samedi 26 mars 2016

L'avocate, le violeur, ses maitresses et son acquittement


C'est évidemment une question de perception et de déformation (ou de paranoïa) professionnelle, mais ce que j'ai trouvé le plus misogyne dans la foulée du procès Ghomeshi, ce sont les commentaires pervers concernant son avocate. 


Indécrottablement pervers.



Parce que c'est une femme, elle n'a ni le droit d'être compétente, ni le droit d'être travaillante, et encore moins le droit d'être riche.  C'est une requine, une terreur, une amorale, une salope, une personne intimidante, j'en passe et j'en oublie. Mais plus crasse encore, elle n'a pas le droit de faire son travail d'avocate de la défense et de contre-interroger des plaignantes dans un procès criminel.

Je n'ai jamais lu pareilles constatations sur un avocat - sans E- de la défense, même pas dans O.J Simpson ou dans Turcotte où l'on critiquait pourtant beaucoup le fait que l'accusé avait eu droit à un procureur compétent. 


C'était une introduction.

Un procès d'agression sexuelle, comme n'importe quel procès, dans notre système contradictoire qu'est celui de la Common Law, c'est un lieu où s'affrontent deux positions devant un juge neutre. Neutre au sens où il ne participe pas à l'enquête préalable. Neutre au sens où il reçoit les informations mises en preuve au fur et à mesure qu'elles sont produites. 

Ce système, même en tentant d'être le moins chauvine possible, fonctionne bien. Il fonctionne bien mieux, et là je serai inévitablement chauvine, que celui de la procédure inquisitoire (on dit aussi accusatoire, c'est un euphémisme).

En France, le juge d'instruction peut forcer un accusé à lui parler. Donc à s'incriminer. Il peut même l'amener dans son bureau pour y arriver. Et allez savoir ce qui se passe dans ce bureau... 


(Parenthèse: les pires cas d'erreurs judiciaires sont tributaires d'auto-incrimination erronée. Je pense spontanément au jeune Simon Marshall au Québec, et à toute la saga Steve Avery qui a fait naître le douloureux documentaire Making a murderer)


En Common Law, depuis la Magna Carta pour prendre ce point d'ancrage déterminant, il existe une chose qui s'appelle le droit à un procès juste et équitable.  Intimement liés à ce droit: le droit de garder le silence et le droit de ne pas s'incriminer. Le premier concerne plutôt l'étape de l'enquête policière, le second concerne plutôt le procès. nemo tenetur seipsum accusare. Il tire son origine du dégoût provoqué par les formes d'interrogatoires pratiqués par les tribunaux ecclésiastiques, de la torture jusqu'aux aveux.

L'individu pris dans un rapport de force avec l'État dispose désormais de garanties juridiques qui le prémunissent contre le pouvoir démesuré de l'État.

Cet individu, pris dans un rapport de force avec l'État, c'est l'accusé.

Les plaignantes, ou les victimes si le crime a été commis, sont des témoins. Elles aident le procureur de l'État à faire la preuve de la culpabilité d'un accusé hors de tout doute raisonnable par leur témoignage. Elles n'ont pas besoin d'être représentées par avocats puisqu'elles sont des témoins de l'État. Si la plaignante regrette d'avoir porté plainte auprès de la police et qu'elle ne souhaite plus de poursuite contre l'accusé, sa demande peut ne pas être considérée, puisque le poursuivant, c'est l'État.

Les plaignantes en matière d'agression sexuelle, comme n'importe quel plaignant en common law, n'ont donc pas ce fardeau (monétaire) de se faire représenter par avocat et de prouver quoi que ce soit (comme c'est le cas de la partie civile en France). Une victime de violence conjugale qui a peur et décide de retourner dans le cycle de la violence peut tout de même recevoir de l'aide puisque le ministère public peut maintenir l'accusation contre le mari violent.

Au procès, l'accusé, celui qui est pris dans un rapport de force avec l'État, en plus de bénéficier du droit d'être présumé innocent et du droit de garder le silence, a le droit à un procès juste et à une défense pleine et entière. 

Ce dernier emporte le droit de poser des questions aux témoins de la partie adverse, c'est-à-dire aux témoins de l'État.

Si on élimine toutes ces garanties, on se retrouve en plein despotisme.

Dans un procès pour agression sexuelle, tout est plus complexe. D'abord parce qu'il n'y a bien souvent qu'une preuve testimoniale, c'est à-dire la parole d'une personne sans preuve matérielle, ensuite parce que le crime allégué touche à l'intimité la plus profonde de la plaignante, à sa dignité comme femme, ou comme homme moins souvent.

