samedi 7 mai 2011

... Et j'ai couché dans mon char

Le jour s'est l'vé sur Rouyn
'Ec des gros rayons d'or.
J'ai jasé 'ec mon instinct...
Et j'ai couché dans mon char.
(Richard Desjardins)




Garde et contrôle d'un véhicule à moteur

Ce billet n'est pas palpitant.  Il vise seulement à informer le justiciable d'une accusation criminelle très courante, mais qu’on connait peu : La garde et le contrôle d’un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies, ou avec un taux d’alcoolémie dépassant la limite permise.
D’entrée de jeu, distinguons deux concepts :   Dans tous les crimes reliés à l’alcool au volant, deux accusations possibles : celle qui réfère aux facultés affaiblies et celle qui réfère au taux d’alcoolémie.
On peut être accusé de conduite avec les facultés affaiblies et/ou de conduite avec un taux d’alcoolémie dépassant la limite permise.  On peut être accusé de conduite avec  les facultés affaiblies causant la mort, et/ou de conduite avec un taux d’alcoolémie dépassant la limite permise causant la mort. (Je reviendrai dans un autre billet sur l'alcool au volant qui cause des lésions, ou la mort).
Avoir les facultés affaiblies, ça ne réfère pas uniquement à l’alcool.  On peut être accusé d’avoir conduit sous l’effet d’une drogue ou d’un médicament.  Évidemment, la preuve –qui se fait le plus souvent grâce aux témoignages – sera plus simple à faire dans le cas des facultés affaiblies par l’alcool en raison des symptômes plus faciles à identifier,  ne serait-ce qu’en raison de l’odeur de l’haleine.
On peut donc être trouvé coupable d’une infraction relative à l’alcool au volant même en l’absence d’un taux d’alcoolémie supérieur à la limite permise, pour autant que le ministère public ait fait la preuve, hors de tout doute raisonnable, que les facultés étaient affaiblies.
Le taux d'alcoolémie est vraiment le pourcentage d'alcool dans le sang, mesuré à l'aide de prises de sang, deux habituellement.
Maintenant, ce crime peu connu auquel il faut prendre garde :  La garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur alors que les facultés sont affaiblies, ou alors que le taux d’alcoolémie est supérieur à la limite permise[1].
Qu’est-ce que la garde et le contrôle?
J’ai décidé de faire un billet sur le sujet quand j’ai su que ma fille, dans le cadre de son cours de conduite dispensé par une école reconnue, a appris qu’il suffisait de ne pas avoir les clés dans les poches pour être à l’abri d’une accusation criminelle.

La réalité est loin d’être aussi simple
L'article 253 du code criminel canadien stipule qu'il est interdit de conduire un véhicule à moteur avec les facultés affiablies, que ce véhicule soit en marche ou non.  L'infraction de garde et contrôle est donc la même que celle de conduite.

En vertu de l’article 258 (1) a) du Code criminel, un accusé est présumé avoir eu la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur dès lors qu’il s’est trouvé assis à la place du conducteur.  Pour renverser la présomption, l’accusé doit démontrer, suivant la balance des probabilités, qu’il n’avait pas l’intention de mettre le véhicule en mouvement.

Une fois la présomption renversée, la Couronne peut encore faire la preuve,  hors de tout doute raisonnable,  que l’accusé avait effectivement la garde et le contrôle malgré son absence d’intention de mettre le véhicule en marche.  En fait, le crime de garde et de contrôle, désormais, réfère d’avantage au « danger » de mettre en marche le véhicule[2].  C’est une espèce d’infraction préventive, prospective.

C’est donc dire que le fait d’avoir ou pas les clés dans les poches n’est qu’un élément parmi d’autres qui serviront au juge pour déterminer si la personne accusée avait ou non la garde ou le contrôle de la voiture suivant l’ensemble des circonstances.  Mais il existe une jurisprudence abondante où nous sont racontées des histoires de clés sur le siège arrière, de clés dans le coffre à gants et même de  clés par terre à côté de la voiture, histoires qui se sont mal terminées pour les accusés.

Que l’accusé dorme peut ne rien changer.  Que l’accusé ait judicieusement décidé de dormir dans son véhicule se sachant trop saoul pour conduire peut ne rien changer.  Dès lors qu’il sait où sont les clés, le tribunal peut décider qu’il existait un danger que la voiture soit mise en marche.

Évidemment, être assis derrière le volant avec les clés dans le contact sera presque toujours un scénario qui amènera la Cour à juger que l’accusé avait la garde et le contrôle et cela même si l'accusé dort profondément.  Il est toutefois possible de se voir déclarer coupable même en ne se trouvant pas du côté conducteur, encore une fois si les faits démontrent qu’il y avait un risque de mise en marche.  On parle vraiment, pour l’infraction de garde et contrôle, d’une « certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou d’une conduite quelconque à l’égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement »[3].

