mardi 31 janvier 2012

«J’veux aller en rappel, fais-tu ça, toi, des rappels»

Après une condamnation devant un tribunal, on a l’occasion de porter ou non la décision en appel.

L’appel, au Québec, au Canada, en Common Law, n’est pas un nouveau procès.  L’appel, c’est le procès du procès.  Alors qu’en première instance, c’est l’individu qui était jugé; en appel, on juge son procès.

Photo:  Radio-Canada
L’appel n’est pas automatique, c’est n’est pas une étape de la procédure, c’est la révision faite par le plus haut tribunal de la province, ici la Cour d’appel du Québec, la C.A.Q.[1], du procès qui s’est tenu en première instance, c’est-à-dire devant la Cour municipale, la Cour du Québec ou la Cour supérieure selon l'accusation.

Dans le cas d’un procès devant un juge seul, l’accusé peut se pourvoir en appel si le juge a commis des erreurs de droit au cours du procès ou dans sa décision.  Dans ce cas, il va en appel directement, sans demander la permission à la Cour.  Il peut aussi porter sa cause en appel si le juge a commis des erreurs dans l’interprétation des faits, mais dans une telle situation, il faudra d’abord avoir obtenu de la Cour d’appel la permission d’être entendue par elle.

L’erreur de droit, c’est de mal interpréter, analyser ou appliquer un principe juridique («La défense de troubles mentaux n’existe pas au Canada»).  L’erreur de faits, c’est de se tromper dans l’interprétation de la preuve produite («L’accusé avait un veston bleu il est donc coupable» (alors que le veston était vert).

Dans le cas d’un procès devant juge et jury, on peut aller en appel si le juge a commis des erreurs de droit au cours du procès (admission ou rejet d’un élément de preuve erronément, y compris une déclaration de l’accusé) ou encore s’il a commis des erreurs de droit en donnant au jury ses directives.   À la limite, le juge pourrait aussi avoir commis des erreurs dans l’interprétation des faits en résumant la preuve au jury mais, dans la vraie vie, les avocats interviendraient et  l’erreur serait corrigée sur le champ si bien qu’habituellement, l’appel d’un procès devant jury ne porte que sur des questions de droit et que la permission de la Cour n’est pas nécessaire.

On peut aussi, enfin théoriquement, se pourvoir en appel contre la décision d’un jury au motif que cette décision est déraisonnable.  Mais il faut pour cela que la décision n’ait aucun sens.  Quelle soit illogique compte tenu de la preuve produite.  C’est une voie d’accès à la Cour d’appel qu’on utilise rarement, et qui réussit encore plus rarement.

Enfin, lorsqu’on veut en appeler d’une sentence imposée, parce qu’on la juge trop sévère, il faut toujours recevoir d’abord la permission de la Cour.

Dans presque tous les cas, car il y a des exceptions, on demande une permission à un juge seul, mais l’appel au fond, c’est-à-dire l’appel réel, une fois la permission obtenue, est plaidé devant trois juges.

Il n’y a pas de témoin en appel.  Pas de preuve produite.  Encore une fois, c’est le procès du procès, alors seul le dossier de première instance est analysé par la Cour.

L'appel devant la Cour suprême du Canada nécessite toujours la permission (qui se fait uniquement par écrit et dont la décision -non motivée- est rendue par trois juges).  Une fois la permission accordée, l'appel devant la Cour suprême du Canada est entendu par cinq, sept ou neuf juges.

Automatique, l’appel, à la suite d’une condamnation pour meurtre?

Automatique dans le sens où la permission de la Cour ne sera pas requise, puisque l’appel portera (presque toujours) sur des questions de droit.   On parle alors d’un appel de plein droit.

Cour d'appel de l'Ontario

Dans les minutes suivant le verdict dans l’affaire Shafia, on a entendu qu’il y aurait appel.  Je ne sais pas si je suis puriste, ou hypocrite de m'offusquer devant une lapalissade, mais ça m’agace.  Cette annonce avant même d’avoir réécouté les directives, avant même d’avoir consulté le client, avant même d’avoir repris son souffle.

Certes, on n’a pas besoin de reprendre son souffle pendant 3 mois, et on a le devoir, pour préserver les droits du client, de rédiger un avis d’appel dans les 30 jours du verdict.

Il est vrai que la condamnation pour un meurtre au premier degré amène la sentence la plus grave et qu’on ne perd à rien de tenter sa chance en appel…

Mais il reste que l’appel n’est pas une fiesta.  C’est sérieux.  Et comme avocat, en lisant des directives, on sait bien si on a quelque chance de réussite ou si notre appel serait une perte de temps pour nous, pour la Cour, et un espoir vain pour l’accusé.

Tout ça pour dire que ça me tombe un peu sur les nerfs cette mode en droit criminel de dire que l’appel est systématique à l’encontre d’une condamnation pour meurtre.  Quasiment systématique, je veux bien m’incliner, mais de dire que ça va de soit, qu’on ne perd rien d’essayer, « qu’un gars s’essaye », advienne que pourra…  Ça m’agace.  C’est la Cour d’appel, pas un jeu de hasard.




[1] Est-il encore temps pour le parti de François Legault de changer de nom?

3 commentaires:

  1. Encore une fois merci de ces précisions.

    Est-il envisageable que la défense (dans cette cause comme dans une autre, spécialement lors d'un long et complexe procès), présageant un tour défavorable, prenne soigneusement note au fur et à mesure des éventuels motifs de recours en appel, ce qui expliquerait la célérité du dépôt?

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  2. Oh oui, bonne précision que tu me fais apporter: c'est tout à fait possible, surtout si une décision du juge qui fera l'objet de l'appel est survenu en début de procès.

    Si par exemple le juge admet en preuve un élément que la défense juge inadmissible, elle saura dès lors qu'elle ira en appel en cas de condamnation.

    Toutefois, quand l'appel concerne les directives, c'est plus délicat. Ça se passe à la fin. Ce sont rarement des erreurs si grossières que ça saute aux yeux qu'il faut en appeler... Il faut donc réécouter, chercher un peu, réfléchir, parler au client, puis prendre une décision.

    Mais effectivement, tu as tout à fait raison de dire qu'on peu aussi le savoir dès les premiers jours, et même dès les requêtes préliminaires, avant le début du "vrai de vrai" procès. Par exemple, une requête de la défense en exclusion de l'écoute électronique. Le juge rejette la requête et admet en preuve les conversations. Si on était convaincus d'avoir raison, on sait avant même le début du procès qu'on ira en appel.

    Merci pour cette question!

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  3. J'aurais bien aimé avoir une avocate tel que vous. Ma défence à été baclée par mon avocat, le juge, dans son jugement, s'est trompé dans la description de la voiture, des vêtements etc (même si les policiers ayant témoigné avaient très bien expliqué les détails!!!) J'.ai été accusé d'avoir refuser de fournir un échantillon d'haleine, acquitté d'avoir conduit un véhicule en état d'ébriété et accusé de voie de fait sur un policier. Au final: 8000$ d'avocat, antidémarreur éthilique, 100$ d'amande pour voie de fait sur un policier???? 100$ pour voie de fait sur un policier??? Ca ressemble à un arrangement avec mon avocat (sans mon accord).
    micjean79@hotmail.com

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