Il demeure que, même en essayant de retourner la chose de toutes les manières et d'être imaginatif, il faut un procès, ou une certaine forme de procès. On ne peut pas pendre des gens sans audition. On l'a trop fait au moyen-âge et ça n'a pas été salutaire.

Je ne connais pas la justice transformatrice, mais de ce que j'en comprends, elle fonctionne à condition que l'accusé reconnaisse ses torts. Elle fonctionne donc à condition que l'accusé plaide coupable, pour faire le parallèle avec des notions que je connais. Ce texte de la Ligue des droits et libertés peut être éclairant.

Or, un accusé, une accusée, peut toujours nier. C'est son droit. Il peut même nier en bloc au point de vouloir démontrer qu'il n'était pas là au moment des faits reprochés, qu'il se trouvait au Japon tiens.

Jian Ghomeshi a plaidé non coupable. C'est dire qu'il prétend n'être pas coupable des gestes que l'État lui reproche. Comme tout autre accusé, c'est son droit.  Et quand j'entends qu'un accusé en matière d'agression sexuelle devrait être privé de ce droit, qu'il devrait se trouver devant une obligation légale de reconnaître qu'il a commis un crime, j'ai très peur.

Aussi peur que lorsque j'entends qu'en matière d'agression sexuelle, la plaignante devrait toujours, mais vraiment toujours, être crue.  Chaque fois que j'entends cette proposition, j'ai envie de répondre par une invitation: Allez vous asseoir une semaine dans une salle d'audience du palais de justice de St-Jérôme, et on en reparlera.

Et qu'on me comprenne bien: je ne dis pas que les fausses plaintes en matière d'agression sexuelle sont fréquentes. Je dis qu'elles existent.

Ce qui existe aussi, et cela beaucoup plus fréquemment, c'est une plainte d'agression sexuelle dans un contexte de dispute amoureuse qui se termine par une plaignante qui supplie la poursuite de laisser tomber l'accusation, qui supplie même l'avocate de son client de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les conditions de remise en liberté soient annulées afin qu'ils puissent se revoir. «Oui oui il m'a touché le sein pendant la dispute, mais non non non je ne l'ai pas vraiment vécu comme une agression sexuelle, j'étais juste fâchée».


Or, contrairement au mythe qui circule encore, on ne lésine pas avec la violence domestique et la violence sexuelle. Habituellement, l'accusé comparaît détenu et ressort (s'il ressort) contraint de respecter de nombreuses conditions, dont celle de ne pas contacter la plaignante évidemment. Alors... On fait quoi quand ils veulent revivre ensemble? On fait quoi quand ils font fi de ces conditions, qu'ils se voient, et qu'ils font un bébé?

Ce sont des situations comme celle-là qui expliquent, en partie, le nombre impressionnant de retraits des accusations en matière d'agression sexuelle comme on le constate dans les chiffres produits ici.


On remarquera tout de même de ces chiffres que les condamnations sont beaucoup plus fréquentes que les acquittements. Il serait peut-être important de le garder à l'esprit et d'en faire part aux victimes.

Mais pour revenir à Ghomeshi et à la question que son procès a soulevée: est-ce que les victimes d'agression sexuelle auront davantage de craintes face au système de justice?

J'espère que non.

Mais on ne peut pas priver un accusé de ses droits et le condamner dès lors que des accusations sont portées au motif que des éventuelles plaignantes pourraient avoir peur du système. Dire le contraire, c'est un plaidoyer en faveur d'un retour à un système de justice pénale totalitaire. 

Et si ce procès burlesque a eu pour effet de décourager des victimes, il y a deux conclusions qui s'imposent. La première: ce procès n'aurait dû jamais avoir lieu. On ne fait pas un procès avec trois témoins non crédibles. La seconde: il faut cesser de véhiculer des mythes concernant les procès d'agression sexuelle, mythes que ce procès a participé à perpétuer en raison de toute la désinformation qui l'a entouré.

Premier mythe, l'accusé est presque toujours acquitté. Faux, les chiffres produits plus haut démontrent clairement l'inverse.

Second mythe, on fait le procès des victimes. Faux. On fait le procès de l'accusé, la plaignante est un témoin et on la questionne. Ne pas le faire équivaudrait à condamner sans preuve.

Troisième mythe, le témoignage de la plaignante doit être corroboré par une preuve indépendante. Faux. Il est révolu depuis longtemps ce temps où les femmes, parce que femmes, n'étaient pas crues à moins d'être corroborées.

