mardi 31 janvier 2012

«J’veux aller en rappel, fais-tu ça, toi, des rappels»

Après une condamnation devant un tribunal, on a l’occasion de porter ou non la décision en appel.

L’appel, au Québec, au Canada, en Common Law, n’est pas un nouveau procès.  L’appel, c’est le procès du procès.  Alors qu’en première instance, c’est l’individu qui était jugé; en appel, on juge son procès.

Photo:  Radio-Canada
L’appel n’est pas automatique, c’est n’est pas une étape de la procédure, c’est la révision faite par le plus haut tribunal de la province, ici la Cour d’appel du Québec, la C.A.Q.[1], du procès qui s’est tenu en première instance, c’est-à-dire devant la Cour municipale, la Cour du Québec ou la Cour supérieure selon l'accusation.

Dans le cas d’un procès devant un juge seul, l’accusé peut se pourvoir en appel si le juge a commis des erreurs de droit au cours du procès ou dans sa décision.  Dans ce cas, il va en appel directement, sans demander la permission à la Cour.  Il peut aussi porter sa cause en appel si le juge a commis des erreurs dans l’interprétation des faits, mais dans une telle situation, il faudra d’abord avoir obtenu de la Cour d’appel la permission d’être entendue par elle.

L’erreur de droit, c’est de mal interpréter, analyser ou appliquer un principe juridique («La défense de troubles mentaux n’existe pas au Canada»).  L’erreur de faits, c’est de se tromper dans l’interprétation de la preuve produite («L’accusé avait un veston bleu il est donc coupable» (alors que le veston était vert).

Dans le cas d’un procès devant juge et jury, on peut aller en appel si le juge a commis des erreurs de droit au cours du procès (admission ou rejet d’un élément de preuve erronément, y compris une déclaration de l’accusé) ou encore s’il a commis des erreurs de droit en donnant au jury ses directives.   À la limite, le juge pourrait aussi avoir commis des erreurs dans l’interprétation des faits en résumant la preuve au jury mais, dans la vraie vie, les avocats interviendraient et  l’erreur serait corrigée sur le champ si bien qu’habituellement, l’appel d’un procès devant jury ne porte que sur des questions de droit et que la permission de la Cour n’est pas nécessaire.

On peut aussi, enfin théoriquement, se pourvoir en appel contre la décision d’un jury au motif que cette décision est déraisonnable.  Mais il faut pour cela que la décision n’ait aucun sens.  Quelle soit illogique compte tenu de la preuve produite.  C’est une voie d’accès à la Cour d’appel qu’on utilise rarement, et qui réussit encore plus rarement.

Enfin, lorsqu’on veut en appeler d’une sentence imposée, parce qu’on la juge trop sévère, il faut toujours recevoir d’abord la permission de la Cour.

Dans presque tous les cas, car il y a des exceptions, on demande une permission à un juge seul, mais l’appel au fond, c’est-à-dire l’appel réel, une fois la permission obtenue, est plaidé devant trois juges.

Il n’y a pas de témoin en appel.  Pas de preuve produite.  Encore une fois, c’est le procès du procès, alors seul le dossier de première instance est analysé par la Cour.

L'appel devant la Cour suprême du Canada nécessite toujours la permission (qui se fait uniquement par écrit et dont la décision -non motivée- est rendue par trois juges).  Une fois la permission accordée, l'appel devant la Cour suprême du Canada est entendu par cinq, sept ou neuf juges.

Automatique, l’appel, à la suite d’une condamnation pour meurtre?

Automatique dans le sens où la permission de la Cour ne sera pas requise, puisque l’appel portera (presque toujours) sur des questions de droit.   On parle alors d’un appel de plein droit.

Cour d'appel de l'Ontario

Dans les minutes suivant le verdict dans l’affaire Shafia, on a entendu qu’il y aurait appel.  Je ne sais pas si je suis puriste, ou hypocrite de m'offusquer devant une lapalissade, mais ça m’agace.  Cette annonce avant même d’avoir réécouté les directives, avant même d’avoir consulté le client, avant même d’avoir repris son souffle.

Certes, on n’a pas besoin de reprendre son souffle pendant 3 mois, et on a le devoir, pour préserver les droits du client, de rédiger un avis d’appel dans les 30 jours du verdict.

Il est vrai que la condamnation pour un meurtre au premier degré amène la sentence la plus grave et qu’on ne perd à rien de tenter sa chance en appel…

Mais il reste que l’appel n’est pas une fiesta.  C’est sérieux.  Et comme avocat, en lisant des directives, on sait bien si on a quelque chance de réussite ou si notre appel serait une perte de temps pour nous, pour la Cour, et un espoir vain pour l’accusé.

