La Cour suprême a rendu une décision dans l'affaire Hutchinson hier le 7 mars sur
la notion de consentement à une activité sexuelle.
On a eu tendance à commenter la nouvelle comme si c’était
une grande avancée, ou un grand recul, c’est selon. Comme si la Cour suprême venait de changer le
droit en intégrant une notion nouvelle de tromperie, de malhonnêteté, dans le
théorie juridique du consentement sexuel.
Or, la notion de vice de consentement existe depuis
bien longtemps en matière d’agression sexuelle.
Il y a deux manières de ne pas consentir : 1) ne pas consentir et 2) consentir sans
en avoir la capacité ou sans savoir à quoi l'on consent réellement.
Article 265 du Code criminel canadien |
L’exemple le plus frappant qui nous vient de la
jurisprudence est ancien: un homme s’insère dans le lit d’une femme, a une relation sexuelle avec elle de manière en apparence consensuelle alors que la femme
croit que cet homme est son mari. Il y a
un consentement, mais celui-ci est vicié. La femme
n’aurait pas consenti sachant que l’homme n’était pas son mari.
La décision de la Cour suprême n’étonne aucun juriste, d’autant
plus qu’elle portait sur une question bien pointue : Dans le cas d’un condom percé à l’insu de la
principale intéressée, s’agit-il d’une absence de consentement pure et simple,
ou s’agit-il d’un vice de consentement?
C’est la seule question à laquelle devait répondre la
Cour suprême. Aucun juriste ne croyait
que la Cour allait décider qu’il n’y avait pas là une agression
sexuelle, il s’agissait simplement de savoir si l’approche adoptée serait celle
du consentement inexistant, ou du consentement obtenu frauduleusement.
Ça change quoi de savoir s’il y a eu absence de
consentement ou consentement non éclairé si, dans les deux cas, on arrivera à
un verdict de culpabilité pour une agression sexuelle?
Ça change une chose importante : Avec l’approche adoptée par la majorité (et par le juge dissident devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse) on tend à éviter le risque d'une plus grande ingérence de l’État dans le lit des gens.
Ça change une chose importante : Avec l’approche adoptée par la majorité (et par le juge dissident devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse) on tend à éviter le risque d'une plus grande ingérence de l’État dans le lit des gens.
Le droit reconnaît depuis longtemps l’existence de
limites empêchant la société de réaliser complètement cet objectif [la
protection du droit d’une personne à décider elle elle va participer à une
activité sexuelle, et avec qui elle le fera] au moyen de l’instrument grossier que
constitue le droit criminel. En effet,
comme le recours au droit criminel représente l’atteinte la plus grave de l’État
à la liberté des gens et l’immixation la plus sérieuse de celui-ci dans leur
vie, l’État se doit de l’utiliser avec la modération appropriée pour éviter la
surcriminalisation. (Paragraphe 18 de l'arrêt Hutchinson)
Car, suivant cette approche, la relation sexuelle est
une relation sexuelle, sans plus. «L'instrument grossier qu'est le droit criminel» n'a pas à définir toutes les composantes de chaque relation sexuelle pour décider du consentement ou de l'absence net de consentement. Le
Code criminel exige qu’on se demande s’il y a consentement à l’activité
sexuelle, point. On n’a pas à en
connaître tous les tenants et aboutissants pour décider s’il y a eu, oui ou
non, un consentement. C’est uniquement
lorsque une preuve de consentement obtenu frauduleusement émerge qu’on passe à la deuxième étape qui est celle
de se demander si cette supercherie a vicié le consentement. Et cette preuve doit être faite, hors de tout doute raisonnable.
Une fraude s'entend ici d’une tromperie qui cause
un préjudice, ou un risque réel de préjudice, et cela aussi doit être prouvé.
Les juges minoritaires, pour leur part, à l’instar des
juges majoritaires en appel, auraient décidé qu’il n’y a pas de consentement et que
nous n’avons pas besoin de pousser l’analyse jusqu’à l’étape du vice de
consentement parce que, selon eux, la dame n’avait pas consenti à cette
activité sexuelle, à l’activité sexuelle in
question. (Il est intéressant de
noter que cette portion du texte de l’article 273.1(2) du Code criminel, «in
question», n’est présente que dans la version anglaise du Code.)
Cette approche est contraire aux arrêts récent de la
Cour sur la transmission d’ITS, ou sur le risque de transmission d’ITS lorsque la charge virale est élevée et qu'aucun condom n'est utilisé, à l’insu du partenaire. Elle est contraire aussi
à l’état du droit, de manière large, sur les vices de consentement en matière d’abus
sexuel.
Dans le cas de cette femme qui faisait l’amour avec des
condoms sabotés à son insu, il est clair, pour la Cour majoritaire, qu’elle a
consenti à la relation sexuelle. La
preuve à faire est donc plus sérieuse. L’État
doit prouver la fraude, le tromperie, le préjudice ou le risque réel de
préjudice. L’État doit prouver que cette
femme n’aurait pas consenti si elle avait su que les condoms étaient
percés. Et cette preuve a été faite en l'espèce.
Et maintenant, la question que tout le monde pose. Une femme qui, à l’insu de son compagnon, ne
prend pas ses contraceptifs oraux (ou crève les condoms) et qui, toujours à l’insu
et sans l’accord de son compagnon, devient enceinte, pourrait-elle être accusée
d'agression sexuelle? Le droit n’étant
pas une science exacte, tous les juristes ne s’entendent pas là-dessus.
Personnellement, je crois que si l’on suit le
raisonnement de la Cour, oui, elle le pourrait.
Il y a tromperie, et il y a un préjudice clair pour l’homme devenu père sans le vouloir. Il ne s’agit pas d’un
préjudice physique, évidemment, mais la Cour suprême a depuis longtemps décidé
que les lésions peuvent être psychologiques.
Va-t-on pour autant assister à une pléiade de poursuite
criminelles pour des «bébés faits dans le dos» du géniteur, je ne le crois pas, mais ça, c'est juste ma boule de cristal bien peu rigoureuse.