vendredi 13 mai 2011

Le plaidoyer de culpabilité

J’ai lu plus tôt cette semaine sur Twitter qu’une personne croyait que le Dr. Guy Turcotte avait plaidé coupable aux accusations portées contre lui.  Puis j’ai entendu hier deux adolescents discuter du procès de Guy Turcotte en disant qu’il avait plaidé coupable et qu’on faisait défiler des témoins pour décider de sa sentence.
Lorsque l’on plaide coupable, il n’y a pas de procès.
Le plaidoyer de culpabilité, c’est un aveu judiciaire de culpabilité.  C’est le fait de dire à la Cour « Je reconnais avoir posé le geste pour lesquel on m’accuse, et je reconnais être moralement coupable de ce crime ».
À quoi ça sert?
Ça sert à éviter la tenue d’un procès qui deviendrait inutile puisque la personne reconnait sa culpabilité, à la fois factuelle et morale.





Parenthèse -   La procédure judiciaire pénale française, jusqu’à tout récemment, n’offrait pas cette possibilité, et les juristes de common law que nous sommes avons bien du mal à comprendre comment une telle situation était possible.  Pourquoi faire un procès quand la personne dit « oui je l’ai fait, je voulais consciemment le faire, et je n’ai aucune excuse ni explication».  La France donc, désormais, connait cette procédure qu’ils appellent « le plaider coupable ».  Incidemment, le droit pénal français connait aussi désormais le droit au silence (au moment de l'arrestation seulement, toutefois), j’y reviendrai dans un autre billet.  Brièvement, mon opinion chauvine : enfin la France se met au diapason de la Common Law.


Les conséquences du plaidoyer de culpabilité sont simples :  la personne est déclarée coupable par le juge, et on décide ensuite de la peine à imposer.  Tout ça demeure public, et il n'est pas question, comme le craignent des penseurs français, d'une justice secrète. 
Parfois, la peine a été négociée entre l’accusé (son avocat) et le représentant du ministère public.  C’est ce qu’on appelle la négociation de plaidoyer, ou le plea bargaining : la poursuite et la défense s’entendent sur une peine, en échange de quoi l’accusé plaidera coupable.  Évidemment, ces négociations se font dans la mesure où l’accusé reconnaît les faits car, encore une fois,  on ne peut pas plaider coupable si on ne reconnait pas sa culpabilité.  Il arrive souvent, à la Cour, qu’un accusé qui a mal compris dise au juge « oui, je plaide coupable, mais j’ai rien fait », ou encore «je plaide coupable, mais c'est pas ma faute ce qui est arrivé».  Évidemment, dans de tels cas, le juge refuse de déclarer l’accusé coupable.

La suggestion commune de peine
Lorsque la peine a été décidée entre les parties, elle est soumise au juge qui l’accepte dans la grande majorité des cas.  Mais le juge n’est pas lié par cette suggestion, et l’avocat doit en avoir informé son client. Je dirais même l’en avoir informé avec emphase. Reste que pour refuser cette suggestion commune de sentence, le juge doit la trouver manifestement déraisonnable.  Et elle doit l'être effectivement, sans quoi la Cour d'appel interviendra.

Les représentations sur la peine

Si l’accusé plaide coupable sans qu’il n’y ait de suggestion commune de peine, les parties feront des représentations à la Cour pour l’amener à imposer la peine que chacun juge la plus juste selon les circonstances et selon le profil du délinquant.  Le juge peut alors suivre la suggestion de la défense, de la Couronne, ou aucune des deux.  Il demeure rare que le juge impose une peine plus clémente que celle proposée par la défense, ou plus sévère que celle proposée par la Couronne.   Par exemple, si pour un vol qualifié je suggère à la Cour une peine de 3 mois de prison, et que le ministère public suggère une peine de 12 mois, le juge peut imposer une peine de 3 mois, de 6 mois, de 8 mois, de 12 mois etc.  Rarement le juge déciderait devant de telles propositions d’imposer  une simple amende, ou une peine de 2 ans. 

Qu’est-ce que ça donne
Ça ne donne pas grand-chose sinon, comme je le disais plus tôt, d’éviter la tenue d’un procès, ce qui est déjà beaucoup.
Par contre, il faut comprendre que le plaidoyer de culpabilité est un aveu, c'est à dire un indice de remord et de repentir.   Ce sera donc considéré comme un facteur atténuant, au moment de déterminer la peine.  Évidemment, l’accusé qui a plaidé coupable a, dans certains cas, évité à une ou des victimes de subir un procès difficile.  Cet élément est aussi un facteur atténuant au moment de choisir la peine, si bien que plus le plaidoyer de culpabilité est intervenu tôt dans les procédures, plus le juge considérera celui-ci comme un facteur atténuant la peine.  (Pour illustrer, imaginons des procédures de trois ans qui auront exigé la tenue d’une enquête sur remise en liberté de trois jours, une enquête préliminaire de cinq jours, et trois semaines de procès.  Imaginons que l’accusé, après ces trois semaines de procès, décide de plaider coupable.  Celui-ci n’aura pas épargné beaucoup de tracas aux victime en comparaison avec l’accusé qui aurait plaidé coupable trois jours après son arrestation.)
Il faut faire attention : Si le plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant la sentence, le fait de ne pas plaider coupable et de subir un procès ne devra jamais être considéré par le juge comme un facteur aggravant.  Chacun a le droit à un procès, ce droit est constitutionnellement protégé, et sacré.