Tout ça pour dire que ça me tombe un peu sur les nerfs cette mode en droit criminel de dire que l’appel est systématique à l’encontre d’une condamnation pour meurtre.  Quasiment systématique, je veux bien m’incliner, mais de dire que ça va de soit, qu’on ne perd rien d’essayer, « qu’un gars s’essaye », advienne que pourra…  Ça m’agace.  C’est la Cour d’appel, pas un jeu de hasard.




[1] Est-il encore temps pour le parti de François Legault de changer de nom?

vendredi 27 janvier 2012

Shafia, Turcotte, même délire.


Foule en délire
Quand un jury condamne, il est compétent, prend la bonne décision et l’institution même du jury est saluée ;  Quand un jury acquitte, ou déclare non criminellement responsable, c'est qu'il était composé d’imbéciles et de gens inaptes à assumer la fonction qui, se toute manière, devrait disparaître.

Quand un juge condamne, ou impose une lourde peine, il fait bien son travail;  Si le même juge acquitte ou se montre clément sur sentence, c'est un mollusque.

Vous rendez-vous compte de ce que vous dites?

mercredi 25 janvier 2012

Défendre l’indéfendable


J’ai demandé dernièrement ce qui intéressait, questionnait, intriguait ou titillait en droit criminel, ou dans l’actualité judiciaire, afin de m’inspirer des idées de billets.  Les seules réponses reçues concernaient le boulot d’avocat de la défense, le litige moral,  la dualité raison/passion, la coexistence entre la recherche de la vérité et le fait de défendre une personne qui, possiblement, a commis un crime.

Il y a tellement de choses à dire, parce qu’il y a tellement de variables, mais nous ne le réalisons pas lorsqu’on fait ce métier.  Pour nous, ça va de soi : on défend des principes, on ne défend pas un crime;  On représente un individu, les droits d’un individu, face à la machine étatique.  On représente l’État de droit, la démocratie et on milite contre les erreurs et les excès qui pourraient nous faire traverser la frontière de l’État policier.

Hormis les tenants de la décriminalisation des drogues douces ou de la prostitution, dont je suis, je ne connais aucun avocat de la défense qui cautionne la criminalité.  C’est la même chose pour tous les intervenants du processus judiciaire pénal ou carcéral, d’ailleurs.  Je pense entre autres aux criminologues, qui ne travaillent pas avec des accusés mais des personnes condamnées, donc des criminels reconnus.  Sur son blogue, la Criminologue y est même allée d’un billet en 4 tomes pour l’expliquer : Travailler avec descriminels ne signifie pas qu’on approuve leur crime.

Représenter un innocent

Évidemment, tout le monde est d’accord la-dessus :  défendre un innocent, c'est-à-dire une personne faussement accusée, ne pose aucun dilemme moral, même chez le plus opposé aux droits des accusés. 
Mais il faut le dire, ils sont rares les cas d’erreurs judiciaires, heureusement, et ils sont donc rares les dossiers où notre client est arrêté, et accusé, alors qu’il se trouvait à Tombouctou pendant que le crime était commis à Métabétchouan.

Toutefois, c’est aussi pour prévenir les erreurs judiciaires qu’il existe des garanties juridiques enchâssées dans toutes les constitutions des pays civilisés, et dans tous les documents de protection des droits humains et c’est pour prévenir ces erreurs judiciaires que le métier d’avocat de la défense existe, et qu’il est un beau métier.

Représenter la personne accusée en vertu d’une loi inconstitutionnelle

Encore une fois, c’est assez facile à comprendre ça ne fait vivre aucune tracasserie morale à l’avocat.
Si ma cliente est accusée d’avoir vendu du cannabis à des fins thérapeutiques, et que je considère flou donc inconstitutionnel le  Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales, je n’aurai aucun scrupule à travailler corps et âme pour faire déclarer invalide cette loi mal accoutrée.

Je profite de cette tribune pour vous raconter un truc surréaliste :  les accusés du Club Compassion et du Centre Compassion font face à la justice actuellement :  ils sont accusés de trafic de stupéfiants et subiront bientôt leur procès. 

Eh bien vous savez quoi?  Santé-Canada les consulte, les invite sur des tables de réflexion, afin de remanier la rédaction du Règlement misérablement conçu et rédigé.

Vous réalisez?  L’État les accuse d’une main et réclame leur aide de l’autre main afin d’éviter que dans l’avenir d’autre gens comme eux se voient accusés…    Inutile de vous dire que je ferai tout pour que ma cliente soit acquittée.

J’y reviendrai dans un autre billet.

