vendredi 27 avril 2012

Manifestation illégale n'est pas un énoncé performatif

-Ce Billet a été publié sur mon blogue du VOIR le 27 avril 2012.  Depuis l'entrée en vigueur de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l'enseignement dispensé par les établissements de niveau  postsecondaires qu'ils fréquentent, communément appelée la Loi 78, il est évident que désormais, et pour une année encore, la manifestation dans sa forme la plus commune, c'est à dire spontanée, est devenue illégale au Québec-


«Manifestation illégale» n’est pas un énoncé performatif.

Dit autrement, que les policiers déclarent une manifestation illégale ne veut pas dire que la manifestation est illégale, et encore moins que les participants sont en train de commettre un acte illégal du seul fait de leur présence.

«Manifestation illégale» n’est même pas un concept juridique.

Dit autrement,  que les policiers déclarent une manifestation illégale signifie seulement qu’à partir de cet instant, ils s’arrogent le droit de la disséminer, de la museler, de la casser.  Ils s'arrogent aussi le droit, comme on l'a vu à quelques reprises ces dernières semaines, de charger sur les manifestants, et d’en arrêter certains, pour des motifs toujours inconnus du public à ce jour puisqu’aucune dénonciation n’a été déposée, sauf pour des bris d'engagement.


Photo: Patrick Sanfaçon, La Presse

Le Code criminel comprend deux infractions qui s'apparentent à cette idée de «manifestation illégale» : L’attroupement illégal et l’émeute.

L’attroupement illégal est le rassemblement de trois personnes ou plus qui s’assemblent de manière à faire craindre, pour des motifs raisonnables, dans l’environnement en cause, qu’ils ne troublent la paix tumultueusement[1].

L’émeute est un attroupement illégal qui ne fait plus que craindre :  il a véritablement commencé à troubler la paix[2].

Notons la notion d’objectivité, de raisonnabilité.  «Faire craindre, pour des motifs raisonnables».  Il faut donc se placer, et c’est ce que le tribunal ferait au cours d’un procès pour attroupement illégal, dans la peau de la personne raisonnable.  A-t-elle eu raison de craindre?

In petto:   je doute que de déplacer un cône orange serait considéré, par un tribunal,
comme un comportement effrayant pour le voisinage.

Notons aussi que, comme dans toute procédure pénale, c’est à la poursuite qu’appartient le fardeau de prouver les éléments constitutifs de l’infraction (qui sont ici donnés dans la définition) et de prouver l’intention de la personne accusée.  Évidemment, l'intention peut se déduire des faits et des gestes.

Car l'attroupement illégal et l'émeute sont des infractions au Code criminel, des crimes.  Ce ne sont pas des stationnements interdits :  Il faut prouver la mens rea, c'est à dire l’intention coupable.

Le droit criminel s’adresse aux individus, pas aux groupes.  Personne ne peut être reconnu coupable d’attroupement illégal pour être partie à une manifestation s’il n’est pas complice de ce comportement  tumultueux et effrayant pour le voisinage, encore moins s’il n'en est pas témoin[3].

Dit autrement, le fait de déclarer une «manifestation illégale», concept inexistant en droit, ne permet pas d’arrêter tout le monde.

Il faut garder en tête que ce sera toujours aux tribunaux de décider si l’accusé aura participé à un attroupement illégal.   Le seul énoncé performatif, c'est «je vous déclare coupable».


[1] L’attroupement illégal est une infraction qui peut être poursuivie uniquement par voie sommaire, ce qui implique que la peine maximale est de 5000$ d’amende ou de 6 mois de prison.
[2] L’émeute est un acte criminel punissable d’une peine maximal de 2 ans de prison.
[3] R. c. Lecompte [2000] J.Q. 2452 :  l’arrêt est ici.

mercredi 25 avril 2012

Manifestation, arrestation, comparution. Quoi faire?

