angulaire de l’affaire – comment penser qu’un jury pourrait croire à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable?
Ce n’est pas une atteinte à l’intégrité des femmes, ni un manque de respect à l’endroit des victimes d’agression sexuelle. C’est une décision qui ne concerne que la probabilité raisonnable de condamnation de l'accusé. Ayant analysé toute sa preuve, le Procureur de l’État de New-York a jugé qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de condamnation, vu la fragile crédibilité de son principale témoin.
Car le ministère public doit prouver non pas qu'il y a eu rapport sexuel - un rapport médical est à l'effet qu'il y a eu une «relation sexuelle précipitée» et pour ce que je connais du dossier, la relation sexuelle aurait été assez facile à prouver, voire admise par la défense (c'est-à-dire par Strauss Kahn et ses avocats), mais bien qu'il y avait absence de consentement lors de cette relation sexuelle.
Et je vous assure que si le ministère public lui-même d'avis que sa plaignante est peu crédible, c’est que les chances de condamnation devaient vraiment être bien ténues, pour ne pas dire inexistantes.
DSK moralement coupable?
On se demande partout si Domininque Strauss Kahn est coupable malgré ce retrait des accusations. Légalement, Dominique Srauss-Kahn n’est pas coupable. Il se retrouve au point où il était avant d’avoir été arrêté, c'est-à-dire libre et innocent.
Maintenant, ça ne veut pas dire que les gestes répréhensibles n’ont pas été posés. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu agression sexuelle. Sauf que le droit et la justice exigent que la culpabilité soit prouvée, et non suspectée, ou supputée.
Vous connaissez l'adage? Vaut mieux dix coupables en liberté qu’un seul innocent en prison.
La culpabilité ou la non-culpabilité morale de Dominique Strauss-Kahn ne relève pas du droit, ni même de la justice, elle relève de Dieu. Ou d’une éthique kantienne qui n’est pas du ressort de la justice criminelle.
Poursuite civile?
La plaignante pourrait engager une poursuite civile contre Dominique Stauss Kahn et elle pourrait avoir gain de cause puisque le fardeau de preuve n'est pas le même. Alors que la preuve en droit criminel doit être faite hors de tout doute raisonnable, elle doit être faite suivant la prépondérance de preuve en droit civil, ou suivant la balance des probabilités. La fameuse balance. Le juge (ou le jury au États-Unis, nous n'avons pas de procès civil devant jury au Canada) devra analyser la preuve, la soupeser, et voir de quel côté la preuve est la plus lourde, de quel côté penche la balance, du côté de la demanderesse, ou du côté du défendeur.
C'est ce qui s'était produit dans l'affaire d'OJ Simpson. Alors que le fameux gant, qui ne seyait pas à la main de l'accusé, avait soulevé un doute raisonnable dans l'esprit des jurés au procès criminel, la procédure civile a mené à une conclusion de responsabilité de Simpson pour le meurtre de son ex femme, parce que dans la balance, la preuve était plus lourde du côté de cette responsabilité.
Quand il s'agit de droit fondamentaux, de présomption d'innocence, d'atteinte à la liberté de l'individu, on ne peut pas se contenter de mettre des éléments de preuve dans une balance pour voir s'il y a une probabilité plus grande que l'accusé soit coupable. Le fardeau de l'État poursuivant doit être plus lourd. Et c'est la preuve hors de tout doute raisonnable.
J’avais écrit un long commentaire qui a été supprimé lorsque j’ai cliqué sur « publier »… Je prends mon courage à dix doigts et je commets ceci…
RépondreSupprimer« La culpabilité ou la non-culpabilité morale de Dominique Strauss-Kahn ne relève pas du droit, ni même de la justice, elle relève de Dieu. »
S’il est vrai qu’un procès ne sert en rien à juger de la valeur des personnes -- ici une « pauvre » femme de ménage, immigrante sur des bases douteuses, noire et ayant des relations suspectes, face à un homme extrêmement riche, un « puissant » qui ne manque d’aucun moyen et dont les antécédents connus ont toujours été balayés – les chances de convaincre un jury devraient porter sur une seule chose : la parole de la plaignante vaut-elle la parole de l’accusé. Si oui, les faits sont largement en sa faveur, puisque le rapport sexuel avec éjaculation de l’accusé est établi. Consenti ou non, c’est la seule question.