La non culpabilité morale
Quand les faits sont admis mais que la culpabilité morale n’est pas admise, un procès doit se dérouler.  C’est là qu’interviennent les moyens de défense.
La défense de troubles mentaux est de ceux là.  La légitime défense aussi.  L’erreur de fait.  La contrainte.  L’impossibilité.  Il y a aussi l’intoxication volontaire et la provocation qui sont des moyens de défense incomplets en ce sens qu’ils n’amènent pas un acquittement mais une atténuation de la responsabilité.
Prenons l’exemple de la légitime défense, qui est simple :  «oui je l’ai fait, mais je n’avais pas le choix pour me défendre ».   L’accusé ne fait pas cette déclaration au début du procès, même si son avocat peut l’exposer en ouverture, comme cela a été fait dans Guy Turcotte.  La déroulement sera celui d’un procès normal : La Couronne fait toute sa preuve, pour bien ancrer le contexte, et la défense présentera ensuite sa défense.
À la fin d'un procès où il y aura eu un moyen de défense invoqué, comme par exemple la légitime défense, l’accusé sera soit déclaré coupable, soit acquitté.

7 commentaires:

  1. Mais le plaidoyer de culpabilité n'est-il pas une porte de sortie pour les groupes criminalisés pour ne pas avoir ses machinations étalées publiquement et aussi voir des personnes devoir témoigner et risquer d'être incriminées?

    Donald Charest

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  2. Merci Véronique pour ces précisions. J'apprends beaucoup sur votre blogue. Quelle bonne idée de nous rendre accessibles toutes ces nuances ! Longue vie...

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  3. Donald, mon coeur fait trois tours à la lecture de votre commentaire. Jamais entendu un chose comme celle-là.

    La Couronne qui décide d'accepter qu'il n'y ait pas de procès a aussi des raisons: elle peut avoir peur de ne pas arriver à faire sa preuve, entre autres.

    Le plaidoyer de culpabilité, s'il était une machination de la défense, les procureurs de la Couronne n'entameraient jamais les discussions initiales, ce qui est pourtant fréquent.

    Aussi, ne pensez-vous pas que les 132 accusés de 22 meurtres dans SharQc auraient plaidé coupables depuis longtemps si tel était le cas...

    Enfin, il ne faut pas oublier que le juge, avant de déclarer un accusé coupable, même face á un plaidoyer, doit être mis au courant des faits, de tous les faits importants... Pas de cachette, donc.

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  4. Merci pour ces éclaircissements! C'est fou à quel point on connaît mal notre système judiciaire et à quel point toutes sortes d'hypothèses circulent un peu partout.

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  5. Me Robert,

    J'ai découvert votre blogue au hasard de l'affaire du cardiologue et de la publication d'un lien menant à votre blogue sur Facebook. Il est très intéressant et je me suis fait un plaisir de le diffuser à mon tour.

    J'ai une question/commentaire et je réfléchis quasiment en même temps que j'écris, mais j'ai été titillé par votre commentaire « chauviniste » au sujet de la procédure pénale en France.

    Se pourrait-il que l'impossibilité pour un accusé français de plaider coupable avait pour objectif d'empêcher celui-ci d'être victime de pression visant à admettre sa culpabilité et d'assurer que la seule manière qu'une personne puisse être déclarée coupable soit devant un procès en bonne et due forme ?

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  6. Oui, en fait, les Français avaient peur d'une justice sercrète, d'une justice où les jeux sont faits derrière les portes de la salle de Cour.

    Mais un plaidoyer de culpabilité est public. Et on doit expliquer au juge, en plaidant coupable, qu'on reconnait les faits.

    Ensuite, s'il y a une suggestion commune de peine, les avocats doivent soutenir le caractère raisonnable de cette peine, toujours de vant la Cour, pour que le juge l'entérine.

    Le parallèle avec le cas de Guy Turcotte est intéressant. Car moi, comme femme, comme humain, comme mère, je ne cesse de me dire que si j'avais pété un plomb et tué mes enfants -même en situation de grave désordre mental - j'aurais plaidé coupable. Et je serais allée purger ma peine, ma peine dans les deux sens du mot, dans une cellule d'un lointain pénitencier.

    Guy Turcotte avait le droit à un procès. Mais émotivement, on peut trouver qu'il aurait dû plaider coupable.

    Le plaidoyer de culpabilité, ça évite de faire une procès lorsque la personne reconnait les crimes et réclame une sentence.

    D'un autre côté, c,est difficile, pour un avocat, d'un point de vue éthique, de laisser un client plaider coupable d'il n'avait pas toute sa tête en commettant le crime....

    Complexe choix.

    Je vous le dis, personnellement, dans mon coeur, j'aurais souhaité que Guy Turcotte plaide coupable.

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  7. Merci de votre réponse.

    J'ai peur d'avoir été un peu mal compris. Je ne parlais pas de l'affaire de Turcotte, mais plutôt des bienfondés (ou non) de l'ancien système français. Je me réexplique.

    Ce peut-il, en plus de la peur d'une justice secrète, que l'obligation qui existait de tenir un procès visait à protéger un accusé de pressions - quelle qu'elles soient, internes ou externes au procès et qui n'ont rien à voir avec la justice - visant à le faire plaider coupable ?

    Par exemple, une organisation criminelle considère que c'est dans son intérêt qu'un de ses membres s'auto-incrimine et le menace en ce sens.

    En empêchant le «plaider coupable», on s'assurait qu'il n'y avait qu'un procès qui puisse déterminer si quelqu'un est coupable. Même si cela comportait des points négatifs évidents, c'est-à-dire les coûts associés à toutes les procédures et procès, cela comportait aussi des points positifs.

    Voilà!

    Cordialement

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