Dans la foulée des interceptions policières qui se déroulent quasi quotidiennement au Québec actuellement, et qui se aboutissent tantôt par l'émission de constats d’infraction, tantôt par des arrestations pour des actes criminels présumés , voici quelques lignes sur la façon d'agir avant de réfléchir à un mode de contestation ou à une théorie de défense.

Vous avez certes des droits, mais il y a aussi une procédure qu'on peut difficilement bafouer sans en payer le prix, et se compliquer la vie, lorsque vient le temps de faire valoir ces droits, justement.


Sommation typique pour actes criminels reprochés lors d'une manifestation

Constat d’infraction

Les personnes qui ont reçu un constat d’infraction et qui souhaitent contester ce constat doivent, dans les 30 jours, plaider non coupables à l’infraction reprochée en cochant la case prévue à cet effet sur le document.  Il est inutile de donner des explications, même s’il y un espace pour le faire.

Ces personnes doivent, en outre, poster ce plaidoyer de non culpabilité à l’adresse indiquée, toujours dans les 30 jours.  Elles recevront par la suite une date d’audition date à laquelle elles pourront faire valoir leurs arguments devant la Cour.

Les personnes qui omettent de plaider non coupable dans les 30 jours de l’émission du constat seront condamnées par défaut et il sera alors impératif de payer l’amende en totalité.

Promesse de comparaître

Les personnes qui ont signé, au lieu de leur arrestation, un document intitulé «promesse de comparaître» doivent respecter les conditions auxquelles elles se sont engagées en signant le document, s’il y a lieu, par exemple de ne pas approcher d’un tel édifice ou de ne pas entraver la voie publique.  Ne pas respecter une telle condition peut valoir une seconde accusation pour un «bris d’engagement», ce qui constitue un acte criminel au même titre que l’accusation initiale.

Les personnes qui ont signé une promesse de comparaître doivent se rendre à l’endroit et à la date indiquée sur le document afin de procéder à  leur identification en vertu de la Loi sur l’identification de criminel (Je sais, ça fait mal).  C'est là qu'on les photographie et qu’on procède à leur bertillonnage (empreintes digitales).  Les personnes qui omettent de se présenter au poste de police pour le bertillonnage risquent de voir un mandat d’arrestation émis contre elles et une nouvelle accusation portée, celle ne s’être pas conformé à un ordre.

Les personnes qui ont signé une promesse de comparaître doivent se présenter à la Cour à la date inscrite sur le document, qu’elles soient ou non accompagnées d’un avocat.   Si elles ne sont pas représentées par avocat et qu’elles souhaitent se défendre de l’accusation portées contre elles, elles doivent plaider non coupable au jour de cette comparution.

Sommation

Les personnes qui, à la suite d’une manifestation ou de tout autre événement, reçoivent à la maison un document intitulé «sommation», doivent procéder exactement de la même manière que celles qui ont signé une promesse, tel qu’expliqué plus haut, c’est à dire qu’elles doivent en premier lieu se rendre à l’endroit indiqué pour la prise de photo et d’empreintes digitales.

Les personnes qui reçoivent à la maison un document intitulé «sommation» doivent se présenter à la Cour à la date inscrite sur le document, qu’elles soient ou non accompagnées d’un avocat.   Si elles ne sont pas représentées par avocat et qu’elles souhaitent se défendre de l’accusation portées contre elles, elles doivent plaider non coupable au jour de cette comparution.


Ce qu'il faut retenir, c'est que même si vous avez une explication à fournir, une défense à formuler, une excuse à faire valoir, concernant tout ce qui s'est passé à la manifestation, vous n'aurez pas d'excuses pour ne vous être pas présenté à vos empreintes, ou à la Cour.


(Billet publié sur mon blogue du VOIR  le 25 avril 2012)

mardi 17 avril 2012

Judiciarisation d'un mouvement social

Je déplore la judiciarisation de ce mouvement politique et social de contestation qui prend la forme d’une grève étudiante.  Qu’on parle d’une grève ou d’un boycott, il s’agit du même phénomène :  une cessation d’activités pour revendiquer des droits.