Je suis toujours outré de voir à quel point le passé d’une victime réelle ou la manière dont elle arrive à sortir du placard pour accuser son agresseur a une incidence dans la perception du public. Pensons à Nathalie Simard. Il s’en est trouvé plus d’un pour estimer qu’elle était en recherche d’argent ou de sympathie. On l’a jugée sur le temps qu’elle a mis pour dénoncer, sur les activités probablement frauduleuses avec son partenaire, sur son désir de revenir à l’avant-scène, etc. Si tout ça était vrai, il n’en reste pas moins qu’elle avait été victime d’agressions sexuelles. Un jury l’a crue, envoyant son agresseur en prison, détruisant par le fait même la notoriété de ce dernier, le forçant après sentence à une réclusion toute méritée.
Cyrus Vance n’a plus eu confiance en sa plaignante. Mais les avocats de cette dernière, non moins sérieux, ont voulu qu’un procureur spécial soit désigné pour un regard nouveau soit posé sur cette affaire. Selon ce que j’en comprends, Me Vance n’a pas simplement laissé tomber les accusations devant la faiblesse des preuves, mais plutôt devant la faiblesse de sa victime mal outillée face à la toute-puissance et les moyens disproportionnés du présumé agresseur. L’évidence de perdre son combat a mis Vance K.O. avant de monter sur le ring. J’aurais aimé, pour que la justice n’attende pas le jugement divin, qu’un procureur spécial soit désigné et qu’une autre opinion soit portée sur cette affaire. J’aurais souhaité qu’un jury soit exposé aux faits, aux explications, aux incohérences des deux parties en présence. Là, devant un éventuel acquittement, je me serais dit que la justice a suivi son cours.
En attendant, oui, je m’en remets à Dieu, mais celui auquel je crois est un Dieu de pardon. Je n’ai donc pas trop de craintes pour DSK, car la vie ou la mort le conduira un jour à la vérité sur lui-même. J’ai davantage de souci pour la vie présente de la plaignante, car elle a été privée de toute sa dignité; et sa vie désormais relève du pire cauchemar. Je lui souhaite donc et je prie pour que Dieu suscite autour d’elle des élans de solidarité et de compassion afin de l’aider à réintégrer peu à peu sa dignité perdue.
Je suis athée et sans m'en remettre à Dieu, je suis entièrement mais alors là vraiment entièrement d'accord avec vous Jocelyne.
RépondreSupprimerMerci d'avoir pris le temps de réécrire votre commentaire. Cela valait la peine.
''Si oui, les faits sont largement en sa faveur, puisque le rapport sexuel avec éjaculation de l’accusé est établi. Consenti ou non, c’est la seule question.''
RépondreSupprimerEn empruntant cette logique, cela voudrait qu'à chaque fois qu'une relation sexuelle est prouvée,le ministère public devrait aller de l'avant dans toutes les plaintes d'agression sexuelles? Je ne crois pas que votre raisonnement soit valide (sans vous attaquer bien sûre).
Je suis d'accord avec Jocelyn et je suis très dégoûté de voir à quel point le système de justice réussi à être corrompu par ceux qui ont de l'argent.
RépondreSupprimerCette femme qui a été violée par DSK a été salie par les médias du monde entier et grâce à ses moyens financiers DSK a encore pu s'en sortir.
Comme le dis Jocelyn, je ne peux faire autrement que de m'en remettre à Dieu, le seul dont le Jugement et la Justice compte réellement.