Les mythes et stéréotypes en matière d’agression sexuelle sont des croyances infondées selon lesquels on présume que les femmes, ou qu’un certain type de femmes, sont moins crédibles, moins dignes de foi, moins méritantes.
L’usage aux mythes
et stéréotypes concernant la sexualité des femmes est interdit en droit
criminel canadien.
Si un.e juge y a
recours pour analyser une situation liée à une agression sexuelle, cela
constitue une erreur de droit et l’erreur de droit est plus facilement
révisable en appel.
Une erreur
factuelle, au contraire, devra être grossière, déterminante, catastrophique même, pour qu’une Cour d’appel puisse réformer une décision de première
instance.
La Cour suprême
dans l'arrêt Kruk rendu le 8 mars devait se positionner sur une question qui titille les tribunaux
au Canada depuis quelques années : lorsqu’un.e juge fonde une partie de
son raisonnement sur des hypothèses logiques pour la perception humaine, mais
non fondées scientifiquement, s’agit-il d’une erreur de fait, ou de droit ?
La Cour suprême a
voulu faire la distinction entre, d’une part, les mythes et stéréotypes à l’endroit
des femmes, qui doivent être à tout prix être exclus des analyses des tribunaux
et, d’autre part, des hypothèses que peuvent émettre des juges lorsqu’ils
rendent des décisions, hypothèses qui concernent autant les hommes que les
femmes, les plaignantes et les accusés.
Le premier juge avait exprimé l’idée
que si la plaignante dit avoir ressenti l'insertion d’un pénis dans son vagin,
c’est fort probablement parce qu’il y a eu un pénis dans son vagin. Elle a beau
avoir été saoule, elle a beau être un peu confuse dans son témoignage : «Il
est extrêmement improbable qu’une femme se trompe sur cette sensation ».
Il s’agit d’une hypothèse, logique
certes, mais non appuyée sur un témoignage d’expert en neurologie.
Le juge a déclaré l’accusé coupable
d’agression sexuelle.
La Cour d’appel de la
Colombie-Britannique a cassé cette décision pour le motif que le juge a usé d’un raisonnement
logique mais non fondé. À l’instar des mythes et stéréotypes à l’endroit des
femmes, ce type de raisonnement constitue, pour la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, une erreur de
droit révisable en appel.
La Cour suprême a rétabli la
condamnation. Sous la plume de la juge
Martin, la Cour a rendu une très rigoureuse décision visant à distinguer les
mythes et stéréotypes à l’endroit des femmes des simples hypothèses logiques
mais non fondées que tout humain peut être porté à faire en réfléchissant à des
données qui ne sont pas à sa connaissance propre.
Il s’agit d’une analyse étayée,
complexe qui, de manière grossièrement résumée, explique pourquoi il faut
distinguer les mythes misogynes de simples hypothèses pouvant concerner autant
les femmes que les hommes, autant les victimes que les accusés.
Pourquoi il est essentiel de faire
cette distinction? La juge Martin le dit au paragraphe 46, entre autres parce que « ce
sont les femmes et les enfants qui continuent d’être principalement victimes »
des crimes à caractère sexuel.
Dans une perspective sociojuridique,
la décision de la Cour suprême est une décision féministe.
Il n’y a pas l’ombre d’un soupçon d’indice
que la Cour suprême a voulu invisibiliser les femmes.
Lorsque la juge écrit que l’emploi
du mot femme est « regrettable » dans l’assertion du premier juge,
elle veut simplement s’assurer qu’on ne confonde pas les mythes et stéréotypes avec de
simples raisonnements logiques mais non appuyés par une preuve d’expert.
Le mot « regrettable » (« unfortunate »
dans la version originale) est peut-être un peu fort, mais il faut tout de même
le comprendre dans son contexte : on n’a pas besoin d’expert pour expliquer
à la Cour ce que peut ressentir une personne ayant un vagin lorsqu’on lui introduit
un pénis dans le vagin.
Pourquoi la juge Martin énonce que le mot « femme » peut avoir semé la confusion? Parce que le mot « femme », dans le contexte du jugement de première instance, donnait l’impression que le juge référait à des mythes et stéréotypes concernant la sexualité des femmes, ce qui aurait été une erreur révisable en appel.
C'est tout, c'est vraiment rien que ça.