On apprenait cette semaine dans les médias qu’un adolescent de 12 ans est accusé d’homicide involontaire pour avoir causé la mort de son frère aîné avec une arme à feu. Un drame d'une tristesse inouïe.
On a beaucoup lu, et entendu, que c’est bien jeune, 12 ans, pour faire face à une accusation criminelle aussi lourde alors qu’il s’agit d’un accident. On a aussi lu, et entendu, que ce sont plutôt les parents qui devraient être tenus responsables pour avoir mis une arme de poing à la disposition de leur fils.
Plusieurs choses à dire pour donner à tout ça un éclairage juridique.
«C’est la faute des parents»
La possession d’une arme prohibée, si c'est effectivement ce dont il s'agissait, est un acte criminel pour lequel les parents pourraient aussi être accusés.
Le mauvais entreposage d’une arme à feu est aussi un acte criminel qui pourrait engager la responsabilité des parents.
Mais les parents ne pourraient pas être trouvés coupables d'homicide involontaire car jamais la poursuite ne serait en mesure de prouver que le geste criminel commis par les parents, disons l'entreposage illégal d'une arme à feu, était de nature à causer des blessures à leur fils aîné. J'y reviens plus bas.
«C’est bien jeune, 12 ans»
D’abord, la responsabilité pénale est établie à 12 ans au Canada depuis 1984. Avant cette date, l’âge de la responsabilité pénale était fixé à 14 ans. Il ne s’agit pas de l’âge auquel le jeune est exposé à une peine pour adulte, mais de l’âge auquel il est réputé responsable de ses actes, au sens pénal[1]. Avant 12 ans, on ne peut pas être arrêté, ni poursuivi, pour avoir commis ce qui serait autrement un crime. À compter de 12 ans, on doit faire face[2].
Il ne s’agit donc pas du choix de la poursuite, ni du juge qui entendra l’affaire, que celui de déterminer l’âge de la responsabilité pénale du jeune accusé. Si nous trouvons collectivement que cette limite d’âge minimal est trop bas, il faut demander une modification législative. La Couronne et le juge n’y peuvent rien.
Est-ce que la Couronne aurait pu, compte tenu du jeune âge de l’accusé, décider de ne pas judiciariser l’affaire. Difficilement, puisqu’un autre jeune est mort et puisqu’il ne s’agit pas, selon la poursuite, d’un accident.
«C’est un accident»
L’homicide involontaire coupable n’est pas un accident. L’homicide involontaire coupable, c’est le fait de causer la mort en commettant un acte criminel, potentiellement dangereux, c’est-à-dire de nature à pouvoir causer des lésions corporelles, même si la mort n’était pas souhaitée. Ce que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable, lors d’un procès pour homicide involontaire coupable, c’est que l’accusé aurait dû prévoir que son geste illégal était susceptible de causer des blessures. L’exemple classique, le coup de poing (un acte criminel nommé voie de fait) qui s’avère fatal (la victime tombe et meurt).
Pour faire la preuve d’un homicide involontaire, le ministère public peut se limiter à prouver qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation, aurait pu prévoir que son geste criminel était de nature à causer des blessures, mais n’a pas à prouver que la mort était prévisible[3].
Je ne dis pas que l’accident est impossible dans cette triste histoire. Je ne dis pas que l’adolescent poursuivi n’a aucune défense à faire valoir devant la Cour, y compris la défense d’accident. J’explique simplement que l’accusation d’homicide involontaire n’est pas insensée, même si le jeune n’a peut-être pas souhaité la mort de son frère : il n’est pas accusé de meurtre mais d’homicide involontaire et il a été longuement interrogé par les policiers, en présence d’un de ses parents. C’est suite à cet interrogatoire que le ministère public a décidé de porter des accusations. Vraisemblablement, le ministère public considère qu’il possède suffisamment de preuve pour soutenir l’accusation. Pour le ministère public donc, qui a rencontré le jeune par le biais de ses policiers, il ne s’agit pas d’un accident.
Quel crime était-il en train de commettre pour que l’événement puisse être considéré comme un homicide involontaire? Possiblement celui d’avoir fait un usage dangereux d’une arme à feu, ou d’avoir braqué une arme à feu sur quelqu’un sans excuse légitime, ou encore d'avoir porté une arme dans un dessein dangereux. Peut-être était-il aussi en train de commettre contre son frère une voie de fait au moyen d’une arme à feu. Ou encore était-il en train de commettre une négligence criminelle en utilisant l’arme de poing. On le saura au procès, ou au moment du plaidoyer de culpabilité, s’il y a lieu.
Ce qu’il faut surtout retenir, sans se positionner sur la culpabilité ou l’innocence de cet adolescent, c’est que l’homicide involontaire coupable n’est pas un accident, puisque l’accident n’est pas jamais un crime.
[1] Si condamné, le jeune risque une peine de détention maximale de 3 ans. S’il était jugé par un tribunal pour adulte et déclaré coupable, il devrait être puni par 4 ans minimum d’emprisonnement en raison de l’utilisation de l’arme à feu lors de l’homidice involontaire.
[2] La Convention relative aux droits de l’enfant, que le Canada a ratifiée, oblige les États signataires à établir légalement un âge minimal de responsabilité pénale, mais le seuil n’est pas fixé par la Convention. On retrouve donc, au sein des différents pays, un large éventail d’âge minimal de la responsabilité pénale. À titre d’exemple, il est fixé à 7 ans en Suisse et en Inde, 10 ans au Royaume-Uni, 13 ans en France, 15 ans dans les pays scandinaves, 16 ans en Espagne. Aux États-Unis, seuls 13 États ont fixé un âge minimal de responsabilité pénal qui varie de 7 à 12 ans. Notons que les États-Unis n'ont pas adhéré à la Convention relative aux droits de l'enfants, vu l'interdiction qu'elle impose de ne pas exécuter les adolescents.
[3] L’homicide involontaire n’est donc pas non plus un meurtre, crime qui exige une prévisibilité subjective que la mort survienne. Dans le cas du meurtre, il faut causer intentionnellement la mort, ou causer des blessures qu’on sait de nature à causer la mort. J'ai déjà expliqué ICI les différents types d'homicides, dont le meurtre.