Je déplore que des étudiants, membres d’associations légalement constituées en vertu de la  Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves et d’étudiant, fréquentant des établissements scolaires où des votes de grève ont été tenus démocratiquement, saisissent les tribunaux pour s’assurer que leur individualité ne subisse aucun désagrément.
Je déplore cette pluie d'injonctions.  Qu'elles soient réclamées par des étudiants ou par des institutions universitaires, je déplore.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, document ratifié par le Canada, a élevé le droit de grève au rang des droits sacrés.

La Charte canadienne des droits et libertés, Loi suprême du pays,  protège les droits à la liberté d’opinion, d’expression, d’association et de réunion.

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec, loi provinciale qui a préséance sur toutes les autres, prévoit que toute personne est titulaire du droit à la liberté de conscience, d’opinion, d’association et d’expression.

C’est toujours en prenant assise dans ces textes fondamentaux que les tribunaux ont reconnu la légalité de grèves ou de moyens de pression exercés légalement.

L’exercice légal d’un droit, c’est de ne pas agir illégalement.  Or, le droit de grève des étudiants n’est encadré, n’est régi, par aucune loi, contrairement au droit de grève des travailleurs.  Il est juridiquement faux de prétendre que le droit de grève des étudiants n’existe pas.

Le Code du travail ne s’applique pas aux étudiants.

Je déplore que les professeurs et les chargés de cours se retrouvent actuellement dans des situations où ils risquent des poursuites pour outrage au tribunal s’ils décident de ne pas se faire briseurs de grève.
Je déplore.

L’association des juristes progressistes s’affaire actuellement à la rédaction d’une déclaration de principe pour dénoncer la judiciarisation de cette grève étudiante.

Je signerai.

(Billet publié le 17 avril 2012 sur Voir)

samedi 14 avril 2012

Arrestation et détention de journalistes

Arrestation, détention, fouille et saisie :
Martin Chamberland et Philippe Teisceira-Lessard dans le tordeur

Billet publié également sur mon blogue du VOIR


photo: Marco Campanozzi, La Presse
Le Code criminel et la Charte canadienne encadrent les pouvoirs policiers en matière d’arrestation, de détention, de fouille et de saisie.

Habituellement, pour procéder à ces actes, le policier a besoin d’être muni d’un mandat[1], mais il y a des exceptions.  Des exceptions qui, selon moi et pour ce que nous en savons jusqu'à maintenant, n'incluent pas l'arrestation, la détention, la fouille et la saisie du matériel des journalistes ce matin.

Arrestation


Puisqu'il y a des exceptions, une arrestation sans mandat est possible, mais ne doit jamais être arbitraire.  Sinon c’est L’État policier.  Pour arrêter une personne sans mandat, le policier doit avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction est commise, ou encore qu’une infraction vient d’être commise et qu’il y a risque de destruction de la preuve si on attend l'émission d'un mandat, ou enfin qu’une infraction va être commise à l’instant.  Les infractions en cause doivent évidemment concerner cette personne, et non pas les voisins.

En cas d’arrestation, la personne a le droit fondamental d’être informée sans délai des motifs de son arrestation.  Même chose pour la détention[2].

Détention

La personne détenue, en gros, est la personne qui sent qu’elle ne peut pas quitter les lieux comme bon lui semble.  Mais pour plus de détails sur le vaste éventail de situations qui peuvent constituer une détention, il faut lire l’arrêt Schmautz de la Cour suprême.

