Et voilà qu’une autre déclaration de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux dans une affaire affreuse de meurtres d’enfants vient secouer le Québec, avec tout ce que ça entraîne comme propos confus et tordus sur les médias sociaux comme à la une d'un certain média traditionnel...
On confond tout, et on tord la réalité.
Premier délire : Un autre acquittement !
Il ne s’agit pas d’un acquittement. La personne est déclarée non responsable de ses gestes, et son dossier est déféré à la Commission d’examen sur les troubles mentaux qui, assurément dans un cas de meurtre, enverra la personne en garde fermée à l’hôpital psychiatrique pour une période indéterminée.
Un période «indéterminée», évidemment, c’est n’est pas une période «infinie». Dans la mesure où la personne guérira, évidemment, son cas sera réévalué. Comment pourrait-on vouloir que ce soit autrement?
Deuxième délire : Encore un autre!
Il faut retenir d’abord que c’est rare. Rare qu’un individu qui a tué reçoive un verdict de non responsabilité criminelle. La preuve, on n’a que Turcotte en tête, on ne se souvient d’aucun autre cas.
Il faut ensuite comprendre que dans le cas du triple meurtre de St-Romain, c’est la poursuite, l’État, qui a suggéré au juge, conjointement avec la défense évidemment, ce verdict de non responsabilité criminelle. Quand la poursuite arrive au constat que la personne n’était pas en mesure de distinguer le bien du mal au moment du geste posé, ou encore qu’elle était incapable de juger de la nature de ses actes, c’est qu’elle a été éclairée de nombreuses opinions d’experts psychiatres qui ont diagnostiqué un trouble sérieux.
Troisième délire : Les psychiatres sont payés pour dire ce que veut la défense.
D’abord, c’est faux. Il nous arrive souvent, en défense, de faire évaluer un client en croyant qu’il a un grain, alors que le rapport psychiatrique nous revient sans soutenir notre impression initiale. Ensuite, ici, dans le cas des meurtres de St-Romain, ce sont les psychiatres de la Poursuite qui ont conclu que l’accusé était malade. Ils n’avaient certainement pas de commandes en ce sens.
De toute manière, nous ne commandons rien aux psychiatres légistes, nous leur demandons une opinion. Quand tous les experts s’entendent pour dire que la personne ne savait pas ce qu’elle faisait, ou ne distinguait pas le bien du mal, la Couronne n’ira pas faire un procès inutilement. Elle connaît d’ores et déjà le verdict.
Quand bien même ce serait le juge qui nommerait les experts, il faudrait que plusieurs opinions soient données sans quoi le procès serait injuste, la psychiatrie n’étant pas une science exacte, et le rôle de décider de la culpabilité n’étant pas celui de psychiatre: c’est le rôle du juge des faits (C'est-à-dire le juge ou le jury).
En aparté, je tiens à souligner que les psychiatres de la Couronne sont drôlement mieux payés que les psychiatres de la défense le sont. Par exemple, les experts de la Couronne (pas seulement les experts en médecine) ont presque toujours des honoraires pour assister à l’entièreté du procès. Jamais nous n’avons ces moyens en défense.
Quatrième délire : Il va sortir dans un an
Mais voyons! Un individu schizophrène qui a commis un triple meurtre sur une commande divine ne sortira pas dans 1 an. Oubliez ça.
Cinquième délire : Sa place est en prison.
Il y a là un double délire. Car ces gens qui réclament la prison pour les malades mentaux sont aussi ceux qui considèrent les prisons comme des clubs Med. Il faut se brancher. Pourquoi vouloir, dans un esprit de vengeance, faire séjourner un malade mental qu’on veut punir dans un club Med?
Ensuite, il est clair que la place d’un malade mental n’est pas en prison. Sa place est à l’hôpital psychiatrique. Il en va de même pour le malade qui a commis un crime grave. Les agents des services correctionnels ne sont pas psychiatres, ils ne peuvent pas gérer la maladie mentale. Les détenus encore moins. Comment peut-on vouloir placer une personne schizophrène dans la même cellule qu’un condamné sain d’esprit.
