mercredi 1 juin 2011

SharQc – Arrêt des procédures


Le centre judiciaire gouin et la prison de Bordeaux.

Dans un jugement du 31 mai 2011, l’honorable James Brunton de la Cour supérieure vient d’arrêter les procédures dans le mégaprocès SharQc sur les chefs d’accusation de trafic de stupéfiants, de complot en vue de commettre ce trafic, et de gangstérisme.
Une des conséquences de cette décision, c’est que 31 des 156 accusés[1], contre qui ne pesaient que des accusations relatives à la drogue sont libérés. 
L’autre conséquence de cette décision, c’est que les 125 accusés qui restent vont subir leur procès sur des chefs d’accusation de complot pour meurtres et de meurtres.  Ils ne subiront pas de procès sur les chefs de trafic de stupéfiants, de complot pour commettre ce trafic, ni de gangstérisme.

Le gangstérisme
Il ne s’agit pas d’une infraction substantive, c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un crime qui peut exister par lui-même.  On ne peut pas être accusé de gangstérisme isolément, non plus qu’on ne peut être déclaré coupable de gangstérisme isolément.  C’est toujours la culpabilité sur le crime substantif, par exemple le vol, qui pourra mener à la culpabilité sur le crime de gangstérisme, c'est-à-dire le vol « au profit, sous la direction, ou en association avec une organisation criminelle ».

Si donc il est possible d’être condamné pour vol, mais acquitté de gangstérisme, par exemple parce que la preuve que le vol a été commis en association avec un gang n’a pas été faite, il est impossible d’être condamné uniquement pour gangstérisme.  Comme la complicité et les autres infractions inchoatives, le gangstérisme n’a pas d’existence autonome.


Le choix du poursuivant
Le ministère public a choisi d’accuser 156 personnes dans un même acte d’accusation.  Certaines de meurtres, d’autres de trafic de stupéfiant, d’autres encore de recel[2], le tout en association, au profit, ou sous la direction d’une organisation criminelle.
Pour résumer le dossier SharQc le plus clairement possible, disons ceci :  156 personnes accusées d’au moins 6 crimes commis sur une période de 17 ans en association ou au profit d’une organisation criminelle :  125 personnes parmi celles-là sont accusées de 22 meurtres et complots de meurtres (toujours au profit d’une organisation criminelle), et sur ces 125 personnes accusées de 22 meurtres, il existerait de la « preuve directe » contre seulement 18. Les  107 autres présumés meurtriers sont accusés en vertu du mécanisme juridique de la complicité, du complot et du gangstérisme.  Mais attention,  de ces 156 personnes, il faut retirer les 31 accusés contre qui il n’y avait que des chefs d’accusation de trafic, de complot de trafic et de gangstérisme.
Limpide non? 
La simple lecture de l’acte d’accusation, ou encore des pages 3 et 4 de la décision du juge Brunton, suffisent à convaincre le profane qu’il eût été improbable qu’un jury arrive à démêler tout ça et à décider d'un verdict.  L’exemple Norbourg est éloquent.
Certes, les délais ont joué dans la décision du juge Brunton, mais j’y lis plutôt la volonté d’éviter un fourbi qui aurait mené, quasi inévitablement, à un ou plusieurs avortements de procès.
Un procès de meurtres
Il faut savoir qu’avant 1991, il était illégal d’accuser une personne à la fois de meurtre et d’un autre crime dans un même acte d'accusation.  Pour faciliter les procédures, le législateur a amendé le Code criminel de sorte qu’il est maintenant possible d’accuser une personne de meurtre et d’un autre crime dans le même dans le même dossier, pour autant que ces crimes découlent de la même affaire.
Dans la foulée de cette requête en arrêt des procédures, la poursuite a prétendu être autorisée à accuser tous ces gens de tous ces crimes commis à toutes ces périodes parce que les crimes relèvent tous du même acte : le trafic de stupéfiant de 1992 à 2007.[3]

Selon la théorie de la poursuite, le trafic de stupéfiant est le mobile des meurtres.  Le juge Brunton a jugé que la preuve du mobile allait pouvoir se faire même en l’absence des accusations –lourdes et complexes- de gangstérisme.

Le juge Brunton a réfuté cet argument et a décidé que la Poursuite ne pouvait pas, dans un même acte d’accusation, réunir tous ces chefs disparates.
C’est là l’essentiel de la décision du juge Brunton selon moi.  

On lui demandait de casser l’acte d’accusation pour cause d’illégalité en invoquant de nombreux motifs, dont celui de l’inclusion des 31 dans ce dossier de meurtres, mais le juge a trouvé que la cassation de l’acte d’accusation, et donc l’arrêt des procédures sur tous les chefs, pour tous les accusés, était un remède excessif.  

Par contre, sur la base d’un raisonnement rigoureux qui l’a amené à diviser les accusés et les accusations de manière à ce que chacun subisse un procès efficace, il a décidé qu’un arrêt des procédures s'imposait sur les chefs de trafic de stupéfiants, de complot pour trafic de stupéfiants, et de gangstérisme. 

31 personnes libérées

Mélanie Gauthier
 Oui, cela fait en sorte que 31 personnes accusés de trafic de stupéfiants sont libérées.

On entend les cris.  On lit des jurons.  On a même pu lire sur Twitter des souhaits de peine capitale pour ces gens. 

Ces gens n’étaient pas pour la plupart membres des Hells Angels, contrairement aux mots choisis par les titreurs des grands journaux.  Ces gens n’avaient rien à faire dans un procès pour meurtres.  Ces gens étaient accusés de crimes pour lesquels ils auraient reçu des peines de moins de 10 ans de pénitencier dans l’éventualité d’une condamnation, et ils en avaient déjà quatre de purgés.  Dans le cas de certains, « leur temps était fait », ou presque, comme on dit dans le milieu[4], c'est-à-dire que, dans un avenir très rapproché, ils auraient pu être condamnés sans retourner en prison parce que la période passée en détention préventive est égale à la peine méritée.  On dit très justement « time served » en anglais.
Ces gens, surtout, auraient déjà été jugés s’ils avaient été poursuivis chacun dans son patelin, soit seule ou par petit groupe.  Je suis en total désaccord avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui affirme que ça aurait pris toute une vie de les accuser un à un.  Le projet Cabotin –un sous-projet SharQc– roule actuellement à Chicoutimi.  Il aurait pu en être de même pour de nombreux sous-projets.
L'impression du profane est que justice n'a pas été rendue.  Mais le profane jette le blâme au mauvais endroit, et déverse sa colère sur les mauvais acteurs.  Faut-il aussi rappeler au profane qu'une décision prise en vertu de la Charte, qu'une décision prise dans l'intérêt de la justice et des droits fondamentaux des individus, de tous les individus, est obligatoirement une décision juste.

Note:  Un passage a été caviardé en raison d'un interdit de publication.


[1] L’acte d’accusation comporte 156 accusés dont l’un est décédé depuis.
[2] Mélanie Gauthier était accusée de trafic, de recel et de gangstérisme.
[3] De nombreux accusés avaient moins de 10 ans en 1992!
[4] Je pense entre autres à Mélanie Gauthier du Saguenay et à Michel Rivard du Nouveau-Brunswick.


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