Si un tel drame se préparait dans votre entourage, seriez-vous coupable de ne l'avoir pas vu venir?1
Un ancien psychiatre, dernièrement, sur les ondes d’une radio, affirmait qu’une femme adultère, son amant, ainsi que l’ex conjointe cocue de cet amant, étaient tous responsables du meurtre de deux enfants commis par l’ancien mari de la femme adultère. Vous vous y retrouvez?
Plus clairement, Pierre Mailloux, psychiatre radié, affirmait que l’ancienne conjointe de Guy Turcotte, son nouveau chum ainsi que l’ex femme de ce dernier étaient aussi responsables de la mort des enfants. Son opinion, appuyée sur pas grand-chose sinon l'assertion de son cru: « Isabelle, elle le connait son fou ». Nous, on connait le personnage Mailloux, alors on laisse passer.
Il est là le hic : Au-delà de son opinion farfelue quant à la responsabilité de quiconque a côtoyé le cardiologue, son propos est à l’effet que ces personnes sont « criminellement responsables», puisqu’il parle d’accusation de négligence criminelle. Une idée saugrenue, mais suffisamment dérangeante pour que des gens se soient posé –et m'aient posé- sérieusement la question : Pourraient-ils être accusés?
Mais non! Accusés de quoi? De complicité? De complot? De négligence criminelle? De « non assistance à personne en danger? ». Et si on dépatouillait un peu tout ce schmilblick.
La complicité
C’est un mode de participation à une infraction. Le complice est celui qui « aide et encourage » l’auteur principal à commettre un acte criminel. Le complice sera accusé de l’acte criminel commis, pas exemple un vol de dépanneur, pour avoir aidé l’auteur principal, ou pour l’avoir encouragé. L’acte d’accusation n’a même pas à mentionner que le geste a été commis par le biais de la complicité. Toujours avec l’exemple du vol de dépanneur, le complice qui fait le guet sera accusé de vol. Comme pour tous les crimes, il faut un acte coupable, et un esprit coupable. L’aide. L’encouragement. Crier « lets go mon homme» en tapant des mains pendant que le commettant principal entre et prend la caisse. Voilà ce qu’est la complicité. On ne peut pas être complice par omission de dénoncer, ou par omission d’avoir deviné. On ne peut même pas être complice pour avoir été présent sans rien faire2.
Le complot
Le complot est une entente en vue de commettre un acte criminel, et c’est un crime en soi. Pas un mode de participation à un crime. On peut donc commettre un complot, être accusé et trouvé coupable de complot même si le crime projeté n’a pas lieu. Rien à voir, mais strictement rien à voir avec des humains qui n’ont pas vu venir un drame.
La négligence criminelle
La négligence criminelle n'est pas une simple affaire d’insouciance. La loi, c'est-à-dire le Code criminel, parle d’une « insouciance déréglée ou téméraire ». Il faut, pour être coupable de négligence criminelle –dans ce cas-ci il s’agirait de négligence criminelle causant la mort – avoir fait preuve d’une telle témérité, d’une telle insouciance, que le comportement est moralement et criminellement répréhensible puisque que chacun est censé avoir prévu les conséquences de ses actes.
Pour évaluer si le comportement a été déréglé, on se demande s’il s’agit d’un « écart marqué » par rapport à la conduite de la personne raisonnable. Tout ça devant, évidemment, être prouvé hors de tout doute raisonnable. Aucune espèce de probabilité que l’État poursuive les gens qui entourent Guy Turcotte de négligence criminelle. Sinon, pourquoi pas sa vieille mère tant qu’à y être?
La non assistance à personne en danger.
La formulation est française. C’est effectivement une infraction pénale dans de nombreux pays européens.
Ici, il n’y a pas de responsabilité, ni criminelle ni pénale, à assister une personne dans le besoin. Toutefois, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoit une obligation civile de porter « secours à une personne dont la vie est en péril ». On pourrait donc poursuivre au civil, en principe, une personne qui ne nous porte pas secours lorsque notre vie est en péril. Dans les faits, je n’ai pas souvenir d’une telle poursuite.
Encore une fois, on est bien loin d’une quelconque responsabilité criminelle dans le cas de l'ex femme de Turcotte. La Charte québécoise s’applique aux rapports entre les personnes, pas aux rapports entre l’État et les individus, contrairement à la Charte canadienne des droits et libertés.
Devoir tendant à la conservation de la vie
Très semblable au crime de négligence criminelle en ce qui a trait à l’élément moral, cette infraction est celle de ne pas avoir fourni au conjoint ou aux enfants « les choses nécessaires d’une personne à charge ».
Il s’agit ici de ne pas remplir une obligation légale, comme la fourniture de soin de santé pour un enfant malade, par le parent gardien.
Il est on ne peut plus évident que personne dans l’entourage de Guy Turcotte de peut être trouvé coupable de cette infraction eu égard aux enfants laissés auprès du père.
