On apprenait ce matin dans
Le Devoir que l’Association des médecins psychiatres du Québec prône une
réforme draconienne de notre système de droit.
La nomination des experts par le tribunal plutôt que par les parties au
litige.
Or, cette approche est
inconcevable dans un système de droit contradictoire, ou accusatoire en matière
pénale, système dans lequel chaque partie est maîtresse de sa propre preuve.
Dans un système
inquisitoire, qui n’est pas le nôtre et ne l’a jamais été, le juge tient un
rôle prédominant dans la gestion du procès. Pensons au juge d’instruction en France qui,
dans un procès pénal, fait figure d’enquêteur : il instaure le dossier à
charge contre l’accusé, il porte l’accusation, il dirige l’instruction, ce qui
est inconcevable dans notre univers. Dans
notre perspective, ce juge se trouve aussi partie au dossier, et ça choque notre
structure de pensée juridique. C’est
pourtant ce que propose l’Association des médecins psychiatres du Québec, sans
arguments valables pour justifier un tel démantèlement du système.
La procédure contradictoire
sur laquelle notre système est fondé se définit comme une procédure de
confrontation orale et publique entre deux parties devant un juge arbitre. Ce juge arbitre, qui peut être un jury formé
de douze citoyens, se présente au dossier vierge
de toute information, opinion, parti pris. Il entend deux parties opposées
présenter leur preuve, qui inclut des témoins, parfois des témoins d’opinion
qui sont experts dans un domaine précis, et il se fait une idée une fois la preuve
close.
Dans un système
contradictoire, le juge ne prend pas part au débat, il écoute, et décide. Selon qu’on soit en procédure civile ou en procédure criminelle, ce juge devra emprunter
un mode d’analyse différent pour tirer une conclusion définitive. En procédure civile, il soupèse les deux
thèses et détermine laquelle fait le plus pencher la balance; en droit
criminel, il se demande si la partie poursuivante a prouvé hors de tout doute
raisonnable la culpabilité de la personne accusée.
Il est parfois nécessaire de
recourir à des experts pour éclairer le tribunal[1]. Cet expert peut être psychiatre, il peut aussi être expert en bâtiment, ou en écriture.
Il est impensable que, dans
un système juridique contradictoire, ou accusatoire en matière pénale, le juge
participe au débat au point de nommer un expert unique. En fait, il le peut, et il le fait souvent en matière criminelle, mais il est inimaginable de refuser à l'accusé le droit de présenter à son tour une expertise différente si celle qui a été présentée à la demande du tribunal le désavantage. Et si ce juge, pour rééquilibrer, devait nommer deux experts qui
présenteraient deux théories différentes, son implication dans la cause s’en trouverait encore
plus importante : il devrait s’informer de la preuve de manière
approfondie, connaître en détail la théorie des parties et leur stratégie, afin de leur nommer
chacun un expert en mesure de soutenir leur position.
Tout cela n’a ni queue ni
tête, quoi qu’en disent les quelques psychiatres interrogés par Le Devoir.
Parenthèse.
Évidemment, on diabolise au passage le travail
des avocats de la défense. Les avocats magasineraient des témoins, payeraient des témoins.
Veut-on faire croire à la
population que les experts du ministère public ne sont pas payés? Pourrait-on
avoir la décence d’interroger les psychiatres judiciaires afin de savoir s’ils
sont mieux payés quand ils témoignent pour le ministère public ou quand ils témoignent pour un accusé, qu'il soit ou non bénéficiaire de l'aide juridique?
Pourrait-on informer la
population du fait que le –faux– problème existe aussi en ingénierie et
ailleurs. Les experts en balisitque qui
ne sont pas dans le camp de la police ne sont pas faciles à trouver.
On fait avec, grâce à un outil nommé
contre-interrogatoire.
Pourrait-on dire à la
population qu’il existe des psychiatres qui, années après années, témoignent
uniquement pour la partie qui accuse, c’est-à-dire l’État, et selon lesquels,
étonnement, l’accusé se porte toujours à ravir.
Sont-ils plus crédibles parce qu’ils sont choisis, et payés, par le
ministère public qui n’aura pas eu besoin de les «magasiner», sachant à l'avance que leur opinion servira leur cause.
Pourrait-on aussi souligner que l'expert du ministère public est toujours suffisamment rémunéré pour assister à tout le procès, alors que très rares sont les causes où la défense a les moyens de payer un expert pour rester assis dans une salle d'audience à prendre tout en note et à ainsi mieux se préparer.
La seule étude
sérieuse que je connaisse sur le sujet a été réalisée par un chercheur en
criminologie de l'Université de Sherbrooke et elle démontre un un net déséquilibre des
forces en faveur de la poursuite. La nomination de l'expert par le juge
n'aurait rien pour rassurer le justiciable poursuivi
par la machine étatique. [1]
Fin de la parenthèse.
La Docteure Igartua, interviewée sur la question, y va d’une prémisse erronée : «il n’y a absolument rien qui
dicte qui peut se prétendre expert de quoi » dit-elle.
