Colten Boushie est une jeune
autochtone des Prairies canadiennes qui a été tué d'une balle à la tête par un
fermier blanc.
Boushie se trouvait
alors sur le terrain de l'homme blanc avec ses amis. Ils étaient saouls, gelés,
et n'avaient pas d'affaire là.
Mais ce n'est pas ça
la question, et il faut vraiment avoir un esprit malade pour résumer ce dossier
en piaillant que le jeune Boushie serait encore en vie s'il ne s'était pas
trouvé sur la terre de Stanley. Ça tout le monde le sait. La question qui
préoccupe est celle de savoir s'il serait toujours en vie s'il avait été blanc
et sur le terrain de Stanley.
Je n'ai pas lu les
jugements du juge sur voir-dire, c'est-à-dire hors jury. Je ne sais pas quelles
ont été les discussions entre les avocats et le juge sur la question des
défenses offertes à l'accusé (donc présentables au jury). Je n'ai même pas lu
les directives du juge. Ce dernier point est crucial. On ne peut pas
intelligemment commenter le verdict d'un procès quand on n'a pas lu les
directives. Je parle de commenter un
verdict ici, dans un angle juridique.
J'ai lu beaucoup sur le procès cependant. Assez pour avoir quelques idées.
J'ai lu beaucoup sur le procès cependant. Assez pour avoir quelques idées.
La légitime défense ou la défense de biens
De tous les articles
que j'ai lus, y compris ceux qui étaient très complets, nulle part un
journaliste n'a rapporté que le sujet de la légitime défense ou de la défense
de biens aurait pris une place importante au procès. Cette défense, si elle est soulevée par
l'accusé et présentée au jury, amène un acquittement. Pour être présentée au jury, une défense doit
être vraisemblable. Elle doit avoir un «air of reality»[i]. La légitime défense, ou la défense de biens,
doit comporter une certaine proportionnalité entre l'attaque et la réponse pour
être vraisemblable. Tirer une balle dans
la tête de quelqu'un parce qu'il nous a giflé, c'est disproportionné.
Selon ce que je comprends
de mes lectures, ni la défense de biens, ni la légitime défense, n'était pas au cœur
du procès, ce qui signifie peut-être que le juge les a interdites, en raison de
leur manque de vraisemblance.
Il est donc probablement sans intérêt aucun de rappeler que le jeune Boushie se soit trouvé sur le terrain de
l'accusé. Aucune pertinence logique ni aucune pertinence légale semble-t-il.
Le verdict d'acquittement
Sans avoir lu les
directives, j'ai eu une drôle d'impression en lisant les témoignages tels que
rapportés par les médias. Tant à partir des témoignages à charge qu'à partir de ceux de la
défense, j'ai eu l'impression que la défense de Stanley était celle de
l'homicide involontaire. «C'est un
homicide involontaire, pas un meurtre».
L'homicide
involontaire, c'est de causer la mort d'un être humain en commettant un acte
illégal, sans avoir eu l'intention de tuer.
Dans la séquence des
événements, même en si fiant et même en ajoutant foi au témoignage de l'accusé
et de son fils, il semble clair que de nombreux actes illégaux ont été commis
par lui qui ont mené à la mort de Boushie. L'arme qui a été utilisée est une
arme de poing, une arme à autorisation restreinte donc, ou carrément prohibée: premier acte
illégal. Courir après un individu avec une arme dans les mains est clairement
une menace: deuxième acte illégal. Tirer
dans les airs avec une arme de poing pour faire peur à des intrus, à moins
d'invoquer la défense de biens, est une menace: possiblement un troisième acte
illégal. Pointer une arme en direction
de quelqu'un est illégal: quatrième acte illégal.
Je n'ai pas assisté au
procès et je n'ai pas lu les directives, mais j'ai l'impression que l'accusé
s'est lui-même avoué coupable d'un homicide involontaire. Et il a été acquitté.
Sauf que le juge avait
ouvert l'acquittement, ça j'en suis sûre.
Si tout était si clair que je le prétends, le juge n'aurait pas permis
au jury d'acquitter. Il leur aurait dit «vous avez le choix entre deux
verdicts: meurtre au second degré ou homicide involontaire». Mais c'est pas ce
que le juge a décidé.
Il y a donc des choses
que je ne sais pas et qui m'empêchent de commenter avec rigueur le verdict.
J'ai bien du mal à
comprendre qu'on se permette de le faire alors qu'on ne sait rien. Surtout si on est Premier Ministre ou ministre
de la Justice. Cette intrusion dans le judiciaire est non seulement contraire à
notre système constitutionnel, c'est aussi biaisé qu'on prétend que l'a été ce jury.
Sans avoir assisté au
procès et sans avoir lu les jugements ou les directives, le Premier Ministre et
la ministre de la Justice ont affirmé que le verdict était raciste,
déraisonnable, et que Gerald Stanley était coupable. C'est vraiment très laid.
La représentativité du jury
Mais il y a une chose
qui est absolument certaine et qui aurait pu faire taire le Premier Ministre.
