lundi 23 janvier 2012

C-10 : Justice de robots

On a beaucoup parlé des modifications apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants par le projet de Loi C-10 qui a été adopté en troisième lecture le 5 décembre 2011 par la Chambre des communes.

Je connais très peu cette Loi, et je laisse le soin aux spécialistes du droit des jeunes de commenter les amendements apportés qui sont à pleurer, j’en suis certaine.

Dans la pratique du droit criminel, de manière générale, ce sont les peines minimales mandatoires nouvellement incluses dans le Code criminel par le projet de loi qui frappent, qui choquent, qui assomment.

Dernièrement, lors du Symposium de l’Association des avocats de la défense de Montréal, ma consœur Anne-Marie Lanctôt conseillait ironiquement aux jeunes avocats d’apprendre à mieux connaître les moyens de défense, puisque les plaidoyers de culpabilité ne seront plus à la mode, les peines minimales devenant la règle.


Qu’on me comprenne bien, qu’on nous comprenne bien : La peine minimale est parfois requise.  Par exemple en cas de meurtre, la peine minimale est la prison à vie (assortie d’une possibilité de libération conditionnelle après une période variant de 10 à 25 ans selon qu’il s’agisse d’un meurtre au 2e degré ou au 1e degré) et personne ne s’insurge.

Dans le cas d’une déclaration de délinquant dangereux, la peine est indéterminée, et personne ne s’offusque contre la sévérité d’une telle peine qui, dans la majorité des cas, sera souhaitable vu le caractère du délinquant.

Mais dans la quasi-totalité des cas, il est inacceptable que les acteurs du système de justice pénale, j’entends ici les accusés, leurs avocats, les avocats du poursuivant et les juges;  il est inacceptable, donc, que ces acteurs soient boulonnés par des peines minimales obligatoires.

Car il faut bien comprendre que la question des facteurs atténuants, qui peuvent alléger une sentence, n’est plus pertinente lorsqu’un crime est assorti d’une peine minimale : le juge perd sont pouvoir discrétionnaire, il ne peut plus prendre en considération la situation, ou l’humain pris dans la situation, afin d’imposer une peine conséquente.  Le juge se retrouve coincé avec une peine minimale à laquelle il doit condamner le contrevenant.  C’est à se demander à quoi il sert, ce juge, désormais.  Un robot pourrait presque le remplacer.

Tout comme les juges, les avocats se trouveront aussi obstrués dans leur travail de négociation, si négociation est encore possible.  Je ne parle pas seulement des avocats de la défense, je parle des officiers de justice qui œuvrent en droit criminel, c'est-à-dire les avocats de la Couronne et les avocats de la défense.  Pourquoi et comment négocier un plaidoyer de culpabilité alors que la peine qui sera imposée en bout de ligne sera plus sévère que si l’on avait choisi de faire un procès, avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles.

Ces peines sont désincarnées, ces peines déshumanisent le processus judiciaire, ces peines ne tiennent pas compte du contexte dans lequel le crime a été commis, non plus qu’elles ne tiennent compte des caractéristiques particulières du délinquant et de sa situation au moment de commettre le crime.  Ces peines sont mécaniques, alors que l’humain, et ses démons, sont au cœur de la justice criminelle.  Ce peines sont détraquées.

Je pourrais couvrir des pages entières d’exemples où la peine minimale sera inacceptable, et inhumaine, en me basant uniquement sur ma pratique des dernières années ou sur des cas médiatisés dont tous ont entendu parler.

Les peines minimales du projet de loi C-10

Inceste :  Minimum de 5 ans de prison pour le plus vieux si l’un des deux participants a moins de 16 ans. 
5 ans de prison pour la jeune femme de 18 ans qui a des relations sexuelles consensuelles avec son frère de 15 ans.  5 ans de prison pour le jeune de 18 ans qui a des relations sexuelles consensuelles avec sa demi-sœur de 15 ans. 

L’inceste est un crime commis dans un univers ou, le plus souvent, les protagonistes ont besoin d’aide psychologique, et non pas d’un enfermement.

5 ans de prison est une peine immensément longue pour celui ou celle qui a besoin de suivi et de soutien psychologique afin de guérir.

Relation sexuelle entre un/e prof majeur et son élève mineur/e :  1 an minimum.

Même si le/la prof a 21 ans, que l’élève a 17 ans, et que la relation était tout à fait consensuelle.  Quand bien même la relation sexuelle aura été initiée, engagée, désirée et provoquée par l’élève : 1 an minimum.  Quand bien même on a affaire à un amour qui dure:   1 an minimum.

Agression sexuelle sur un/e plaingnat/e de moins de 16 ans 1 an minimum

Même si l’agression sexuelle en question consiste en une main sur un sein dans un contexte de rupture/réconciliation.  Oui, j’oserai l’affirmer : l’agression sexuelle est un crime grave objectivement, mais c’est aussi un crime subjectivement anodin dans certaines situations. 

