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cesare beccaria, 1764 |
On entend de tout...
Une des pires grossièretés entendue, et ce de manière récurrente : « il va plaider des circonstances atténuantes et se faire acquitter ».
La question des circonstances atténuantes, ou aggravantes, se pose à l’étape de la détermination de la peine, et non à l’étape du procès. La question des circonstances atténuantes, ou aggravantes, n’a donc strictement rien à voir avec la condamnation ou l’acquittement.
Bref survol des étapes du processus judiciaire en matière criminelle
L’arrestation :
La personne est arrêtée, et alors soit elle signe une promesse de comparaître à une date ultérieure, soit elle est détenue jusqu’à sa comparution qui devrait avoir lieu de lendemain, ou le surlendemain. À Montréal, il y a des comparutions de détenus les samedis. En région il n’y en a pas. Une personne arrêtée le vendredi soir, dans le pire des cas, comparaitra donc le lundi.
La comparution :
Amenée à la Cour, la personne comparait pour la première fois devant le juge. On plaide alors non coupable (parce qu’on ne connait pas encore la preuve). On réserve notre choix quant au mode de procès (juge seul, juge et jury). Ce choix sera le plus souvent celui d’un procès devant juge et jury, quitte à ré-opter par la suite pour un procès devant juge seul. S’il s’agit d’une accusation de meurtre (ou de piraterie, de mutinerie, de trahison ou de lèse-majesté!) il n’y a pas de choix : le procès devant juge et jury s’impose, sauf dans de rares circonstances qui exigent le consentement de la poursuite.
L’enquête sur remise en liberté Si l’accusé est détenu, il a le droit de subir une enquête sur remise en liberté dans les trois jours de sa comparution. Lui seul peut renoncer à ce délai. Lorsque les accusations sont lourdes, et les chefs nombreux, ou lorsque la preuve est volumineuse, il est évident que l’avocat aura besoin de plus de temps pour préparer cette étape importante.
L’enquête sur remise en liberté ressemble à un mini procès lors duquel la Couronne explique sa preuve, en faisant témoigner ses principaux témoins, le plus souvent des policiers. Les règles de preuve sont plus souples, et le ouï-dire est permis.
Au Canada, la liberté est la règle,
et la détention provisoire est l’exception.
Pour garder une personne détenue, le juge doit être convaincu que sa détention est nécessaire soit pour assurer sa présence devant la Cour aux prochaines dates, soit pour protéger le public, soit pour ne pas miner la confiance du public envers le système du justice.
C’est donc dire qu’une personne qui n'est pas dangereuse et qui ne risque pas de s’esquiver peut être gardée détenue si le juge estime que sa remise en liberté choquerait le public.
L’enquête préliminaire
Si l’accusation a été prise par acte criminel, plutôt que par voie sommaire (selon les circonstances de l’affaire), l’accusé a droit à une enquête préliminaire.
Cette étape est importante, mais on a malheureusement tendance à remettre en question son existence ces dernières années. Aussi, dans les affaires reliées au gangstérisme, la Couronne dépose de plus en plus souvent ce qu’on appelle un acte d’accusation privilégié qui escamote l’étape de l’enquête préliminaire. De l’avis d’une avocate de la défense, cela ne devrait pas arriver aussi souvent. L’absence d’enquête préliminaire implique un moins grand nombre de règlements avant procès. Ça implique aussi des procès plus longs et plus couteux.
L’enquête préliminaire, c’est vraiment comme un mini-procès qui permet à l’accusé d’évaluer la preuve de la Couronne, d’en mesurer sa force. Elle permet aussi à la Couronne de jauger de la qualité de sa propre preuve.
À la fin de la preuve de la Couronne à l’enquête préliminaire, l’accusé peut passer à l’étape de « l’examen volontaire ». Il fait alors entendre lui-même des témoins, ou il s’applique simplement à contester la citation à procès.
Car c’est là l’enjeu essentiel de l’enquête préliminaire : le juge décide s’il y a une preuve suffisante pour que l’accusé soit cité à procès. Le fardeau est très peu élevé. Une simple preuve sensée permet au juge de citer l’accusé à procès. Le juge peut aussi modifier le chef d’accusation. Par exemple, si la Couronne a porté une accusation de meurtre au premier degré, le juge peut décider, devant une absence totale de preuve de préméditation et de propos délibéré, de plutôt renvoyer l’accusé à procès sur une accusation de meurtre au deuxième degré.