Quatrième mythe, la plaignante sera questionnée sur sa réputation sexuelle. Faux. Cette pratique ancestrale est illégale.

Cinquième mythe, la plaignante sera questionnée sur son passé sexuel. Faux. Cette pratique est illégale à moins d'avoir convaincu le juge préalablement que ce sujet est pertinent et que le droit à une défense pleine et entière en dépend.

Il faut impérativement cesser de dire aux victimes d'agression sexuelle que si elles ont eu plusieurs amants ou si elles ont subi deux avortements, leur crédibilité sera mise à mal. C'est faux, faux, faux. Il est même illégal d'aborder ces sujets.


Sixième mythe, tous les dossiers médicaux, psychiatriques, personnels, y compris les journaux intimes de la plaignante seront étalés au grand jour. Faux. Ces documents ne seront même pas divulgués à la défense, encore une fois à moins d'avoir convaincu le juge préalablement que ce sujet est pertinent et que le droit à une défense pleine et entière en dépend. Exemple... L'accusé sait que la plaignante a dit à son psy qu'elle n'a jamais été agressée mais qu'elle l'accuse par vengeance. L'accusé aurait alors droit de recevoir les notes du psy et de questionner la plaignante sur les propos qu'elle a tenus.

Septième mythe, la plaignante est seule au monde. Faux. La plaignante est accompagnée et entourée. Par la procureure de la poursuite, par l'enquêtrice au dossier ou un autre policier, par les employées des calacs, par ses proches si elle le souhaite et ce pendant tout le processus judiciaire.

Je veux bien qu'on en veuille au système, au bandit et à son avocate, mais il faudrait aussi veiller à ne pas désinformer, surtout lorsque l'on prétend chérir le courage des victimes de dénoncer.

***

Le procès de Jian Ghomeshi est un désastre, il est d'autant plus désastreux qu'il a peut-être découragé des victimes à porter plainte alors qu'elles avaient déjà une confiance ténue envers le système de justice.

La faute à qui? La faute au procès lui-même qui n'aurait jamais dû se tenir avec ce qu'on sait désormais de la preuve, c'est-à-dire ce que la Couronne et la police auraient dû savoir avant de porter des accusations.

Mais ce n'est ni la faute du système, ni de l'avocate de Ghomeshi, ni la faute de la Charte des droits ou de la Déclaration universelle des droits. C'est simplement la faute de ce procès très particulier.


Eleanor Roosevelt, rédactrice de la Déclaration universelle

L'avis selon lequel l'accusé aurait dû témoigner, l'avis selon lequel le juge aurait dû soupeser les deux versions, l'avis selon lequel ce sont les victimes qui auraient dû être poursuivantes et non l'État, l'avis selon lequel le fardeau de preuve (hors de tout doute raisonnable) est trop lourd en matière criminelle; tous ces avis mènent à une seule solution sensée: les trois plaignantes auraient dû poursuivre Ghomeshi au civil.

En matière criminelle, la procédure est fondée sur les droits fondamentaux garantis par la Charte.

Rien ne justifie qu'on modifie les règles de preuve dans les dossiers d'infractions d'ordre sexuel, d'autant plus que les stigmates qui se rattachent aux déclarations de culpabilité pour agression sexuelle sont des pires qui soient, et on le comprend.

Veut-on vraiment vivre dans un système où des accusés sont condamnés, parfois jetés en prison pendant des années, sur la base de témoignages qui n'ont ni queue ni tête? 

Avez-vous lu le jugement?


(Parenthèse: Je n'arrive même pas à comprendre ce qui a pu se passer dans la tête du ministère public qui a choisi de ne pas faire entendre d'expert pour expliquer le comportement et les sentiments des trois plaignantes qui ont eu des contacts avec l'accusé après les faits. Une telle situation peut certes s'inscrire dans une dynamique de peur, de violence; une telle situation peut certes révéler un syndrome de soumission, mais il faut impérativement que ce soit expliqué. Un juge ne peut pas tout décider sans qu'une preuve scientifique soit faite.)


J'ai envie de proposer un jeu. Imaginez que l'accusé est votre fils, votre chum, votre père.

Et pas le droit de dire «non ça ne pourrait pas être lui l'accusé», parce que vous faites fausse route: oui ça pourrait être lui. Personne n'est à l'abri d'une accusation criminelle, fondée ou non.  

Donc, ton chum disons. Et dans le plus profond de ton coeur, tu ne crois pas qu'il a agressé sexuellement une femme, et encore moins qu'il a eu l'intention d'agresser sexuellement une femme.