Les policiers n’ont pas le droit, au motif qu'ils mènent une enquête,  de détenir une personne qui n’a pas d’abord été mise formellement en état d’arrestation, sauf s’ils ont un motif précis de le faire.  La jurisprudence a aussi parlé d’une «constellation de soupçons».  Ces soupçons, ou ces motifs précis, doivent viser la personne détenue.  Les policiers doivent disposer de motifs objectifs qui leur donnent lieu de croire que cette personne est impliquée dans une activité criminelle en cours.


Dans Mann[3], la Cour suprême a statué qu’il devait exister un lien clair entre  l’individu qu’on veut détenir et une activité criminelle récente, activité sur laquelle porte une enquête en cours.

On est encore loin de l'arrestation et de la détention de Martin Chamberland et de Philippe Teisceira-Lessard.

Les policiers n’étaient pas au bureau de la ministre Beauchamp en train d’enquêter sur un crime, ils étaient en train de surveiller, de veiller au bon déroulement d’une manifestation qui, je le rappelle, est toujours légale.   Ce sont les gestes illégaux posés lors d'une manifestation qui sont illégaux.  Belle tautologie, à escient.

Je disais plus haut qu’en cas d’arrestation ou de détention, la personne a le droit, sans délai, d’être informée des motifs de son arrestation.

La personne doit aussi être informée de son droit de consulter un avocat dans un délai raisonnable (au poste de police, ça veut dire immédiatement) et les policiers doivent cesser d’interroger cette personne jusqu’à ce qu’elle ait pu exercer ce droit.

Fouille et saisie


La Charte Canadienne protège les personnes contre les fouilles et les saisies abusives.

Sauf en situation d’urgence, le policier doit quasiment toujours être muni d’un mandat valide pour procéder à une fouille, à moins qu’il s’agisse d’une fouille accessoire à une arrestation[4].  Évidemment, pour que cette fouille soit légale, et faut que l’arrestation l’ait été aussi.

Je pense ici à l'appareil photo et au téléphone cellulaire des journalistes

La jurisprudence autorise les policiers à fouiller la personne arrêtée ainsi qu’à saisir ce qu’elle possède pour assurer sa sécurité ou celle du public, pour empêcher l’évasion ou la destruction de preuve, ou pour constituer de la preuve contre cet individu en lien avec l’arrestation effectuée[5].

On ne peut pas, par exemple, prendre la caméra d’un journaliste pour monter un dossier contre des militants.

Si des accusations criminelles étaient portées contre les journalistes, ce qui est peu probable, ils pourraient, lors de leur procès, demander l'arrêt des procédures en raison de l'illégalité du comportement policier, ou encore l'exclusion de la preuve obtenue si l'arrêt des procédures s'avérait être un remède trop draconien dans le contexte.

Puisqu'aucune accusation ne sera vraisemblablement portée,  les journalistes peuvent formuler une plainte au Comité de déontologie policière.

Dans l'éventualité où des copies de leur matériel aurait été faites pour servir contre d'éventuels manifestants ou dans tout autre but oblique, on assisterait véritablement à un scandale étatique.  J'exagère à peine.  La Fédération professionnelle des journalistes et le Conseil de presse devraient alors se mêler sérieusement de l'affaire.  Mais j'ose croire que cette chose ne peut pas exister dans le monde où je vis.


[1] Arrêt Grant, Cour suprême du Canada, 2009
[2] Article 10 de la Charte canadienne
[3] Cour suprême du Canada, 2004.
[4] Arrêt Golden, Cour supreme du Canada, 2001
[5] Arrêt Nolet, Cour suprême du Canada, 2010

jeudi 12 avril 2012

La rédemption

Il y a parfois des causes où l’avocate se dit que les chances de succès sont excellentes.  Et c’est rare.

Quelque part au Québec, dans les années 2000, en début de soirée, un jeune dans la vingtaine conduisait sa voiture avec à son bord ses quatre amis d’enfance.  Ils avaient dansé un peu, ils avaient bu un peu, ils roulaient vite un peu.  Comme toujours quand ils sortaient ensemble, l'un d'eux avait été désigné conducteur.  Celui-là avait donc moins bu que les autres.  Sauf que les résultats de l'alcootest étaient assez clairs à l'effet qu'il avait quand même bu un peu.  Un peu trop.