Le procès
-La preuve à charge
À l’étape du procès, c’est le procès! C'est ce qu'on voit dans les films. La Couronne présente sa preuve. Des témoins défilent. Les témoignages sont de la preuve en soi. On parle de preuve testimoniale. Elle dépose aussi, souvent à l’aide du témoin pertinent, des preuves matérielles, expertises etc.
Tous ces éléments de preuve devront avoir été divulgués à l’accusé préalablement. C’est le droit de l’accusé à une défense pleine et entière qui justifie cette nécessaire transparence.
Les témoins de la Couronne sont contre-interrogés par la défense.
-La défense
Lorsque la preuve de la Couronne est close, l’accusé choisit de faire une preuve, ou de ne pas en faire, c’est à dire de présenter une défense ou pas.
Puisque le fardeau de la preuve repose sur les épaules du ministère public, il n’est parfois pas nécessaire de présenter une défense. S’il parait clair que la Couronne n’a pas fait une preuve « hors de tout doute raisonnable », on peut ne pas faire de défense. On plaidera alors que la preuve de la culpabilité n’a pas été faite. L'acquittement est alors possible.
Lorsqu’on choisit de faire une défense, on fait entendre des témoins, ou encore on produit des contre-expertises. On peut aussi faire témoigner l’accusé, qui sera bien sur contre-interrogé par la Couronne. Il faut savoir que jamais la Couronne ne peut mettre en preuve des antécédents judicaires de l’accusé, sauf ci celui-ci témoigne. En le contre-interrogeant sur son casier judiciaire, la Couronne ne peut toutefois pas faire une preuve de mauvaise réputation, ou de propension, ou d’actes similaire, sauf dans ces cas bien précis, après une décision de la Cour.
De nombreux moyens de défense sont offerts à l’accusé : Alibi, contrainte, nécessité, légitime défense, troubles mentaux, provocation, erreur de fait, consentement, automatisme, intoxication volontaire, intoxication involontaire, j’en passe et j’en oublie.
Les moyens de défense ne sont pas des circonstances atténuantes, ce sont des manière de s'opposer à l'accusation portée. Ils impliquent soit que l’acte du crime n’a pas pu être commis, soit que l’élément moral du crime est absent. Les moyens de défense ont des conséquences sur la question de la culpabilité ou de l'innocence, ils peuvent amener un acquittement, ils peuvent diminuer la responsabilité et donc amener une condamnation sur un crime moindre, ils peuvent aussi amener une déclaration de non responsabilité pour cause de troubles mentaux.
C’est à la fin du procès que l’accusé sera déclaré coupable, ou acquitté.
Rappelons-nous qu’à toutes les étapes du processus, l’accusé peut lui-même plaider coupable à l’accusation telle que porter, ou à une accusation moins grave, en fonction d’une entente intervenue entre lui et le ministère public.
La détermination de la peine
Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
Article 718 du Code criminel canadien
Nous y voilà! C’est à cette étape que le juge (ou les avocats qui essaient de s’entendre sur une sentence à proposer conjointement au juge) considérera les facteurs atténuants, et les facteurs aggravants.
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François Dadour, avocat |
La détermination de la peine, que j'ai du mal à qualifier d'art ou de science, est un exercice à la fois mathématique, et humain. À la fois objectif, et subjectif.
C'est que la sentence doit seoir comme un gant au condamné, tout en respectant des principes généraux plus objectifs. Tout doit être pris en considération, comme la jurisprudence en semblable matière, la gravité intrinsèque du crime, mais aussi des facteurs plus subjectifs comme le jeune âge de l’accusé (ou au contraire son âge avancé), ses remords, les répercussions qu'il a subi par le seul fait des procédures judiciaire, son plaidoyer de culpabilité, ses obligations familiales, ses antécédents judiciaires, les conséquences sur la victime, l’âge des victimes, le niveau de violence lors de la commission du crime, les chances de réhabilitation etc. Il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte pour décider de la peine à imposer, que ces facteurs soient aggravants ou atténuants.
Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :
a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant :
(i) que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle,
(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son époux ou conjoint de fait,
(ii.1) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans,
(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard,
(iv) que l’infraction a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle;
(v) que l’infraction perpétrée par le délinquant est une infraction de terrorisme;
b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;
c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives;
d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;
e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.
Article 718.2 du Code criminel canadien
Tout comme à l'étape du procès, on peut faire entendre des témoins "sur sentence". Souvent, un rapport pré-sentenciel aura été confectionné à la demande de la Cour, le plus souvent par un criminologue. Ce rapport pourra aider le juge à voir plus clair quant au type de délinquant à qui il a afffaire.
Il en va de la liberté de l'individu, bien souvent.