Mon opinion, c’est que l’état du droit est trop sévère, que les juges sont en général trop sévères, sur cette question de garde et de contrôle.  Nous en sommes venus à criminaliser un geste qui n’a pas eu lieu, en raison du danger qu’il se produise, et cela même en l’absence d’intention de l’accusé de faire en sorte qu’il se produise…

Sauf que mon opinion ne vaut rien pour l'instant.  Dura lex sed lex.  Il faut donc s’abstenir, lorsqu’on a les facultés affaiblies, non seulement d’entrer dans un véhicule à moteur, mais d’y accéder, les clés en main.  Je dirais même de s’en approcher[4]





Sentence
La peine minimale pour une accusation de conduite, ou de garde et contrôle, avec les facultés affaiblies ou avec un taux d’alcoolémie illégal, est une amende 1000$ pour une première infraction, un emprisonnement de 30 jours pour une deuxième infraction et un emprisonnement de 120 jours pour chaque récidive subséquente.  C’est une peine minimale.  Peu importe les faits, le juge n’est pas autorisé à imposer une peine plus clémente.
Si l’accusation est par voie sommaire, la peine maximale est l’emprisonnement pour une durée de 18 mois.  Si l’accusation est prise par acte criminel (le plus fréquent pour cette infraction), la peine maximale est de 5 ans de prison.  Ceci, évidemment, s’il n’y a ni blessé ni mort.
Il y  a dans tous les cas une suspension administrative du permis de conduire par la SAAQ.




[1] Article 253 du Code criminal canadien
[2] R. c. Rioux, Cour d’appel du Québec, 3 juillet 2000.
[3] Ibid.
[4] La Cour d’appel de l’Ontario a décidé, dans R. c. Pike en 2004 que la personne qui ouvre la portière côté passager pour y déposer un paquet n’a pas la garde et le contrôle…  Mais en matière de facultés affaiblies, on ne pèche jamais par excès de prudence.


AJOUT:


Le 15 août 2011, l'honorable Claude-C. Gagnon de la Cour supérieure a rendu une décision qui vient modifier le courant jurisprudentielle quant à la garde et contrôle de celui qui cuve son vin derrière le volant, qu'il ait ou non ses clés en poche.


Selon le juge Gagnon, le fardeau actuel était trop lourd.  Celui qui dort dans sa voiture non pas dans l'intention de la mettre en marche plus tard, mais dans l'intention d'appeler quelqu'un une fois qu'il sera réveillé, a renversé la présomption de garde et contrôle.

DEUXIÈME AJOUT:

La Cour suprême du Canada a décidé, le 26 octobre 2012, dans l'arrêt Boudreault qui originait du district de Chicoutimi, que le danger que le véhicule soit mis en marche doit être réaliste. La seule possibilité que le véhicule soit mis en marche n'est plus désormais suffisante.






8 commentaires:

  1. Comme toi, je trouve tout cela un peu sévere. J'ai lu R. c. Rioux, n'étant pas avocate, j'ai pas tout bien saisi mais le fait que les clés n'étaient pas dans la voiture, que Rioux et son ami avait pris soin de les mettre loin, me semble indiquer qu'il n'avait pas l'intention de conduire la voiture. Bien sûr, je ne connais rien sur cette personne. Mais le fait qu'il ai été un ti peu fanfaron avec les policiers en ne voulant pas répondre n'a pas du lui servir.
    En tout cas, c'est clair; si tu prends un coup accote toi meme pas sur ton char!

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  2. Techniquement, est-ce que la fatigue peut être considérée au sens de la loi comme étant une « faculté affaiblie ». C'est certain que la fatigue est dure à mesurer pour un policier, mais dans le cas d'un accident où le conducteur s'est endormi au volant...?

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  3. C'est un peu ridicule tout ça. Si t'es saoul dans ta maison, que tu sais où sont tes clés, que ton auto est stationnée dans l'entrée, à mon avis le risque est aussi grand. Aussi grand que si tu prends soin de mettre tes clés assez loin de ta personne et que tu t'endors sur le siège arrière de ta voiture pour bien indiquer que tu n'avais pas l'intention de conduire...

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  4. @Anonyme, c'est un peu ce que je pense aussi. Ça va trop loin. Toutefois, l'exemple des clés bien loin, jumelée à une claire intention de ne pas consuire et un dodo sur la banquette arriêre ne devrait pas, dans l'état actuel du droit, mener à une condamnation.

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  5. @Dominique, l'article parle de "facultés affaiblies par l'alcool ou la drogue". La jurisprudence dit qu'une combinaison de fatigue et de drogue ou d'alcool peut aussi être considéré. Mais la fatigue seule ne pourrait pas être une faculté affaiblie au sens du Code.

    Je dirais, dans la cas d'une fatigue extrême, que rien n'empêcherait des accusations de négligence.

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  6. Merci de cette réponse éclaircissante Me. Robert ! ;)

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  7. Bonjour, je cherche des cas de dossier ou des personnes ont été accuse de facultes affaiblis plus de 3 fois sans avoir eu de peine d'incarcérations, et ce depuis au moins 2012 , ca se ait très apprécié, merci

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