Tu assistes au procès, pour le soutenir, et les trois témoins non seulement mentent et se contredisent elles-mêmes et entre elles, mais elles démontrent qu'elles ont voulu former un «team» pour «détruire» ton chum.

C'est un jeu simpliste, mais ça illustre bien la nécessité de préserver des règles de preuve en matière criminelle axées sur les droits fondamentaux.






11 commentaires:

  1. Bonjour, j’ai 2 questions :

    1- Est-ce qu’une agression physique peut ne pas en être une aux yeux de la loi, sous le vocable du consentement?

    2- En vertu de quel article du code civil les plaignantes auraient-elles pu porter plainte?


    Danièle Bourassa

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    1. 1. Le mot même d'agression semble éliminer toute possibilité de consentement.

      La définition de voie de fait c'est l'exercice de la force, sans consentement. S'il y a consentement il n'y a pas de voie de fait.

      Ceci dit, les tribunaux ont déjà décidé qu'une personne ne peut pas consentir à se faire infliger une blessure «plus que mineure».

      Concernant votre deuxième question. Je ne suis pas civiliste mais l'article 1457 parce de responsabilité civile en générale.

      VR

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  2. Votre point de vue est intéressant, corrigez donc les fautes d'orthographe, ça ferait plus crédible.

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  3. 1. Dans plusieurs cas, oui, mais pas tous ;

    2. 1457, C.c.Q.

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  4. François Perron27 mars 2016 à 21:56

    Merci pour ces éclaircissement essentiels Par contre, le ton de ces commentaires: "Mais ce n'est ni la faute du système, ni de l'avocate de Ghomeshi, ni la faute de la Charte des droits ou de la Déclaration universelle des droits. C'est simplement la faute de ce procès très particulier." et "On ne fait pas un procès avec trois témoins non crédibles." sont pour moi des exemples douloureux d'une culture d'inertie semblant engluer une grande partie du pouvoir judiciaire. Il est normal que, malgré les efforts déployés le corps judiciaire faillisse parfois à sa tâche. Aucun système ne peut répondre de façon infaillible aux complexités du comportement humain. Par contre, devant les échecs évidents de ce procès, la simple éthique n'exige-t'elle pas de prendre acte publiquement de cet échec et de chercher dès maintenant des façons d'améliorer le système ayant permit un tel échec? Il est évident qu'on ne peut élaborer une loi pour chaque cas particulier mais il serait normal de chercher à servir toujours mieux la Justice et à réagir immédiatement, au moins en intention à chaque ratée du système. Quand on conduit sur l'autoroute, on se dirige dans une direction générale certes, mais, même en voulant suivre une ligne droite, on ajuste et corrige constamment la direction des roues. Il m'apparaît comme un aveu d'échec de notre société que des juges et des avocats puissent se permettre de se positionner publiquement face à ce procès comme face à une joute sportive plutôt que comme des acteurs impliqués au premier chef dans ce qui nous définit en tant que Canadiens et Québécois: la société de droit. Les juges et les avocats sont payés beaucoup trop cher pour pouvoir se conforter à n'être que des techniciens légaux. N'ont-ils pas le devoir moral de se prononcer de façon constante sur l'efficacité de leurs outils à rendre la justice? Si le système judiciaire est incapable de servir les droits de "victimes non-crédibles", il faut travailler dès maintenant à réformer ce système, tout en respectant bien sûr la présomption d'innocence d'un accusé. Et si ce même système a permit que ce procès se déroule sans témoin-expert, ce système est, encore une fois, fautif et il me semble impératif de commencer par nommer cette réalité pour pouvoir aller de l'avant. Bien sûr, peut-être n'y a-t'il pas de solution parfaite mais en cherche-t'on vraiment à l'heure qu'il est? Puisque vous prenez déjà la parole publiquement pour commenter ce jugement et nommer certaines de ses failles, ces reproches ne peuvent totalement s'appliquer à vous mais étant donné que vous connaissez l'importance de chaque mot et de chaque virgule dans un texte judiciaire, il me semblait important de ne pas laisser passer inaperçus dans votre commentaire ces indices d'une culture de déresponsabilisation qui semble bien ancrée au sein de votre profession.

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  5. C'est la faute au procès? Surtout ne pas blâmer les professionnels, police, procureurs et même le juge qui n'a pas su voir le travail bâclé de tous les acteurs. Les seuls amateurs sont les plaignants qui auraient du garder la tête froide depuis 12 ans et devant ces professionnels.

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