Représenter un coupable excusable

Certaines personnes ont posé un geste répréhensible, mais qui nécessite explication, excuse, justification.  On parle alors de moyens de défense.

Parmi les moyens de défense qu’on peut soulever à l’égard d’un crime :  l’alibi, la légitime défense, la provocation, la maladie mentale, la nécessité, la contrainte, l’automatisme, l’intoxication volontaire ou involontaire, l’erreurde fait, l’accident, la valeur artistique ou la défense du bien public,  j’en passe et j’en oublie, pour ne pas assommer le lecteur avec un cours de droit.

Tous ces moyens de défense n’ont pas la même portée, n’entrent pas dans la même catégorie et n’auront pas le même effet juridique.  Par exemple, la défense de provocation n’est opposable qu’à une accusation de meurtre et sa réussite entrainera une condamnation pour homicide involontaire plutôt que pour un meurtre.  La défense de troubles mentaux entraîne un verdict de non responsabilité criminelle.  L’alibi, la légitime défense, l’intoxication involontaire, le bien public, l’automatisme, l’accident, sont autant de moyens de défense qui entraînent un acquittement.

Notre travail est représenter devant le tribunal l’accusé qui a un moyen de défense à faire valoir afin qu’il donne son explication et qu’il soit effectivement excusé, ou encore que sa responsabilité soit diminuée.
Je ne peux pas parler pour tous mes collègues, mais en ce qui me concerne, je dois y croire.  Je suis aussi d’avis qu’on ne peut pas invoquer une défense futile, absurde, dilatoire, sans perdre sa crédibilité.  Autrement dit, on ne défend pas n’importe qui n’importe comment.

Représenter un accusé dont les droits ont été violés

C’est peut-être ici que se pose le plus souvent le dilemme éthique.

L’accusé a commis le crime, mais ses droits ont été violés :  Le narcotrafiquant dont les conversations privées ont été épiées illégalement.  Le meurtrier dont les aveux ont été soutirés illégalement.  Le fraudeur dont la maison a été fouillée illégalement.   

Comme avocat, notre devoir est de représenter les intérêts de notre client.  On a prêté serment, et on a un Code de déontologie à respecter.

Toutefois, on a le droit, et même le devoir, de refuser le mandat d’un client qui nous répugne.  Chaque avocat a ses limites.  Certains avocats ne représentent jamais d’accusés d’agression sexuelle.  D’autres avocats n’ont aucune envie de représenter des membres d’organisation criminelle.  (Ça tombe bien, car les membres d’organisation criminelle, bien souvent, ne supportent pas que leurs avocats représentent des accusés de crimes sexuels!)

Personnellement, si je refuse tous les dossiers de pornographie juvénile, sans égard à mon impression quant à la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, c’est simplement parce que je n’ai pas le cœur à passer des mois devant des photos d’enfants violentés.  Il demeure qu’il faut des avocats qui ont plus de cœur que moi!
Il m’arrive souvent de travailler dans des dossiers ou plusieurs personnes sont accusées de trafic de stupéfiants.  L’écoute électronique et l’utilisation de délateurs est souvent la pierre angulaire de ces causes.

J’ai une sainte horreur de l’écoute électronique.  Dans l’arrêt Duarte de la Cour suprême, le juge Laforest disait que «La surveillance électronique et le pire destructeur de vie privée».   J’ai aussi en horreur la délation.  J’en ai d’ailleurs déjà parlé ici.  Malheureusement, l’écoute électronique est un mal nécessaire, bien souvent, et les policiers n’ont d’autres choix que d’y recourir afin d’enquêter adéquatement.  Mais il faut que le processus soit fait dans les règles, ces règles sont nombreuses, et nous faisons souvent face, en défense, au non respect de ces règles.

Dans un tel contexte, je n’ai aucune difficulté à représenter un accusé, qu’il soit coupable ou non, et de tenter de faire déclarer illégale l’écoute électronique.  Si je réussis à convaincre le tribunal que cette violation de la vie privée a été faite illégalement, et que la preuve, toute la preuve d’écoute électronique doit être exclue, on se retrouvera bien souvent avec aucune preuve supplémentaire contre le client.  Résultat?  Le client sera acquitté, faute de preuve.

Je ne me sens pas le moindrement du monde immorale de veiller à la préservation des droits garantis par la Charte et ça n’implique pas que je sois en faveur du trafic de méthamphétamine.

Savoir ou de pas savoir

On nous demande aussi souvent comment on fait pour représenter une personne coupable. 
Les puristes vous diraient qu’on n’a même pas à savoir si le client est coupable : la Couronne doit faire sa preuve, hors de tout doute raisonnable, et si elle échoue le système aura réussi à protéger l’État de droit, peu importe que l’accusé ait mal agi ou non.