Un homme et une femme en processus de séparation.  Ils vont au lit ensemble, elle demande qu’il lui fasse « des minouches dans le dos », il obtempère, mais croit à tort qu’elle veut aussi aller plus loin, la minouche s’avance et va minoucher le sein :  plainte d’agression sexuelle retenue.  Le toucher était non désiré et la plaignante non consentante à ce que son sein soit minouché, soit.  Mais 1 an de prison? 

Le résultat dune peine minimale, dans des cas aussi absurdes que ceux-là, et les palais de justice regorgent de ce types de cas, pourra être l’abandon des procédures puisque personne ne veut d’une peine minimale d’un an dans un tel contexte.  Alors que l’accusé aurait, dans le passé, été condamné et reçu une sentence clémente, voire une absolution, il y a de fortes chances que désormais la plainte ne soit pas reçue, parce que la peine encourue est démesurée.

Trafic de stupéfiants près d’un endroit fréquenté par des mineurs : 2 ans minimum

2 ans de prison minimum pour le jeune qui vend du cannabis sur le terrain de la maison des jeunes ou dans le parc devant l’école secondaire.   Que ce soit une première offense, que le jeune ait fait ce trafic pour nourrir sa mère malade ou son bébé, que le jeune le regrette amèrement ou qu’il soit lui-même en phase terminal, rien n’a d’importance : on l’envoie au pénitencier, et personne n’y peut rien changer.

Culture de cannabis

6 mois de prison minimum pour 150 plants.  1 an de prison minimum pour 250 plants.  Que le délinquant ait vendu à des fins thérapeutiques, ou qu’il s’agisse d’une jeune vietnamienne désirant acheter un billet d’avion pour se rendre au chevet de sa mère malade dans son vietnam natal, aucune importance.  Prison ferme.

Trafic et culture de cannabis

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté.  Peu importe le contexte, peu importe la quantité.
Alors que le Québec avait toujours refusé, contrairement à d’autres provinces canadiennes, d’établir un « starting point » jurisprudentiel en matière de stupéfiants, nous y voilà forcés par le gouvernement conservateur.

Voies de fait causant lésions

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté.  Il faut comprendre qu’une ecchymose est une lésion corporelle, une égratignure aussi.

J’ai eu un dossier il y a deux ans où mon client, un homme âgé, avait eu peur de son fils adulte, gros, fort et déficient intellectuelle et il l’avait très légèrement blessé avec un couteau.  Il aurait eu, je crois bien, une légitime défense à faire valoir lors d’un éventuel procès.  Mais mon client, un adorable monsieur, souhaitait avant tout revoir son fils et reprendre sa vie là où elle s’était arrêtée le soir de ce drame familial.  Faire un procès était hors de question pour lui, d’autant plus que sa santé ne nous permettait pas de penser qu’il vivrait jusqu’à l’aboutissement de ce procès.

On a opté pour le plaidoyer de culpabilité.  Le juge a entériné le plaidoyer, condamné l’accusé,  et mon beau monsieur G. a été absout à l’étape de la sentence.

Sous C-10, il aurait passé l’aube de ses 80 ans en prison.

Vol d’un véhicule à moteur

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté. 

Qu’on vienne nous dire que les conservateurs ont voulu s’attaquer aux crimes graves…

Crime passible de 14 ans de prison

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté pour tous les crimes passibles d’une peine de 14 ans de prison, c'est-à-dire pour une très grande proportion des crimes contenus au Code criminel canadien.

Enlèvement d’enfant

Plus aucune possibilité de prison dans la communauté. 

Certes, l’enlèvement d’enfant est un crime objectivement très grave qui, dans la majorité des cas, nécessitera une peine de prison.

Mais comme dans tous les cas, il y a des exceptions.  Je pense ici à Myriam Bédard.  Le juge l’a condamnée.  Mais la peine qu’il a choisi d’imposer est l’absolutionconditionnelle.  Sous l’égide des nouvelles règles, il n’aurait eu d’autres choix que de l’envoyer purger sa peine derrière les barreaux.


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En matière de détermination de la peine, il y a des principes.  Certains sont codifiés au Code criminel, d’autres sont enchâssés dans la Chartec anadienne.

Le Code criminel énonce qu’une peine sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  Il énonce aussi que la peine la moins privative de liberté devra être envisagée avant toute autre peine.

La Charte prévoit que nul ne sera condamné à une peine cruelle et inusitée.  Le caractère cruel ou inusité d’une peine est tributaire du contexte dans lequel le crime est commis et de la situation particulière du délinquant.

Les modifications apportées au Code criminel par le projet de Loi C-10 pourraient être déclarées illégales par les tribunaux, illégales et inconstitutionnelles.

On assistera, dans les prochaines années, non seulement à un ralentissement des procédures judiciaires en raison d’une multiplication de procès qui auraient été évités par des plaidoyers de culpabilité, mais aussi à un embourbement des procédures en raison d’une multitude de requêtes en déclaration d’inconstitutionnalité des peines.

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