Un vrai taré s’est retrouvé sur leur chemin.  Ce n’est pas l’avocate qui le dit, ce sont les témoins.  Le vrai taré conduisait avec son genou en papotant au téléphone d’une main et en tripotant son essuie-glace de l’autre main.  Essayer de mimer ça.  Mais pas à 120 km/heure sur une autoroute par contre, vous deviendriez un «danger public», dixit un témoin au procès.

Le vrai taré, donc, a coupé la voie des cinq jeunes qui avaient bu un peu et qui roulaient vite un peu.
Pour l’éviter, ils ont dû se tasser dans la voie d’accotement, puis dans le garde-fou.

Il y a eu deux blessés mineurs, un blessé plutôt gravement, et un décès.  Un décès.  Un ami d’enfance, C..., qui prenait place à l’arrière.

Le jeune conducteur a été arrêté, puis accusé.  Pas le taré: l'autre, celui qui avaient bu un peu et qui roulait vite un peu avec ses amis d'enfance.  Quand on arrête une personne pour un crime, on n'a pas toujours besoin d'en arrêter deux.  On a notre suspect, on a notre accusé, on a notre coupable.

Le jeune conducteur a été accusé de conduite dangereuse et de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles.  Pendant son interrogatoire au poste de police, le téléphone a sonné, et une nouvelle accusation a été portée :  Conduite dangereuse causant la mort. «Ton ami C... vient de mourir».  Son monde s’est écroulé.  En même temps que le monde des parents de C. s’écroulait, le sien se défonçait.  Fils unique, il venait de perdre sa mère unique quelques semaines plus tôt.  Ses amis, c’était sa famille.  Ils sont encore sa famille, pour ceux qui restent.

Il a comparu détenu.  À l’enquête sur remise en liberté pendant les procédures, on a déposé des lettres des parents des victimes, y compris une lettre de la mère de C..., demandant au juge de le libérer.  Ça ne pouvait pas être sa faute.  On l’aime.  «Tout le monde l'aime encore» a témoigné sa blonde en pleurant.  Plus gracieuse que tout, la mère de T…, blessé gravement, écrivait au juge que son fils avait besoin de son ami pour sa réadaptation.  Son ami sera plus utile ici qu’en prison, à aider son ami dans ses traitements, surtout dans une perspective de réhabilitation.  De l'esprit celle-là.

Il est sorti.  Des années ont passé.  Enquête préliminaire, séance de conciliation.  On voulait lui éviter la prison.  Mais les modifications conservatrices au Code criminel étant ce qu’elles sont, et l'interprétation jurisprudentielle qu'on en fait étant ce qu'elle est, ça devenait de plus en plus utopique.

Pour éviter la prison, donc, aucune issue sauf l'acquittement.  Il fallait faire un procès.  De toute manière, la cause était belle. Et c'est rare.  The show must go on.

Au beau milieu d'un procès entamé qui allait bon train, l’accusé, maintenant dans la trentaine, n’allait pas très bien.  Ses avocats se donnaient pour sa défense, mais lui ne se donnait pas.  Au beau milieu d'un procès entamé qui allait bon train, il s’est mis à envisager qu’il allait peut-être gagner.  Il s’est mis à se percevoir non plus en personne accusée, mais en personne acquittée. Son chemin de croix allait peut-être devoir aboutir en une résurrection plutôt qu'en une crucifixion.  Et quoi encore? Allait-il avoir à sortir du palais de justice les bras en l’air et les doigts en V?  Allait-il être forcé de scander sa victoire?

Je ne connaîtrai jamais la teneur de leur conversation, mais il allait si mal devant cette impression de victoire prochaine qu’il a téléphoné aux parents de C...  Il a parlé au père, et à la mère.  Il a aussi parlé à sa blonde et ses tantes.  Il a parlé à son employeur.  Puis il a appelé ses avocats.