C’est faux. Comme quoi il est vrai que des opinions peuvent être erronées. Il y a d’abord le
curriculum vitae, la diplomation, l'expérience, les publications, conférences, recherches, enseignements etc. Avant de
reconnnaitre la qualité d’un expert, on s’assure qu’il en est un. Non, on ne
fait pas témoigner un reconstitutionniste en scène d'accident sur une question qui relève de la pharmacologie, pas plus qu’on ne fait témoigner un pédopsychiatre sur la
sexualité des personnes âgées. Cela dit,
la Dre. Igartua n’explique pas où le
juge qui nommerait l’expert trouverait de meilleurs outils que ceux qu’on possède actuellement
pour décider de la qualité d’expert d’un témoin. CV, diplôme, expérience, publication,
conférence, recherche, enseignement. Sinon, que propose la Dre.
Igartua? Elle ne le dit pas.
Ce que les justiciables
doivent surtout savoir à ce sujet, c’est que lorsqu’un expert est autorisé à déposer un rapport devant le tribunal et à rendre témoignage, en droit criminel, il
y a eu d’abord un consensus de la part des deux parties sur la «qualité d’expert»
de ce témoin. On aura reconnu, de part et d’autre,
son expertise. En cas de désaccord, on
aura tenu ce qu’on appelle un voir-dire, procédure incidente, lors duquel voir-dire
l’expertise du témoin aura été testée, questionnée, contestée, et le juge aura
décidé s’il admet cette personne comme experte autorisée, par conséquent, à
renseigner le tribunal sur son art ou sa science, et à lui donner une opinion.
Vrai qu'il ne s’agit que d’une opinion,
et c'est toujours le juge décide en bout de ligne. Dans un système
contradictoire, qu’on fasse appel à des experts en psychiatrie, en ingénierie,
en art, en criminologie, en dentisterie, en graphologie, en balistique, le juge
aura eu l’occasion d’entendre deux théories différentes, parfois très opposées,
parfois moins. Et il décide. C’est
ainsi. Si on veut qu’une seule thèse
soit présentée au juge, aussi bien lui permettre de rendre sa décision sans
procès.
Deuxième parenthèse.
Est-ce que les experts en psychiatrie sont
neutres? Non, ils ont une opinion clinique sur la personne qu’ils ont
évaluée. Rares sont les sciences
exactes, et les opinions peuvent varier dans tous les domaines. Même en urologie. Des psychiatres peuvent être plus interventionnistes, d’autres moins. Des
psychiatres peuvent avoir plus tendance à médicamenter, d’autres moins. Je
lisais à l’instant trois décisions judiciaires du Tribunal administratif du
Québec dans lesquelles la Dre. Igartua a agi comme experte et recommandé la
garde en établissement. Si, dans une
demande de garde en établissement contre le gré du bénéficiaire un psychiatre
recommande l’internement, il faut, dans un état de droit, que l’individu
concerné puisse soumettre au tribunal une opinion psychiatrique opposée,
si cette opinion est soutenable, évidemment. Deux opinions opposées peuvent se fonder sur
des données et des études différentes, et les deux doivent être soumise au tribunal qui décidera laquelle le convainc le plsu fermement
On appelle aussi ça l’équité.
Fin de la deuxième parenthèse.
On nous dira que lorsque le
juge des faits s’incarne en douze citoyens, ces gens ne sont pas habilités à
comprendre ce que les experts leur disent.
Là encore, on tente de remettre en cause un système de droit qui fonctionne
depuis la nuit des temps. Et qui ne
fonctionne pas si mal.
Pour défendre cette
approche de l’expert nommé par la Cour, on s'appuie souvent sur cette histoire en Ontario d'un pathologiste pédiatrique, le Dr. Charles Smith qui, pendant des années, a joué les pathologistes judiciaires et produit des rapports d'autopsie erronés ayant mené à la condamnation de treize innocents et à la mise en accusation de sept autres.
Étrange argument pour défendre l'approche de l'expert unique en donnant l'exemple le plus patent des risques inhérent à cette approche. Imaginons que cet expert soit l’expert unique nommé par le tribunal et qu'aucun
collègue ne puisse venir à la barre pour contredire ses prétentions.
Troisième parenthèse.
Imaginons que dans la cause de Robinson contre
Cinar, le tribunal ait choisi lui-même l’expert ou les experts. Imaginons que Claude Robinson n’ait pas eu
le droit, car c’est bien de ça dont il s’agit, de droit, de «dénicher» un
expert pour soutenir sa théorie du plagiat.
Fin de la troisième parenthèse.
J’ai sous les yeux un
rapport d’expert en psychiatrie déposé dans une cause de meurtre qui conclut par
un titre aussi révélateur qu’ironique: «opinion juridique». J’inviterais l’Association des médecins
psychiatres du Québec et le Collège des médecins du Québec à laisser le droit aux juristes.
[1] Parfois, pas toujours. La Cour suprême a fait le tour de la question de l’expertise légale et, incidemment, de sa nécessité ou de son inutilité dans l’arrêt D.D. [2000] 2 R.C.S. 275
[2] Robert POIRIER, «Le déséquilibre des forces entre la défense et la poursuite en matière de ressources scientifiques», 1999 30 R.D.U.S. 158.
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