S'il y avait eu deux
autochtones, trois autochones, sur le jury qui a acquitté Stanley, l'apparence
de justice aurait été préservée. Un jury doit être unanime. Si un jury composé
de 9 blancs et 3 autochtones avait acquitté Stanley, personne n'aurait eu cette
impression que le verdict est déraisonnable, qu'il a été rendu sur la base de
préjugés raciaux ou en raison d'une sympathie déplacée envers l'accusé.
La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sherratt, 1991, p. 525 |
La représentativité
d'un jury est un concept important. Et
il ne s'agit pas de représenter l'accusé ou la victime, il s'agit d'une
représentativité de la population, de la diversité de la population. Si
l'accusé a le droit d'être jugé par ses pairs, et qu'il a le droit à procès
juste et équitable donc à un jury impartial, il n'en demeure pas moins que la
représentativité d'un jury est essentiel au bon fonctionnement du système.
La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sherratt, 1991, p. 526 |
Ce qui ne veut pas dire que l'accusé a mal utilisé ses récusations péremptoires, et encore moins qu'il faille éliminer ce stade de la sélection du jury contrairement à ce que semble prétendre nos dirigeants pour satisfaire une population mécontente.
Je ne crois pas qu'un accusé puisse avoir un procès juste s'il n'a plus le droit d'éliminer sans se justifier un certain nombre de candidats.
Je ne crois pas qu'un accusé puisse avoir un procès juste s'il n'a plus le droit d'éliminer sans se justifier un certain nombre de candidats.
Et c'est l'accusé qui a
le droit à un procès juste et équitable, pas l'État. L'accusé a le droit de vouloir être acquitté alors que la poursuite n'a pas de cause à gagner.
La Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Gayle, 2001, p. 24 |
On peut donc reprocher
à la poursuite d'exclure d'un jury tous les candidats portant une telle ou une
telle autre caractéristique personnelle, mais on peut difficilement reprocher à
l'accusé de choisir des jurés qu'ils croient être les meilleurs pour lui, les
plus impartiaux même si, ultimement, il ne peut pas se constituer un jury
favorable. De toute manière, avec seulement 12 récusations péremptoires, c'est
impossible.
Imaginons la situation
inverse. Un accusé autochtone, au Québec, accusé du meurtre d'une victime blanche. Le
procès s'ouvre par la sélection du jury et on remarque que le poursuivant,
c'est-à-dire l'État, rejette systématiquement tous les candidats.es qui peuvent avoir l'apparence d'une personne autochtone. Pire: la défense n'a plus de récusations péremptoires parce que le gouvernement Trudeau les a abolies, et donc il ne peut pas récuser quelques blancs sans motifs dans l'attente que les 2 autochtones assis au fond de la salle arrivent dans le box pour être sélectionnés.
Est-ce que l'on
assiste à ça au Québec? Pas vraiment… parce que les autochtones, comme les noirs d'ailleurs, semblent sous représentés dans la liste électrorale
Mais le résultat est le même: on se retrouve parfois avec 12 jurés blancs pour juger un accusé noir. Et le plus souvent la personne est condamnée, et jamais personne ne fait de sortie publique quand un accusé est condamné. Jamais. Surtout s'il est noir ou autochtone.
Pourquoi c'est
toujours quand une personne acquittée
que tout le monde grimpe dans
les rideaux,
y compris parfois le premier ministre du pays.
Ce phénomène est pour moi plus inquiétant que bien des acquittements.
Les candidats jurés
doivent être choisis au hasard. On a décidé depuis longtemps que le hasard se
trouvait dans la liste électorale. Même
si j'ai du mal à imaginer une autre méthode, je suis loin d'être certaine que
c'est la bonne. J'ai fait quelques procès devant jury dans ma vie et la
dernière fois que j'ai eu un juré noir c'est en 2003. Je ne dis pas qu'il n'y a
jamais de noirs au Québec sur des jurys, je dis qu'il y a peut-être un problème
de représentativité de la population sur la liste électorale.
Même phénomène en Saskatchewan. Comment se fait-il qu'avec une population autochtone quand même bien représentée dans la ville, la composition du jury ait pu faire totalement abstraction de cette représentation?
C'est à ça qu'il faut repenser.
Pourquoi, avec une population cosmopolite comme celle de Montréal, on arrive souvent avec un banc de 12 ou 14 jurés blancs, ou presque blancs?
La faute de la liste électorale? Je pose la question.
Même phénomène en Saskatchewan. Comment se fait-il qu'avec une population autochtone quand même bien représentée dans la ville, la composition du jury ait pu faire totalement abstraction de cette représentation?
C'est à ça qu'il faut repenser.
Pourquoi, avec une population cosmopolite comme celle de Montréal, on arrive souvent avec un banc de 12 ou 14 jurés blancs, ou presque blancs?
La faute de la liste électorale? Je pose la question.
Le problème, encore une fois, est celui de la représentativité des candidats, pas celui du système de sélection une fois les candidats assis dans la salle prêt à participer au processus. S'ils sont 120 appelés et qu'ils sont quasiment tous blancs, en Saskatchewan, c'est signe qu'il y a un problème et que la sélection au hasard de la loi provinciale dont parle la Cour suprême dans Sherratt ne fonctionne pas bien.
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