Rencontre au sommet.  Car ses avocats ont cru qu'il voulait abdiquer uniquement parce qu'il n'avait pas les moyens de payer les témoins-experts nécessaires pour mener à bien son procès.

Réfléchissant dans un tout autre ordre éthique, les avocats ne pouvaient pas laisser un client s'admettre coupable s'il ne l'est pas pour des motifs strictement financiers.  Réfléchissant dans une dimension purement juridique, les avocats sont parfois complètement à côté de la plaque sur la question de la culpabilité morale.  On peut être non coupable légalement, tout en portant le poids moral d'un sentiment inexorable de culpabilité.

Il a plaidé coupable.  C'était hier.

Il avait besoin de s’infliger une punition.  Il avait besoin, pour sa rédemption, d’aller en prison.  Il avait bu un peu.  Et il roulait vite un peu.  Il ne se le pardonnerait jamais, et un acquittement ne l'aiderait certainement pas dans son cheminement.  C'eût été le pire dénouement, en fait.  Il ne me l'a pas dit en ces mots-là, mais je pense qu'il aurait vécu comme un véritable Judas s'il avait remporté sur la mort de C...
C’est le moment le plus émouvant, et peut-être même égoïstement le plus éprouvant, que j’ai vécu de ma courte carrière d’avocate de la défense.

Il a plaidé coupable.  Avec son français cassé et sa voix mouillée.

Le juge a accepté son plaidoyer de culpabilité et l'a déclaré coupable.  Au sortir de la salle d'audience, je n’ai jamais vu un gars aussi soulagé.  Même quand je lui expliquais quoi emporter et quoi ne pas emporter dans son baluchon pour le pénitencier, il avait des yeux non seulement pleins de gratitude mais pleins de conviction.  La conviction en français, mais aussi la conviction en anglais.  Depuis que je le connais, ce jeune anglophone qui avait choisi de subir un procès en français, c’est la première fois que je le sens convaincu.  Déterminé.  Ferme.  Et convicted.  Convaincu d'être convicted.

C’est vraiment une affaire de rédemption.

Salut mon beau J… ! Si jamais tu décides de demander ta libération au sixième, on sera là.

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Billet publié aussi sur mon Blogue du VOIR.  Commentaires fermés ici, mais ouverts là-bas.  Pour éviter l'éparpillement.


dimanche 1 avril 2012

L'État veut votre ADN


Statistiques Canada mène actuellement une étude sur les mesures de santé.


Notre adresse a été pigée au hasard et j’ai donc dû répondre à des questions assez générales.  À la suite du questionnaire, les deux enfants du «ménage» ont été sélectionnés, toujours au hasard, pour répondre à un questionnaire plus pointu et pour aller faire des examens de santé.  Ces examens de santé sont faits sur une base volontaire, quand même.

Ma fille de 17 ans était bien intéressée par la démarche, curieuse surtout de faire un bilan de santé complet, et de recevoir 100$ en bout de ligne à titre de dédommagement.

Après qu’elle ait rencontré les intervieweuses, elle est revenue à la maison avec un dépliant expliquant en détail les examens qu’elle allait devoir passer, à St-Sauveur, dans une clinique mobile.

C’est à la toute fin de ce dépliant que j’ai lu qu’on allait lui faire signer un formulaire de consentement à donner son ADN.  Sans explication.  Juste comme ça, pour «la recherche en génétique».

J’ai évidemment refusé que ma fille donne son ADN et j’ai effectivement pu constater qu’il y a une case particulière à cocher concernant l’ADN.  Or, dans le cadre de cette étude, les ados de 14 ans et plus peuvent consentir à tout, sans l’accord de leurs parents, y compris au don d’ADN.[1]

Ma fille est allée faire ses examens à la clinique mobile.  Elle y a réitéré son intention ne pas donner son ADN et l’infirmière semble avoir respecté ce choix.

