-Ce Billet a été publié sur mon blogue du VOIR le 27 avril 2012. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l'enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaires qu'ils fréquentent, communément appelée la Loi 78, il est évident que désormais, et pour une année encore, la manifestation dans sa forme la plus commune, c'est à dire spontanée, est devenue illégale au Québec-
«Manifestation illégale» n’est pas un énoncé performatif.
Dit autrement, que les policiers déclarent une manifestation illégale ne veut pas dire que la manifestation est illégale, et encore moins que les participants sont en train de commettre un acte illégal du seul fait de leur présence.
«Manifestation illégale» n’est même pas un concept juridique.
Dit autrement, que les policiers déclarent une manifestation illégale signifie seulement qu’à partir de cet instant, ils s’arrogent le droit de la disséminer, de la museler, de la casser. Ils s'arrogent aussi le droit, comme on l'a vu à quelques reprises ces dernières semaines, de charger sur les manifestants, et d’en arrêter certains, pour des motifs toujours inconnus du public à ce jour puisqu’aucune dénonciation n’a été déposée, sauf pour des bris d'engagement.
Le Code criminel comprend deux infractions qui s'apparentent à cette idée de «manifestation illégale» : L’attroupement illégal et l’émeute.
L’attroupement illégal est le rassemblement de trois personnes ou plus qui s’assemblent de manière à faire craindre, pour des motifs raisonnables, dans l’environnement en cause, qu’ils ne troublent la paix tumultueusement[1].
L’émeute est un attroupement illégal qui ne fait plus que craindre : il a véritablement commencé à troubler la paix[2].
Notons la notion d’objectivité, de raisonnabilité. «Faire craindre, pour des motifs raisonnables». Il faut donc se placer, et c’est ce que le tribunal ferait au cours d’un procès pour attroupement illégal, dans la peau de la personne raisonnable. A-t-elle eu raison de craindre?
In petto: je doute que de déplacer un cône orange serait considéré, par un tribunal,
comme un comportement effrayant pour le voisinage.
Notons aussi que, comme dans toute procédure pénale, c’est à la poursuite qu’appartient le fardeau de prouver les éléments constitutifs de l’infraction (qui sont ici donnés dans la définition) et de prouver l’intention de la personne accusée. Évidemment, l'intention peut se déduire des faits et des gestes.
Car l'attroupement illégal et l'émeute sont des infractions au Code criminel, des crimes. Ce ne sont pas des stationnements interdits : Il faut prouver la mens rea, c'est à dire l’intention coupable.
Le droit criminel s’adresse aux individus, pas aux groupes. Personne ne peut être reconnu coupable d’attroupement illégal pour être partie à une manifestation s’il n’est pas complice de ce comportement tumultueux et effrayant pour le voisinage, encore moins s’il n'en est pas témoin[3].
Dit autrement, le fait de déclarer une «manifestation illégale», concept inexistant en droit, ne permet pas d’arrêter tout le monde.
Il faut garder en tête que ce sera toujours aux tribunaux de décider si l’accusé aura participé à un attroupement illégal. Le seul énoncé performatif, c'est «je vous déclare coupable».
[1] L’attroupement illégal est une infraction qui peut être poursuivie uniquement par voie sommaire, ce qui implique que la peine maximale est de 5000$ d’amende ou de 6 mois de prison.
[2] L’émeute est un acte criminel punissable d’une peine maximal de 2 ans de prison.