Avant que soit déclenchée la grève des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, les membres de l’Association des avocats de la défense de Montréal ont décidé d’appuyer leurs collègues. Normal, puisqu’il est criant que les procureurs de la Couronne provinciale méritent des conditions de travail et une rétribution à hauteur de l’envergure de leur rôle et de leurs responsabilités.
Il s’agissait tout de même d’un geste d’une singulière solidarité puisque, dans le passé, chaque fois que des avocats de la défense ont réclamé l’octroi d’honoraires majorés eu égard à ceux du tarif usuel d’aide juridique, les procureurs de la Couronne s’y sont opposés avec ferveur, se liguant avec le Procureur général civil pour contrecarrer les requêtes.
Qu’importe. Nous allions rester raisonnables et soutenir nos collègues. Nul besoin de discourir longuement sur la nécessité que les procureurs de la Couronne bénéficient de conditions de travail décentes contre une rémunération digne de leur fonction. Il en est de même, d’ailleurs, pour les avocats permanents de l’aide juridique qui travaillent dans les mêmes conditions que les procureurs aux poursuites criminelles et pénales. Cette position fait consensus sauf, semble-t-il, au sein du gouvernement.
Or, dans la foulée de leurs doléances, les procureurs de la Couronne ont utilisé un procédé démagogique afin de s’assurer du soutien déjà indéfectible de la population : Ils ont décidé de choquer, en comparant leurs piètres émoluments avec ceux d’avocats de la défense qui œuvrent dans des méga procès et qui sont payés à même les deniers publics.
Stratégie douteuse
L’exemple utilisé, évidemment, fut celui du dossier SharQc, le plus populaire actuellement. La journaliste Caroline Touzin de La Presse est la première à avoir rapporté les plaintes des procureurs, sans nuance, sans précision, sans correction. Dimanche soir à l’émission Tout le Monde en parle, à la suite d’une question de Guy A. Lepage, Me Sonia Lebel –par ailleurs fort éloquente et attendrissante- s’est aussi empressée de faire ce rapprochement qu’elle sait incongru.
La stratégie? On expose le montant des honoraires maximum prévus par la Loi et on scande que ce sont les honoraires quotidiens des avocats de la défense, en se gardant bien, d’une part, de rappeler que les avocats de la défense sont des pigistes qui ont des dépenses et, d’autre part, de souligner que les avocats de la défense ne se voient pas verser de tels honoraires sur une base quotidienne ni permanente.
Nous exerçons un métier peu populaire, et nos clients sont d’emblée méprisés par la population. Est-il nécessaire, juste et équitable, d’ajouter l’insulte à l’injure en nous faisant passer pour de richissimes profiteurs? Ne serait-ce qu’en pensant à la sélection prochaine de jurés impartiaux dans SharQc, nos collègues auraient dû faire preuve de bon sens et de retenue. À la guerre comme à la guerre? Mais à quel prix et, surtout, dans quel but?
La réalité
La réalité est celle-ci : Le nouveau Règlement prévoit que, pour la préparation d’un méga procès, les avocats de la défense peuvent facturer un maximum de 250$ par période de travail, une telle période équivalent grosso modo à une demi-journée. Trois périodes maximum peuvent être facturées par jour, ce qui revient à 750$ par jour de préparation du procès. Ceci n’est bien sur pas éternel. L’avocat a droit à un maximum de 3 périodes de travail pour chaque jour de procès prévu. Autrement dit, si cinq jours de procès ont été prévus, l’avocat a droit de réclamer des honoraires de préparation pour 15 périodes travaillées, à raison de 250$ par période.
Ensuite, la Règlement prévoit que les avocats reçoivent, pendant un procès devant jury dans une cause de meurtre, un maximum de 400$ par période d’audition, à quoi peut s’ajouter une période de préparation de 250$. Lorsque la Cour siège, donc, l’avocat peut facturer un maximum de 1050$ par jour. Faut-il préciser que ces heures, tout comme les heures de préparation, doivent avoir été travaillées, que les comptes fournis doivent être détaillés (au point de mettre en péril le secret professionnel), qu’ils sont scrutés à la loupe et bien souvent amputés arbitrairement par des techniciens de la Commission des services juridiques. Le discours laisse pourtant entendre que les avocats reçoivent un chèque en blanc.
Enfin, faut-il souligner que tous les avocats présents au dossier SharQc ne sont pas rémunérés par l’État mais par leur client.
Alors pourquoi ces grands cris populaires?
Un consultant qui charge 150$ l’heure et qui travaille 7 heures par jour ne gagne-t-il pas 1050$ par jour? Un plombier qui travaille hors des heures ouvrables ne facture-t-il pas 100$ l’heure?
Pendant qu’ils se consacrent au dossier SharQc, les avocats de pratique privée négligent, se privent, ou perdent carrément leur clientèle habituelle. Ils ont un bureau à louer, ils ont des salaires à verser, du moins celui de la secrétaire, celui de la réceptionniste et celui du service d’appels 24 heures. À ces frais fixes imposants s’ajoutent des dépenses quasi quotidienne bien qu’aléatoires: huissiers, repiquage de CD d’audition, sténographes, photocopies, rapports d’experts, confection de mémoires d’appel, livres, recherches, frais de déplacement vers les différents centres de détention, j’en oublie et j’en passe.
Moins faciles à calculer, les avantages sociaux des avocats salariés de l’État que n’ont pas les avocats de la défense : Congés, vacances, assurances, fonds de retraite; cotisation professionnelle, livres et toge payés par l’employeur etc.
Non, les avocats de la défense dans SharQc ne gagnent pas 1050$ net par jour, 5 jours sur 7, 50 semaines par année. Cette proposition est aussi fausse que tendancieuse. Aussi est-il tout à fait inadéquat de retenir ce montant pour le juxtaposer au salaire –fixe et garanti- de 300$ ou 400$ quotidien des procureurs de la Couronne.
Le but de rétablir les chiffres n’est pas de nuire aux collègues de la Couronne, mais simplement de calmer un peu la grogne qui sévit actuellement au sein de la population en raison de données qui, telles qu’exposées, sont mensongères. Nous voulions appuyer nos consœurs et nos confrères de la Couronne, mais pas jusqu’à sacrifier sur l’autel des préjugés nos clients déjà bien mal-aimés
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