Il m’apparaît opportun, avec tout ce qui se lit et se vit ces semaines-ci au Québec, de donner un petit cours d’attroupement 101.
La Charte canadienne des droits et libertés protège la liberté d’association ainsi que la liberté de conscience, d’opinion et d’expression*.
Dans cette optique, la manifestation, en tant que rassemblement d’opinion et d’expression, est légale. Ce qui est illégal, c’est la forme que peut prendre la manifestation, ce qu’elle peut devenir.
Attroupement et émeute
Ainsi, le Code criminel prévoit les infractions d’attroupement illégal et d’émeute. Ces deux crimes, c’est l’œuf et la poule: L’attroupement illégal est un regroupement de trois personnes ou plus qui, par leur attitude tumultueuse, font craindre l’émeute et l’émeute, c’est un attroupement illégal qui a commencé à troubler la paix tumultueusement.
L’attroupement illégal est poursuivi par voie sommaire seulement et donc punissable d'un maximum de 2000$ d'amende et six mois de prison. L’émeutier, pour sa part, ne peut pas recevoir un peine supérieure à 2 ans de prison.
Tout ça pour dire que ce n’est jamais la manifestation qui est illégale, contrairement à ce qu’on a pu entendre aux infos cette semaine : c’est l’émeute qu’elle semble devenir, ou qu’elle est devenue.
Méfait
Évidemment, un acte de vandalisme est toujours un méfait, qu’il soit commis pendant une manifestation ou autrement.
Le méfait peut mériter des sanctions très variables selon la gravité des gestes et des conséquences de ceux-ci. Il est clair que d’égratigner une boîte à lettres ne mènera pas le délinquant en prison, alors que le fait de faire exploser un building en ayant mis la vie de dizaines de personne en danger débouchera sans doute sur une période de réclusion.
Déguisement
Le droit canadien prohibe aussi le déguisement dans un dessein criminel. C’est l’article 351 (2) du Code. Ce qui ne veut pas dire que quiconque manifeste masqué commet un acte criminel. On pourrait imaginer le jeune qui se voile le visage non pas en vue de commettre un crime mais simplement dans le but de ne pas se retrouver «fiché» dans les dossiers policiers. On peut aussi imaginer un citoyen qui porte en guise de masque le visage d’un politicien. On peut encore imaginer une manifestation de femmes portant la burqa…
Évidemment, et plus réalistement, un individu cagoulé lors d’une manifestation ne donnera pas beaucoup de mal à la Couronne lorsqu’elle devra faire sa preuve du dessein criminel s’il a par ailleurs commis des actes de vandalisme. Mais ce n’est pas un motif pour criminaliser toute forme de déguisement au cours d’une manifestation.
Porter un déguisement lors d'une manifestation ne peut pas, et ne doit pas, être assimilé au fait d'entrer dans une banque avec un bas de nylon sur la tête. Le masque peut être une forme d'expression. Et si des accusations sont portées, ce sera au juge d'en décider.
Et encore…
Les autres accusations criminelles qui sont souvent portées dans la foulées de manifestations où des locaux sont occupés sont celles d’introduction par effraction, de prise de possession d’un lieu par la force et d’avoir empêché la jouissance. Des accusations de complot en vue de commettre tous ces actes criminels sont très souvent portés aussi. Malheureusement, dans des dossiers de manifestions, les participants se retrouvent aussi parfois accusés de voies de fait.
Enfin, le bris d’engagement
Les militants sont des récidivistes. Ils sont arrêtés, accusés, puis arrêtés à nouveau. Ils le seront encore plus depuis la création de l’escouade GAMMA dont j’ai déjà parlé ici.
Au moment de leur remise en liberté pendant les procédures, ils signent un engagement à garder la paix et à avoir une bonne conduite. C'est le plus souvent leurs seules conditions de remise en liberté.
La question qui revient sans arrêt : «Est-ce que je brise mes conditions si je participe à une manifestation?». La réponse est non. En quoi le fait de participer pacifiquement à une manifestation constituerait une mauvaise conduite ou une perturbation de la paix publique?
Encore une fois, la manifestation n'est jamais criminelle.
À lire aussi :
- Sur le site d’Éducaloi : Le droit de manifester
- Pour savoir quoi faire et ne pas faire en cas d’arrestation pendant une manifestation, ce dépliant du Collectif opposé à la brutalité policière : Surprise, on a des droits
- Un argumentaire de la Ligue des droits et libertés contre l’interdiction du port du masque pendant les assemblées publiques : ici.
* La Charte des droits et libertés de la personne du Québec protège aussi ces libertés civiques, mais c'est la Charte canadienne qui régit les rapports entre l'individu et les forces policières.
-Billet aussi publié sur Voir
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