mercredi 19 octobre 2016

Propagande haineuse, menace et intention criminelle


En réaction à la parution du livre Les superbes de Léa Clermont-Dion et Marie-Hélène Poitras, un personnage visiblement dérangé, mais peut-être pas au point d'être non criminellement responsable,  a publié un tweet abject incitant à la haine des femmes, ce qu'on appelle plus largement de la propagande haineuse.

L'expression «propagande haineuse» en droit criminel canadien est générique et comprend l'incitation au génocide et l'incitation à la haine.





Les propos tenus semblent correspondre à la définition de l'infraction d'incitation à la haine qui se trouve à l'article 319 du Code criminel:



Des modifications ont effectivement été apportées à ce crime tout récemment en 2014 pour y inclure le sexe, c'est-à-dire les femmes, comme groupe visé.



Historiquement, cet article ne concernait que les groupes ethniques et religieux. En 2004 on y a ajouté l'orientation sexuelle, puis en 2014 le sexe, l'âge et le handicap [1].

Le tweet semble comporter, donc, une incitation à la haine envers le femmes, à l'instar du défunt site internet d'un certain Jean-Claude Rochefort, masculiniste avoué, un autre vénérateur Marc Lépine, à une époque où le crime d'incitation à la haine des femmes n'existait pas puisque seule l'incitation à la haine d'un groupe raciale ou religieux était criminelle.

Ce temps est révolu

Le tweet en question ne semble pas constituer une menace. Aucun geste n'est prévu. On ne menace pas de tuer des femmes, on idolâtre ceux qui le font: nuance.

Quoi qu'il en soit, et c'est l'objet, ou le prétexte, de ce billet, un porte-parole de la S.Q. a «rappelé à la population» que le fait de menacer, peu importe l'intention, constitue un acte criminel: [2]

« L'enquête est en cours et tout propos haineux ou menaçant fera l'objet d'une enquête, a confirmé Daniel Thibodeau, porte-parole de la SQ. On tient à rappeler à la population que le fait de proférer des menaces, peu importe l'intention, même sur l'internet, constitue un acte criminel qui est pris au sérieux. »  [2]

Nonobstant le fait que je ne vois pas où est la menace dans ce tweet qui, encore une fois, constitue plutôt une incitation à la haine, il est absolument faux de dire qu'une menace peut exister sans intention

Aucun crime n'existe sans intention. Il y a toujours deux composantes à une infraction criminelle: le geste ou les mots, ou encore l'omission de poser un geste nécessaire en matière de négligence (qu'on appelle l'actus reus), et l'intention coupable (qu'on appelle la mens rea).

Encore une fois, un crime ne peut exister sans intention, en tout cas pas dans notre droit, et nulle part en common law d'ailleurs.

Dans le cas de la menace, l'intention requise pour qu'il s'agisse d'une infraction criminelle est l'intention de faire peur ou que les propos soient pris au sérieux.
 Dans le cas du harcèlement, pour donner un exemple apparenté*, l'intention requise pour qu'il s'agisse d'un crime est moins précise que celle de la menace, il s'agit d'une intention d'insouciance, c'est-à-dire que la personne se fiche de savoir si son comportement fait en sorte que la personne visée se sente harcelée ou pas.


Vous aurez compris que le crime de harcèlement, qui requiert un niveau d'intention moins élevé, est plus facile à prouver que le crime de menace qui exige la preuve hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait réellement, spécifiquement, l'intention de faire peur à la personne qui reçoit le message, alors que pour prouver le harcèlement, il suffit de prouver -toujours hors de tout doute raisonnable, que l'accusé est insouciant quant à l'effet de son comportement sur sa victime

 

Dans le cas de l'incitation à la haine, deux manières de commettre le crime existent, comme on le voit sur l'image reproduite plus haut de l'article 319 (1) et (2) du Code criminel:

La première, 319 (1), l'incitation publique à la haine, comporte une intention plus générale s'apparentant à l'insouciance, un peu comme le harcèlement, alors que la seconde, 319 (2), fomenter volontairement la haine, comporte une intention spécifique de fomenter la haine, un peu comme la menace. Dans tous les cas, une intention criminelle, coupable, mauvaise, est requise

On ne peut pas commettre un crime sans faire exprès, on ne peut pas commettre un crime par accident, on ne peut pas commettre un crime sans être conscient… On ne peut pas commettre un crime sans intention.

En espérant que le policier de la S.Q. ait été mal cité, parce que bien que les policiers ne soient pas des juristes, ils sont quand même les intervenants de première ligne dans notre système de justice pénale et que l'erreur commise est grave: l'intention, c'est la base du droit criminel.

 







[2] La Presse, 18 octobre 2016, «Un tweetviolent sur Les Superbes mène à une enquête de la S.Q.», Audrey Ruel-Manseau

* Je parle d'un exemple apparenté parce que les femmes en général, et les féministes en particulier,  sont victimes de harcèlement criminel constant sur les réseaux sociaux et, contrairement à ce qu'on est portés à croire même comme juriste, la répétition n'est pas toujours nécéssaire pour qu'on soit face à du harcèlement. 

1 commentaire:

  1. Vouloir cliver notre race, c'est-à-dire aspirer à reléguer les sexes à des pôles différents, alors que nous formons une seule harmonieuse ou bancroche créature — l'humanité —, bref, du point de vue de l'homme, faire acte de misogynie, c'est déjà idiot. Jeter de l'huile sur le feu, intentionnellement faire fleurir la bêtise susmentionnée, au moment où deux femmes brillantes célèbrent l'émancipation de la femme en dénonçant les torts qui leur sont faits, c'est une abyssale connerie.

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