Sauf qu’ on ne peut pas faire témoigner un client qui ment, évidemment.  On est des officiers de justice, et le parjure est un crime.  Si donc le client me ment, j’ai un problème, surtout s’il veut témoigner, ou que la preuve au dossier exige qu’il témoigne.

Personnellement, je préfère savoir.  Je me sens mieux à même de bien faire mon travail, et j’ai l’impression de m’éviter ainsi d’éventuelles surprises désagréables.

Plaider coupable ou pas

Notre serment nous empêche de laisser un client plaider coupable s’il ne l’est pas.  Cependant, ce serment ne nous oblige pas à faire plaider coupable un client coupable puisque le principe est celui de l’innocence jusqu’à preuve hors de tout doute raisonnable du contraire. 

La Couronne doit faire sa preuve dans le cadre d’un processus contradictoire.  Ceci dit, en Common Law, le plaidoyer de culpabilité sert grandement la justice, et les avocats de la défense hésiteront à faire en sorte qu’un procès se tienne s’ils sont convaincus que l’accusé n’a aucune défense valable, que ses droits ont été respectés et qu’il sera condamné.

Là où il m’arrive de vivre un tiraillement morale, bien souvent, c’est lorsqu’un client non-coupable veut plaider coupable.  En principe, je devrais refuser.  Parce que le juge refusera, de toute manière, le plaidoyer de culpabilité.

Mais c’est souvent tellement complexe.  Le client peut être non coupable de l’infraction tel que rédigée sans être blanc comme neige;  le client peut avoir posé le geste, avoir une défense valable, mais ne pas vouloir vivre un procès parce qu’il lui reste lui-même peu de temps à vivre;  il peut aussi ne pas vouloir faire vivre au plaignant un procès, même s’il ne reconnaît pas avoir posé les gestes que la Couronne lui reproche.
Allez passer une seule journée dans une salle d’audience, et vous assisterez à la scène suivante : L’accusé plaide coupable.  La Couronne raconte l’histoire.  Le juge demande à l’accusé s’il reconnaît les faits et la réponse est non.  C’est une situation embarrassante, surtout pour l’avocat de la défense qui semble avoir mal fait son travail de conseil auprès du client.

S’engager à garder la paix et à ne pas trouver l’ordre public

J’ai une cliente qui était récemment accusée de menace de mort sur son ex conjoint.  Vous savez, une dispute énorme lors de laquelle l’un des protagonistes hurle « J’vas te tuer».  Si je pouvais penser que ses chances d’acquittement étaient bonnes, je ne pouvais certes pas le lui garantir. On ne peut jamais rien garantir, en droit, et surtout ne jamais rien promettre. Surtout en droit criminel.  Le seul vœu de ma cliente dans ce cas-ci : s’éviter un procès et un casier judiciaire. 

Nous avons donc convenu qu’elle signerait une ordonnance de garder la paix.  Ce qu’on appelle un 810 dans le jargon.  Au moment de signer son fameux 810, la juge s’assure auprès de ma client qu’elle admet avoir fait peur à son ex.  Je savais qu’elle était morte de rire, et qu’elle n’a jamais cru une seconde que ce type avait eu peur d’elle.  Alors elle répond «non», candidement.  «Il n’a pas peur et a porté plainte pour me faire du mal».  Évidemment, la juge ne peut pas accepter l’engagement de garder la paix si la paix n’a jamais été troublée.  Mais nous nous retrouvons devant l’obligation de subir un procès, ce que ma cliente ne veut pas…  Dilemme.  Et je ne vous raconte pas la suite, car je serais forcée de violer le secret professionnel.

**
C’est dommage que la population, depuis quelques années, ait tellement de hargne, et peut-être même de haine, envers ce métier que j’aime et qui est un des piliers de la démocratie.

J’espère avoir l’occasion de le réhabilité, un temps soit peu, dans l’opinion publique.

… Jure que je remplirai les devoirs de la profession d'avocat avec honnêteté, fidélité et justice.

…maintiendrai dans mes actes et mes paroles une attitude et une conduite respectueuses
envers les personnes chargées de l'administration de la justice.

…exécuterai fidèlement les mandats qui me seront confiés. 


lundi 23 janvier 2012

C-10 : Justice de robots

On a beaucoup parlé des modifications apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants par le projet de Loi C-10 qui a été adopté en troisième lecture le 5 décembre 2011 par la Chambre des communes.

Je connais très peu cette Loi, et je laisse le soin aux spécialistes du droit des jeunes de commenter les amendements apportés qui sont à pleurer, j’en suis certaine.