Sixième délire : Il faut durcir le Code criminel
Le Code criminel,
à l’article 16, prévoit qu’une personne est non criminellement responsable si preuve est faite que 1) elle ne faisait pas la distinction entre le bien et le mal au moment du crime ou 2) elle était incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes au moment du crime. J’en ai déjà parlé
ici.
C’est le psychiatre, ou le neuropsychologue en cas de déficience intellectuelle, qui vient éclairer le tribunal sur la condition de l’accusé quant à l’un de ces deux critères. Il n’y a aucune ouverture à un autre motif de non responsabilité criminelle.
La dépression, le trouble de la personnalité, l’anxiété, ne donnent pas ouverture à une défense de non responsabilité pour cause de troubles mentaux, sauf si, évidemment, l’un ou l’autre de ces troubles aura plongé le malade dans un épisode psychotique. Et avant qu'on ne reparle de Magnotta, ou de Bain: Non, le psychopathe, ou le sociopathe, ne sont pas en soi des malades mentaux au sens du droit criminel.
Enfin, un diagnostique de troubles schizophréniques, ou de psychose, n'emporte pas nécessairement une déclaration de non responsabilité criminelle. Encore une fois, il faut que l'un ou l'autre des critères du Code criminel soit rencontré. Il n'est pas rare que des psychiatres, témoignant à la Cour, diagnostiquent
a posteriori un épisode psychotique sans que le juge ne considère que cette psychose ait empêché l'accusé de savoir que le geste qu'il posait était mauvais. L'exemple le plus récent qui me vient en tête est
cette triste affaire du meurtre d'un sans-abri.
Septième délire: Il feint la folie
Est-ce que les gens croient sérieusement qu'un individu sain d'esprit peut feindre un délire psychotique devant une batterie de psychiatres, que les psychiatres ne savent pas cerner le théâtre, et que les juges et les jurés se laissent ensuite berner à leur tour par des faux fous? Un peu de sérieux...
Huitième délire : Il faut juger l’acte et non l’état d’esprit.
Ce serait une abomination. Le droit criminel, la responsabilité pénale, repose sur l’intention mauvaise et il ne pourrait pas en être autrement sans qu’on se retrouve dans un système de justice quasi animal. Pour être condamné, un accusé devait avoir l’intention coupable de commettre le crime. C’est la base.
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J’entendais ce matin le sénateur Boisvenu dire que le Québec est champion des déclarations de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux au pays. En fait, je l’ai entendu souvent marteler cette phrase sensationnelle. Or, jamais il n’a mentionné ses sources.
Je n’ai pas fait de recherche moi-même, mais je serais bien étonnée que, dans le reste du Canada, les juges et les jurés soient plus enclins à condamner, et à envoyer en prison, une personne qui n’avait aucunement conscience de ses gestes en commettant le pire. Parce que ce serait barbare, et rien dans la jurisprudence pan canadienne n’indique que la justice est plus barbare là-bas qu’au Québec.
Chaque fois que j'ai cherché de la jurisprudence au Canada en matière de troubles mentaux, je n'ai jamais perçu un germe de distinction à faire.
On ne peut tout simplement pas, dans une société civilisée, condamner quelqu'un qui n'a eu aucune conscience des gestes posés, qui était une autre personne au moment de les commettre, ou encore qui a la certitude d'avoir reçu la commande de Dieu pour commettre ce qu'il jugeait à tort être le Bien.
Et on ne peut pas revenir, ad vitam æternam, sur le cas de Guy Turcotte. J'ai déjà dit
ici ce que j'en pensais et mon opinion n'a pas changé. Qu'il demande maintenant de sortir de Pinel me choque évidemment. S'il est guéri, qu'il prenne son trou et cuve sa peine... S'il en a. Mais c'est une toute autre histoire et ça ne nous autorise pas à cracher sur le verdict de onze de nos concitoyens.