Comme dans le cas de la négligence, personne ne pourrait prouver, hors de tout doute raisonnable, que la mère des enfants, ou que l’ancienne femme de son nouvel amoureux, aurait pu prévoir qu’un tel drame allait avoir lieu.
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1. Pastiche du sous-titre de l'émission « Un tueur si proche » au Canal D.
2. L’arrêt de principe : Dunlop et Sylvester, Cour suprême du Canada, 1979.
Encore une fois, il s'agit d'un texte qui permet des clarifications très utiles. J'apprends beaucoup à vous lire. Merci !
RépondreSupprimerPour moi, le seule question qui me reste, et elle n'est pas d'ordre légal ou judiciaire, mais plutôt de bon sens: si les derniers mots de la gardienne de mes enfants, qui se trouverait être mon ex-conjointe, étaient : "tu veux la guerre, tu vas l'avoir", est-ce que je partirais pour un weekend avec mon éventuelle maîtresse (celle qui fait enrager l'ex en question) à des centaines de kilomètres du lieu où mes enfants sont confiés à cette personne dont les paroles sont si violentes ? Je ne partirais pas l'esprit tranquille en tout cas et j'aurais peut-être un vague sentiment de culpabilité de m'être éloigné à un moment où la tension extrême pouvait conduire à n'importe quoi. Et les exemples pleuvent dans l'actualité des dernières années... On ne peut plus faire comme si ces actes d'ultime violence n'existent pas. Sommes-nous assez conscients que le fait que d'autres aient choisi cette voie de faire du mal en enlevant la vie des êtres les plus chers est devenue une solution qui paraît probable? Je ne sais pas... je pose simplement la question et je n'ai pas vraiment de réponse.
Je me permets un petit ajout à mon commentaire précédent, étant donné un doute possible : il ne faut surtout pas comprendre que je mets sur l'ex-conjointe du Dr Turcotte une quelconque responsabilité dans la mort de ses enfants. Je réfléchissais plutôt sur le fait de la multiplication de ces actes ultimes qui deviennent, comme les enlèvements d'enfants, tellement fréquents que nous devons désormais croire que c'est possible que ça arrive, "à nous aussi".
RépondreSupprimerBonjour Jocelyn62, je me permets de répondre à votre commentaire fort intéresant. D'emblée, dès que j'ai su que le Dr Turcotte avait lancé ces termes: "tu veux la guerre, tu vas l'avoir", la première idée qui m'est venue en tête est qu'il parlait d'une guerre juridique (garde des enfants, partage des biens). Peut-être avait-il fait référence aux gestes qu'il a posés, je crois que nous ne le saurons peut-être jamais.
RépondreSupprimerDe plus, je ne crois pas qu'il y ait une multiplication exponentielle des délits sordides. Soit dit en passant, un seul de ses délits est un délit de trop à mon avis. Seulement, je crois que c'est la surmédiatisation qu'on fait de ces évènements qui font en sorte que nous avons l'impression qu'il y a une forte augmentation des crimes violents. Certes, les homicides et les tentatives de meurtre ont connu une légère hausse à Montréal et les principales villes canadiennes depuis 2009, mais il s'agit d'une mince augmentation comparativement aux autres types de délits, commis en bien plus grand nombre. Les délits contre les biens sont les délits conmis en plus grand nombre.
La commission de meurtres existe depuis la nuit des temps et d'autres seront malheureusement perpétrés au cours des années à venir. Cependant, je crois que tous et chacun sait qu'il s'agit d'un acte sordide, d'une extrême violence. C'est seulement que pour leur défense, certaines personnes tentent de nous les dépeindre de façon moins sordide. Il est nécessaire de décortiquer un délit pour en comprendre les motifs sous-jacents, ce qui a poussé la personne à le commettre. Toutefois, je crois que dans certaines affaires, ont nous présente le délit de façon non pas à comprendre, mais à quasi excuser l'acte commis.
Véronique: Sur mon blogue, un lecteur avait également cité l'entrevue donnée par Pierre Mailloux concernant l'affaire Turcotte. J'étais flabbergastée, mais en même temps non étant donné que tous connaissent le personnage. J'ai une question, est-ce que la mère des enfants pourrait intenter une poursuite contre Pierre Mailloux pour propos diffamatoires, ou atteinte à la réputation? D'une manière peu implicite, il la juge responsable en partie du meurtre de ses deux enfants, serait-ce un motif raisonnable d'intenter des procédures judiciaires?
Bonjour, bravo excellent blogue, voilà ma question, peut-on être complice en sachant qu'un crime à été commis (fraude, escroquerie) dans le passé et le crime à été découvert en 2014, cette personne sait que ce crime à été commis par ses amis, celui-ci aide ses amis à s'en sortir en négociant directement avec le plaignant, en lui offrant de l'argent ? deux écoutes électronique prouve qu'il avait entièrement connaissance de ce crime et continue de protéger ses amis. merci
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