Dans la pratique du droit criminel, de manière générale, ce sont les peines minimales mandatoires nouvellement incluses dans le Code criminel par le projet de loi qui frappent, qui choquent, qui assomment.

Dernièrement, lors du Symposium de l’Association des avocats de la défense de Montréal, ma consœur Anne-Marie Lanctôt conseillait ironiquement aux jeunes avocats d’apprendre à mieux connaître les moyens de défense, puisque les plaidoyers de culpabilité ne seront plus à la mode, les peines minimales devenant la règle.


Qu’on me comprenne bien, qu’on nous comprenne bien : La peine minimale est parfois requise.  Par exemple en cas de meurtre, la peine minimale est la prison à vie (assortie d’une possibilité de libération conditionnelle après une période variant de 10 à 25 ans selon qu’il s’agisse d’un meurtre au 2e degré ou au 1e degré) et personne ne s’insurge.

Dans le cas d’une déclaration de délinquant dangereux, la peine est indéterminée, et personne ne s’offusque contre la sévérité d’une telle peine qui, dans la majorité des cas, sera souhaitable vu le caractère du délinquant.

Mais dans la quasi-totalité des cas, il est inacceptable que les acteurs du système de justice pénale, j’entends ici les accusés, leurs avocats, les avocats du poursuivant et les juges;  il est inacceptable, donc, que ces acteurs soient boulonnés par des peines minimales obligatoires.

Car il faut bien comprendre que la question des facteurs atténuants, qui peuvent alléger une sentence, n’est plus pertinente lorsqu’un crime est assorti d’une peine minimale : le juge perd sont pouvoir discrétionnaire, il ne peut plus prendre en considération la situation, ou l’humain pris dans la situation, afin d’imposer une peine conséquente.  Le juge se retrouve coincé avec une peine minimale à laquelle il doit condamner le contrevenant.  C’est à se demander à quoi il sert, ce juge, désormais.  Un robot pourrait presque le remplacer.

Tout comme les juges, les avocats se trouveront aussi obstrués dans leur travail de négociation, si négociation est encore possible.  Je ne parle pas seulement des avocats de la défense, je parle des officiers de justice qui œuvrent en droit criminel, c'est-à-dire les avocats de la Couronne et les avocats de la défense.  Pourquoi et comment négocier un plaidoyer de culpabilité alors que la peine qui sera imposée en bout de ligne sera plus sévère que si l’on avait choisi de faire un procès, avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles.

Ces peines sont désincarnées, ces peines déshumanisent le processus judiciaire, ces peines ne tiennent pas compte du contexte dans lequel le crime a été commis, non plus qu’elles ne tiennent compte des caractéristiques particulières du délinquant et de sa situation au moment de commettre le crime.  Ces peines sont mécaniques, alors que l’humain, et ses démons, sont au cœur de la justice criminelle.  Ce peines sont détraquées.

Je pourrais couvrir des pages entières d’exemples où la peine minimale sera inacceptable, et inhumaine, en me basant uniquement sur ma pratique des dernières années ou sur des cas médiatisés dont tous ont entendu parler.

Les peines minimales du projet de loi C-10

Inceste :  Minimum de 5 ans de prison pour le plus vieux si l’un des deux participants a moins de 16 ans. 
5 ans de prison pour la jeune femme de 18 ans qui a des relations sexuelles consensuelles avec son frère de 15 ans.  5 ans de prison pour le jeune de 18 ans qui a des relations sexuelles consensuelles avec sa demi-sœur de 15 ans. 

L’inceste est un crime commis dans un univers ou, le plus souvent, les protagonistes ont besoin d’aide psychologique, et non pas d’un enfermement.

5 ans de prison est une peine immensément longue pour celui ou celle qui a besoin de suivi et de soutien psychologique afin de guérir.

Relation sexuelle entre un/e prof majeur et son élève mineur/e :  1 an minimum.

Même si le/la prof a 21 ans, que l’élève a 17 ans, et que la relation était tout à fait consensuelle.  Quand bien même la relation sexuelle aura été initiée, engagée, désirée et provoquée par l’élève : 1 an minimum.  Quand bien même on a affaire à un amour qui dure:   1 an minimum.

Agression sexuelle sur un/e plaingnat/e de moins de 16 ans 1 an minimum

Même si l’agression sexuelle en question consiste en une main sur un sein dans un contexte de rupture/réconciliation.  Oui, j’oserai l’affirmer : l’agression sexuelle est un crime grave objectivement, mais c’est aussi un crime subjectivement anodin dans certaines situations. 

