Non, il n'y a pas de justice à deux vitesses au Québec
Je suis en désaccord avec cette idée qui circule actuellement selon laquelle la justice québécoise est une justice de classes.
Même quand il s’agit de textes bien écrits comme celui de ma meûman, je me sens le devoir de réagir, sans vouloir en faire une affaire de famille.
Réglons la question du litige civil de Claude Robinson
Claude Robinson serait, selon la plupart de ceux qui le côtoient, totalement anéanti par l’arrêt de la Cour d’appel qui a réduit la somme à laquelle ses adversaires avaient été condamnés à lui verser en première instance.
Il semblerait que Robinson doive, grosso modo, 3 millions de dollars en frais d’avocates, alors que la Cour d’appel lui aurait versé 2 millions de dollars. Grosso modo. Je n’ai pas étudié les conclusions de la décision , et la facture de ses avocates relève pour l'instant de la rumeur publique.
Ce qui fait de Claude Robinson un perdant, c’est donc la décision de la Cour d’appel de réduire les montants accordés. C’est la décision de la Cour d’appel d’intervenir et de modifier le jugement de première instance. Mais ceci n’a rien à voir avec une justice à deux vitesses, puisque Robinson a, justement, requis les services d’avocates chèrement rémunérées.
Claude Robinson a donc fait défendre ses droits en première vitesse sur une route à péage. S’il existait une justice à deux vitesses, on ne pourrait pas dire que Claude Robinson a subi la justice de la deuxième vitesse.
Être choqué du vol dont il a été victime, évidemment; Être choqué de la décision des juges de la Cour d’appel de revoir à la baisse le montant dû, c'est possible. Mais rien dans tout ça ne s’apparente à une justice de classe.
Encore Guy Turcotte
Guy Turcotte était cardiologue. Il n’est pas impossible que, dans l’ensemble de la preuve considérée, les jurés aient pris en compte sa profession en se disant quelque chose comme « Il soigne les gens, il est aimé et compétent comme médecin, indice supplémentaire qu’il avait perdu la boule ». Possible. On ne le saura jamais. Mais cela n’a rien à voir avec le fait qu’il était riche et avait les moyens de se payer un avocat.
Il a retenu les services de Mes Guy et Pierre Poupart, deux avocats brillants avant d’être des avocats princiers. Je vous l’affirme, vous parlez à travers votre chapeau. Il existe des avocats criminalistes au Québec, et surtout à Montréal, que personne n’aurait les moyens d’embaucher à moins d’être le Éric à Lola. Pierre et Guy Poupart ne font pas partie de cette caste de défenseurs des riches, eux qui n’hésiteraient pas à représenter un individu accusé sur un mandat d’aide juridique s’ils croyaient à sa cause.
Turcotte a donc engagé des avocats, comme quiconque le fait lorsqu’il est poursuivi par l’État. Sans vouloir rien enlever au talent de mes confrères, il aurait pu avoir gain de cause même avec un avocat payé sur la base d’un revenu annuel versé par l’aide juridique.
Il a embauché des experts? Mais évidemment! L’aide juridique aussi paie les frais d'experts lorsque nous en avons besoin. Et les experts entendus au procès Turcotte acceptent aussi de travailler dans un dossier où le client est bénéficiaire de l'aide juridique.
Des pauvres qui gagnent
L'honorable Sophie Bourque |
La juge Sophie Bourque a arrêté les procédures dans une cause de meurtre en 2009. Les accusés étaient cinq jeunes haïtiens qui bénéficiaient de l’aide juridique. La Couronne en a appelé de la décision, ils sont allés en appels sur l’aide juridique, ont perdu, et ils sont attente d’une décision de la Cour suprême sur leur demande d’autorisation d’appel, toujours sur l’aide juridique.
En 2000, la Cour d’appel confirmait que les aveux de Michel Otis, accusé du meurtre de sa belle-fille devaient être exclus. Décision importante puisque sans ces aveux, il ne restait plus de preuve du meurtre. Michel Otis était un individu appartenant à une classe très défavorisée.
Gregory Wooley a été acquitté d’un meurtre au premier degré alors que ses avocates, Mes Cristina Nedelcu et Me Annie Bédard le représentaient sur un mandat d’aide juridique.
Ma consoeur Véronique Courtecuisse vient tout juste de gagner un appel relatif à une extradition hors du pays. Elle représentait son client sur l’aide juridique.
Des riches qui perdent
Maurice Boucher a retenu les services de Me Jacques Larochelle, avocat et mathématicien. S'il est réputé pour posséder cinq cerveaux, jamais on n'a dit de lui qu'il coûtait les yeux de la tête. Maurice Boucher a été condamné.
Parlant du grand Maître Larochelle, il a aussi échoué, en 1990, à faire déclarer Denis Lortie non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux pour sa fusillade au Parlement.
Guy Cloutier avait embauché Sophie Bourque alors qu’elle était encore avocate. Une avocate aussi talentueuse qu’intelligente. Il a plaidé coupable et a été condamné à purger une peine tout ce qu’il y a de plus raisonnable.
Me Nellie Benoît |
Jocelyn Hotte, ex policier de la GRC, était représenté par trois avocates compétentes –Nellie Benoît, Anne-Marie Lanctôt et Johanne St-Gelais, cette dernière ayant été nommée juge depuis- pour son appel à la Cour suprême visant à renverser sa condamnation. Il a perdu.
Même si la décision a été renversée en appel et qu'il a donc finalement été acquitté, Guy Lafleur avait été condamné en première instance après avoir retenu les services de Me Jean-Pierre Rancourt.
Myriam Bédard a perdu sa cause tant en première instance qu'en appel et a été trouvée coupable d’enlèvement d’enfants. La Cour suprême a refusé de l'entendre.
En 2002, Louis-Jacques Olivier, fils d’un riche concessionnaire automobile à Longueuil, a été condamné à une peine de prison en première instance et il a perdu son appel visant à faire réviser sa sentence.
Je pourrais remplir des pages et des pages d’exemples comme ceux-là. Je voudrais quand même terminer en rappelant que madame Andrée Ruffo n'est plus juge pour avoir été déboutée par tous les tribunaux et comités qui ont eu à se pencher sur ses déboires judiciaires.
Il y a certes un problème d’accès à la justice au Québec, et les avocats permanents de l’aide juridique, à l'instar de leurs vis-à-vis de la Couronne, ne sont pas suffisamment bien traités. Même chose pour les avocats de pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique : ils sont traités comme des moins que rien.
Il n’empêche que les accusés sont bien représentés qu’ils soient riches ou pauvres, et qu’il n’y a aucune, mais aucune équation à faire entre le succès d’une cause et les moyens du client.
Si c’était vrai, nous le saurions.