Sauf que je me questionne encore.  Que veut faire notre gouvernement avec notre ADN?

Donner son ADN, c’est pire que d’afficher sur le toit de sa voiture son numéro d’assurance sociale et sa date de naissance.  C’est pire que d’ouvrir un site web pour y inscrire ses numéros de cartes de crédit, incluant le petit nombre à 3 chiffres qui est derrière.

On ne donne pas son ADN, sauf pour des recherches précises, encadrées par des chercheurs sérieux, qui vous expliquent clairement en quoi consiste leur travail, à quoi vous engage votre consentement et à quel moment les échantillons serons détruits.

Mon amie Isabelle Iltis, PH.D., chercheuse à l’Université du Minnesota, m’écrivait ceci :

«Si l'explication qu’on donne aux gens pour prélever leur ADN, c'est la photo que tu as montrée au-dessus, Il y a quelqu’un chez-vous qui n'a pas fait son boulot correctement :

Nous devons dire, par exemple «nous cherchons le gène responsable de la maladie de «Trucmuche», et votre ADN va servir puisque cette maladie est présente dans votre famille»,  ou bien «puisque vous n'avez pas la maladie de Trucmuche dans votre famille, votre ADN va servir de «référence saine» pour identifier les mutations».   Bref, il faut expliquer.   Et expliquer aussi comment sera préservé  l'anonymat de ce précieux ADN, et dans combien de temps, et comment, l’échantillon sera détruit à l’issue de l’étude».   On ne peut pas dire «donnez –nous votre ADN, ca va servir.» Il faut dire à quoi ça va servir.  On n'est pas des boeufs. »

Elle a terminé en m’invitant à lire  La Vie Immortelle d'Henrietta Lacks, roman qui explique semble-t-il tellement bien pourquoi les comités d'éthique scientifique sont si indispensables.

Mon ami David Hughes, philosophe et doctorant en bioéthique à l’Université de Montréal, a tenu sensiblement les mêmes propos.

Évidemment, en droit criminel, la découverte de l’ADN a permis de résoudre de fausses condamnations, et d’éviter des erreurs judiciaires.

Mais d’un autre côté, on laisse son ADN partout.  À la banque, si on prend un numéro, qu’on le tient entre ses lèvres parce qu’on a les mains pleines, et qu’arrivé au comptoir on le laisse tomber dans la corbeille, on vient d’y laisser son ADN.  Si plus tard un vol est commis à cette banque, qu’on récupère l’ADN dans la corbeille, et qu’un recoupement est fait avec notre ADN déjà donné pour «la recherche», il y a un problème.  On risque de vivre quelques soucis inutiles.

C’est un exemple grossier, à dessein.  C’est que je ne suis pas scientifique.

Je souhaiterais vivement que des chercheurs, philosophes, éthiciens, généticiens, prennent l’espace commentaires sous ce billet pour bien expliquer en quoi l’ADN est intime, et en quoi les chercheurs doivent être prudents lorsque vient le temps d’en récolter des échantillons.  Qu’on nous explique aussi quels pourraient être les résultats fâcheux d’une mauvaise procédure.

Mais la règle générale, c'est qu'on ne donne pas son ADN.  Même pas au gouvernement.


[1] En droit des personnes, les jeunes peuvent consentir à des soins requis par leur état de santé sans l’accord d’un adulte.  Je n’ai jamais lu au Code civil, ni dans une quelconque décision, que les jeunes de 14 ans pouvaient participer à des études médicales.  Je ne suis pas civiliste, mais je crois qu’il y a là un problème.  Merci à mes collègues de bien vouloir commenter.

Note:  Les commentaires sont fermés.    Pour commenter, enseigner, expliquer, gueuler, questionner, prière de le faire ici.