Un homme et une femme en processus de séparation.  Ils vont au lit ensemble, elle demande qu’il lui fasse « des minouches dans le dos », il obtempère, mais croit à tort qu’elle veut aussi aller plus loin, la minouche s’avance et va minoucher le sein :  plainte d’agression sexuelle retenue.  Le toucher était non désiré et la plaignante non consentante à ce que son sein soit minouché, soit.  Mais 1 an de prison? 

Le résultat dune peine minimale, dans des cas aussi absurdes que ceux-là, et les palais de justice regorgent de ce types de cas, pourra être l’abandon des procédures puisque personne ne veut d’une peine minimale d’un an dans un tel contexte.  Alors que l’accusé aurait, dans le passé, été condamné et reçu une sentence clémente, voire une absolution, il y a de fortes chances que désormais la plainte ne soit pas reçue, parce que la peine encourue est démesurée.

Trafic de stupéfiants près d’un endroit fréquenté par des mineurs : 2 ans minimum

2 ans de prison minimum pour le jeune qui vend du cannabis sur le terrain de la maison des jeunes ou dans le parc devant l’école secondaire.   Que ce soit une première offense, que le jeune ait fait ce trafic pour nourrir sa mère malade ou son bébé, que le jeune le regrette amèrement ou qu’il soit lui-même en phase terminal, rien n’a d’importance : on l’envoie au pénitencier, et personne n’y peut rien changer.

Culture de cannabis

6 mois de prison minimum pour 150 plants.  1 an de prison minimum pour 250 plants.  Que le délinquant ait vendu à des fins thérapeutiques, ou qu’il s’agisse d’une jeune vietnamienne désirant acheter un billet d’avion pour se rendre au chevet de sa mère malade dans son vietnam natal, aucune importance.  Prison ferme.

Trafic et culture de cannabis

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté.  Peu importe le contexte, peu importe la quantité.
Alors que le Québec avait toujours refusé, contrairement à d’autres provinces canadiennes, d’établir un « starting point » jurisprudentiel en matière de stupéfiants, nous y voilà forcés par le gouvernement conservateur.

Voies de fait causant lésions

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté.  Il faut comprendre qu’une ecchymose est une lésion corporelle, une égratignure aussi.

J’ai eu un dossier il y a deux ans où mon client, un homme âgé, avait eu peur de son fils adulte, gros, fort et déficient intellectuelle et il l’avait très légèrement blessé avec un couteau.  Il aurait eu, je crois bien, une légitime défense à faire valoir lors d’un éventuel procès.  Mais mon client, un adorable monsieur, souhaitait avant tout revoir son fils et reprendre sa vie là où elle s’était arrêtée le soir de ce drame familial.  Faire un procès était hors de question pour lui, d’autant plus que sa santé ne nous permettait pas de penser qu’il vivrait jusqu’à l’aboutissement de ce procès.

On a opté pour le plaidoyer de culpabilité.  Le juge a entériné le plaidoyer, condamné l’accusé,  et mon beau monsieur G. a été absout à l’étape de la sentence.

Sous C-10, il aurait passé l’aube de ses 80 ans en prison.

Vol d’un véhicule à moteur

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté. 

Qu’on vienne nous dire que les conservateurs ont voulu s’attaquer aux crimes graves…

Crime passible de 14 ans de prison

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté pour tous les crimes passibles d’une peine de 14 ans de prison, c'est-à-dire pour une très grande proportion des crimes contenus au Code criminel canadien.

Enlèvement d’enfant

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté. 

Certes, l’enlèvement d’enfant est un crime objectivement très grave qui, dans la majorité des cas, nécessitera une peine de prison.

Mais comme dans tous les cas, il y a des exceptions.  Je pense ici à Myriam Bédard.  Le juge l’a condamnée.  Mais la peine qu’il a choisi d’imposer est l’absolutionconditionnelle.  Sous l’égide des nouvelles règles, il n’aurait eu d’autres choix que de l’envoyer purger sa peine derrière les barreaux.


ïð

En matière de détermination de la peine, il y a des principes.  Certains sont codifiés au Code criminel, d’autres sont enchâssés dans la Chartec anadienne.

Le Code criminel énonce qu’une peine sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  Il énonce aussi que la peine la moins privative de liberté devra être envisagée avant toute autre peine.

La Charte prévoit que nul ne sera condamné à une peine cruelle et inusitée.  Le caractère cruel ou inusité d’une peine est tributaire du contexte dans lequel le crime est commis et de la situation particulière du délinquant.

Les modifications apportées au Code criminel par le projet de Loi C-10 pourraient être déclarées illégales par les tribunaux, illégales et inconstitutionnelles.

