samedi 10 septembre 2016

La négligence criminelle

-Petit billet pédagogique-

On a beaucoup parlé de négligence criminelle dans les médias ces dernières années.

-Une jeune femme avait laissé son bébé dans son siège d'auto par terre avec deux huskies;

-Une jeune femme avait stoppé sa voiture sur l'autoroute 30 dans la voie de gauche pour sauver une famille de canards;


Et plus récemment, 

-Un serveur a servi du saumon a un client allergique;

-Un père, puis une autre, et encore un autre, ont oublié leur bébé dans la voiture;




La négligence criminelle… C'est criminel! (Qu'on se le dise…). C'est un crime, c'est une infraction criminelle codifiée qui amène un casier judiciaire en cas de culpabilité et parfois même une peine de prison.

Pour être criminelle, la négligence doit résulter en des blessures ou la mort. On dit «négligence criminelle causant des lésions» ou «négligence criminelle causant la mort».

Un comportement négligent qui n'emporte pas de conséquences ne relève pas du droit criminel. À titre d'exemple, des parents qui laissent seul leur bébé pendant des heures pour aller boire un verre, s'il n'arrive rien au bébé, verront sans doute la Direction de la protection de la jeunesse débarquer chez-eux mais le droit criminel n'interviendra pas.

La négligence criminelle n'est pas une faute civile. C'est un crime. La personne accusée doit avoir eu une intention mauvaise, criminelle.

Ne pas faire réparer une marche de son balcon et voir le facteur se blesser dans le trou pourrait être une faute civile. C'est-à-dire que c'est le facteur qui, pour être dédommagé, devrait poursuivre le propriétaire du balcon pourri. On appelle ça une poursuite civile. Elle oppose deux individus, dont l'un appellera sa compagnie d'assurance.

Si toutefois le balcon pourri du propriétaire se trouve au 23 e étage, qu'il est placé devant une porte patio non verrouillée et que quelqu'un visitant l'appartement ouvre la porte et se tue, on pourra sans doute commencer à parler d'un comportement négligent au point de constituer un acte criminel.

Pourquoi? Parce que pour revêtir les éléments de l'infraction de négligence criminelle, le comportement doit être vraiment déréglé. L'intention criminelle, en matière de négligence, c'est une insouciance déréglée qui représente un écart marqué eu égard au comportement qu'aurait pu avoir une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

La négligence criminelle n'est pas une erreur, ni un accident.  C'est un comportement téméraire à un point tel qu'on est convaincu que jamais une personne raisonnable aurait pu agir de la sorte. Et devant une cas de négligence criminelle, c'est l'État qui accuse. Le droit criminel oppose un individu à l'État. 

Ça peut sembler subjectif cette histoire de personne raisonnable, mais l'idée est justement de tendre vers une certaine objectivité.  Les juges et les jurés ne doivent pas se demander comment eux-mêmes auraient agi - car tout le monde a tendance à se penser ben bon- mais se demander si, placée dans les mêmes circonstances, une personne raisonnable aurait pu agir de la même façon.

Je ne laisserais jamais un bébé en présence d'aucun chien. Mais ce n'est pas du tout la question que le droit criminel se pose. Il se demande si une personne raisonnable placée dans la même situation (jeune, pas scolarisée, éduquée avec des chiens de manière un brin nonchalante….) aurait pu agir de la même manière. Il faut que cette analyse mène à l'unique conclusion que la personne a fait preuve d'une insouciance telle qu'on peut parler d'un comportement désaxé.


Il est vrai qui tout ça demeure une peu flou, un peu complexe.  D'ailleurs, parlant de la négligence criminelle, le juge Sopinka de la Cour suprême écrivait en 1990 que «ce domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de common law, s’est révélé l’un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel»[1]

Il reste que comme citoyenne et comme citoyen, comme justiciables , il faudrait au moins démêler une faute civile d'un acte criminel; une négligence parentale d'un acte criminel; l'erreur d'un serveur d'une faute civile ou d'un crime; un accident d'un faute civile ou d'un crime.


Une erreur, un accident, c'est certes intéressant en psychologie, en sociologie, et on doit se poser plein de questions sur les pères -et parfois les mères- qui oublient leurs bébés dans la voiture, mais ça ne relève pas du droit criminel quand il ne s'agit que d'erreur ou d'accident.

Le droit criminel vise à prévenir et prohiber des comportements mauvais. Malum in se, ou malum prohibitum, mais mauvais quand même.