On assistera, dans les prochaines années, non seulement à un ralentissement des procédures judiciaires en raison d’une multiplication de procès qui auraient été évités par des plaidoyers de culpabilité, mais aussi à un embourbement des procédures en raison d’une multitude de requêtes en déclaration d’inconstitutionnalité des peines.

jeudi 12 janvier 2012

Affaire Jonathan Duhamel : Liberté pour un, détention pour les deux autres.

On attendait avec curiosité la décision du juge Belisle de la Cour du Québec sur la remise en liberté, ou la détention, de trois des accusés dans l’affaire de Jonathan Duhamel.

On entendait dire qu’ils allaient être gardés détenus parce qu’ils n’étaient pas crédibles, que le juge avait levé les yeux au ciel pendant leur témoignage et donc qu’il leur refuserait la liberté pendant l’instance.

Si la crédibilité d’un accusé peut, à l’étape du procès, décider de son sort quant à sa culpabilité ou son acquittement, sa non-crédibilité à l’étape de l’enquête sur cautionnement n’est pas un critère pour le garder détenu.

Il faut savoir qu’au Canada, et partout en Common Law, la règle est qu’un accusé devrait être libre pendant les procédures engagées contre lui, en conformité avec le principe cardinal de présomption d’innocence.

La détention est l’exception.

Le Code criminel canadien prévoit trois causes de détention pendant les procédures*, plus clairement, le Code criminel énonce que la détention d’un prévenu est justifiée uniquement si l’une de ces trois causes suivantes la rend nécessaire:  la protection et la sécurité du public, le retour devant le tribunal aux dates ultérieures, la confiance du public envers l’administration de la justice.

Concernant le troisième critère, celui de la confiance du public envers l’administration de la justice, il réfère à un public bien informé, raisonnable, et non à une foule tapageuse et vengeresse, sans quoi nous assisterions à un renversement du processus décisionnel et verrions tous les accusés gardés en détention.

Aussi, ce critère de la confiance du public peut reposer sur quatre éléments, toujours prévus par le Code criminel : le sérieux apparent de l’accusation, la gravité du crime allégué, les circonstances du crime allégué, la peine encourue.

Force est de conclure que, malgré la règle,  on ne remettra pas en liberté facilement un accusé de meurtre.  Mais, encore une fois, ceci a très peu à voir avec sa crédibilité au moment de l'audition.

Là où l’absence de crédibilité peut jouer en défaveur d’un accusé à l’étape de l’enquête sur remise en liberté, c’est surtout dans le contexte de la garantie de présence devant la Cour.  Le deuxième critère.  L'accusé détenteur d'un casier judiciaire de dix pages qui ment sur ses antécédents, l'accusé sans travail qui feint d’en avoir un, l'accusé qui, à de nombreuses reprises dans le passé, a violé ses conditions de remise en liberté ou autres engagements judiciaires tout en le niant, peut devenir si peu crédible, donnant ainsi au juge des motifs de craindre qu'il s'esquive.
 
Je n’ai ni entendu, ni lu la décision du juge Belisle dans ce dossier.  On sait qu’il a détenu Bianca Rojas-Latraverse, détenu John Stephen Clark Lemay,  et remis en liberté Anthony Bourque.

Il peut très bien avoir détenu Bianca Rojas-Latraverse pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice en raison de son rôle d’instigatrice alléguée dans cette affaire (3e élément du 3e motif, c'est-à-dire les circonstances entourant l’infraction alléguée qui est assez grave en soi), et détenu John Stephen Clark Lemay  pour garantir sa présence devant le tribunal (2e critère).

S’il a remise Anthony Bourque en liberté, c’est qu’il a considéré qu’aucun des critères n’était rempli, qu’aucun motif prévu au Code criminel ne justifiait sa détention, aussi menteur peut-il avoir semblé être.

Voilà pour les motifs justificatifs d’une détention pendant l’instance.  Un billet légèrement académique et froid, et peut-être même un peu ennuyeux, par lequel j’avais surtout envie d’expliquer que les hauts cris populaires ne sont pas, en soi, un facteur que le juge peut considérer en décidant de la détention d’un accusé pendant l’instance, ni à aucune autre étape de la procédure judiciaire.  

mercredi 11 janvier 2012

Il emportera son secret dans sa tombe...



«Il emportera son secret dans sa tombe».  Voilà ce qu’on dit poliment du suicide en prison de Paul Laplante, accusé –avant de mourir- du meurtre de son épouse Diane Grégoire.

Poliment, car il s’agit de ce que j’ai entendu hier aux infos à LCN.  Dans les médias sociaux, c’est moins lisse, et d’autant plus affolant.  «Hourra, un procès évité», «lâche jusqu’à la fin», «La peine qu’il méritait».  Commentaires d’amis d’amis que j’ai eu l’horreur de lire sur Facebook.

Évidemment, la présomption d’innocence est un concept juridique, une règle fondamentale qui prévaut uniquement devant le Tribunal.  Évidemment, on ne peut pas empêcher les gens d’avoir des soupçons.

Mais je suis inquiète.  Inquiète de constater un peu plus chaque jour depuis une dizaine d’années que la notion de présomption d’innocence, hors de l’enceinte du tribunal, n’a aucune espèce de valeur.  Elle est en fait inexistante.

Dès lors qu’une personne est arrêtée, elle est présumée coupable.  Non seulement par la population, mais par les médias.  Ceci explique cela, d’ailleurs, d’une manière certaine.
Parce que «tout est langage» (Dixit Françoise Dolto), il faudrait cesser de collectivement traiter les suspects et les prévenus en coupables.  A fortiori dans les affaires de meurtre, puisque le meurtre est toujours, sauf très rares exceptions,  jugé par un jury c’est-à-dire par des citoyens, des justiciables, des individus qui auront baigné dans cette présomption de culpabilité non seulement eu égard au crime à juger mais à tous les crimes qui font la manchette depuis qu’ils ont l’âge d’entendre et de lire.

Paul Laplante emporte-t-il son secret dans sa tombe?  Peut-être.  Mais surtout :  peut-être pas. Et il existe une règle sacrée selon laquelle un accusé est présumé innocent jusqu’à preuve hors de tout doute raisonnable qu’il ne l’est pas.   Le suicide est-il un aveu de culpabilité?  Non.  Et peut-on avoir un peu de respect pour les morts?  Est-ce trop demander?

Le respect d’un mort jadis accusé n’implique pas l’irrespect d’une victime jadis son épouse.

C’est assez lassant de toujours devoir préciser, quand on défend les droits de personnes accusés, de toujours devoir expliquer, justifier, rassurer.  Se défendre soi-même.  Non, prendre la défense des droits d’un accusé, contrairement aux postulats du parti Conservateur du Canada et autres Pierre-Hugues Boisvenu, ne veut pas dire qu’on n’a pas d’empathie pour les victimes et les familles des victimes.
Je suis avocate de la défense.  Je présume, même après sa mort, que Paul Laplante était innocent.  Je n’en demande pas tant à la population, mais je souhaite qu’on ne présume pas qu’il fût coupable.  Et j’attends des médias qu’ils en fassent autant.

Un peu triste comme premier billet sur le blogue du Voir, mais c’est ce qui marque le début de l’année 2011 en matière d’actualité judiciaire québécoise et c’est ce que j’entends faire ici :  Commenter l’actualité judiciaire dans la perspective du droit criminel, et avec ma lunette d’avocate de la défense;  vulgariser les notions de droit pénal qui circulent et qui sont mal comprises; rendre accessibles des concepts qui paraissent ténébreux; remettre les pendules à l’heure de la justice criminelle d’une société démocratique.

Au plaisir de vous lire aussi.





jeudi 5 janvier 2012

Sur l'expulsion de Mugesera

Un mot de mon collègue et ami Philippe Larochelle






Me Philippe Larochelle
Je suis navré de constater l'ignorance des gens relativement aux conditions socio-politiques régnant actuellement dans ce pays.  Pourtant, de nombreux spécialistes reconnus du Rwanda ont déjà pris position sur l'opportunité de renvoyer des gens subir des procès dans ce pays.  Qu'il s'agisse de Human Rights Watch où travaillait Madame Desforges, de Filip Reyntjens, de Susan Thomson, de haut gradés du FPR tels que Théogène Rudasingwa et Gérald Gahima, il ne manque pas de gens pour dénoncer la dictature qui règne sur ce pays et le mépris total des autorités actuelles pour les droits fondamentaux de ses citoyens. 



Est-ce que les gens ont déjà oublié que ce sont les gens encore au pouvoir aujourd'hui qui ont enlevé Agnès Ntamabyarilo de Zambie, et qui ont organisé un nombre incalculables de procès truqués pour faire taire toute forme de dissidence?  Le Rwanda est le 169è pire pays sur 178 pour la liberté de la presse selon Reporters sans Frontières!!  


Malgré tout, les pays occidentaux comme le Canada et les États-Unis préfèrent continuer à se fermer les yeux sur les graves abus du régime Rwandais.  La décision des autorités canadiennes de renvoyer quelqu'un dans ce pays est tout simplement répugnante.  D'autant plus que le Canada pourrait très bien essayer d'offrir un procès juste et équitable à Mr. Mugesera ici sans compromettre sa vie, sa sécurité, et sa présomption d'innocence.   


Me Philippe Larochelle, Avocat
www.larochelleavocat.com